Intervention de Dr Michel Nicolle

Réunion du 6 mai 2015 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Dr Michel Nicolle, de l'association « Alerte des Médecins sur les Pesticides » :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, je vous remercie de m'avoir invité. Je suis médecin généraliste et n'ai absolument pas la prétention d'avoir la compétence des toxicologues et des entomologistes, mais je parle au nom de mes confrères généralistes, pour qui la santé environnementale est l'un des déterminants, et non des moindres, de la santé de chacun d'entre nous.

Que dire de l'impact des néonicotinoïdes sur la santé humaine ? Bien qu'ils soient présents sur le marché depuis plus de vingt ans, ils sont beaucoup moins documentés que tous les autres pesticides. Leur impact sur la santé humaine est aussi beaucoup moins documenté que leur impact sur la santé des insectes ; cela provient sans doute du fait qu'ils ont la réputation d'être très toxiques pour les insectes et beaucoup moins pour l'homme qui, en tant qu'espèce à sang chaud, présente moins de récepteurs sensibles à ces molécules, lesquelles, par ailleurs, ne sont pas bio-accumulables dans son organisme.

Pourtant, les premières alertes datent d'une dizaine d'années. Ont ainsi été décrits des effets de perturbation endocrinienne chez l'animal sur la thyroïde et le testicule, si bien que trois de ces molécules, au Canada, ont été classées perturbateurs endocriniens potentiels par l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), respectivement en 2001, 2004 et 2007. La cytotoxicité de ces molécules, ainsi que leur génotoxicité, ont aussi été précisées.

En 2002, aux États-Unis, l'Environmental Protection Agency (EPA) classait le thiaclopride comme cancérigène probable pour l'homme, suivie en cela par la Direction générale de la santé et des consommateurs (DG SANCO), rattachée à la Commission européenne, et par l'ANSES en France.

La plus inquiétante des études, qui date de 2012, relate des effets semblables à ceux de la nicotine sur le cerveau, les molécules en question agissant au niveau des récepteurs nicotiniques de l'acétylcholine qui est l'un des principaux neurotransmetteurs. Cela a conduit l'EFSA à reconnaître, malgré les limites de l'étude, ce danger neurodéveloppemental en 2013.

Tous ces troubles sont décrits comme faibles ou probables ; aussi cela a-t-il débouché sur des mesures de gestion des risques ayant conduit l'ANSES à estimer en 2011 que le risque était acceptable pour le consommateur ou pour les opérateurs moyennant certaines précautions. Pourtant, comme l'a très justement souligné dans cette enceinte, le 8 avril dernier, l'un des auteurs de l'expertise de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), le professeur Geneviève Van Maele : « En matière de néonicotinoïdes, les seules données actuellement disponibles chez l'homme concernent des intoxications aiguës, c'est-à-dire des empoisonnements. »

Qu'en est-il des études les plus récentes ? J'en citerai quelques-unes datant de deux ou trois ans, qui s'intéressent à des aspects beaucoup plus subtils que ces simples intoxications aiguës, en l'occurrence le biomonitoring, les effets cytotoxiques, les effets de perturbation endocrinienne, les effets « cocktail » et l'épidémiologie.

Pour ce qui est du biomonitoring, alors que les dosages étaient jusqu'alors plutôt orientés vers les milieux – l'eau et le sol – et l'alimentation, trois études japonaises viennent de décrire des méthodes qui permettent, sur des matrices humaines, de déceler des traces de néonicotinoïdes dans 90 % des urines, prouvant ainsi que cette méthode fiable et simple pourrait être, d'après les auteurs des études, étendue à un biomonitoring des populations à risques.

Une autre étude japonaise, et visant toujours l'homme, concerne l'élimination urinaire de trois néonicotinoïdes et de leurs métabolites en ne retenant qu'un seul métabolite significatif par substance active comme biomarqueur, pour rendre la méthode de dépistage plus rapide et plus simple.

Enfin, une dernière étude japonaise vient de mettre en évidence que les néonicotinoïdes n'agissent pas seulement sur les récepteurs de l'acétylcholine, mais également sur des récepteurs d'autres neurotransmetteurs très présents dans le système nerveux central, les récepteurs glutamatergiques.

Les effets cytotoxiques et génotoxiques ont, eux, été mis en évidence par une nouvelle étude, toujours sur des cellules humaines in vitro. Il a aussi été démontré chez l'animal que les néonicotinoïdes inhibaient une enzyme hépatique, ce qui entraînait l'accumulation intracorporelle d'une substance dont la neurotoxicité est démontrée : la delta-ALA.

J'en viens aux effets perturbateurs endocriniens. Deux études ont mis en évidence, sur modèle animal, l'impact des néonicotinoïdes sur le fonctionnement de la thyroïde ; une troisième précise que c'est le groupement imidazole des néonicotinoïdes qui se fixe sur les récepteurs thyroïdiens : on a bien constaté le mécanisme d'un effet endocrinien direct – ce qui ne signifie pas forcément qu'il soit nocif. L'action de l'imidaclopride sur la thyroïde est à nouveau soulignée.

Quant aux effets « cocktail », la publication du chercheur Robin Mesnage en 2014 a démontré que l'activité du mélange entre substance active et adjuvants était de très loin supérieure à celle de la substance active seule. Cette étude présentait deux caractéristiques : elle avait été réalisée sur des cellules humaines, et il y avait deux néonicotinoïdes parmi les molécules étudiées. Deux autres études de 2014 ont montré les effets synergiques d'un néonicotinoïde et d'un pesticide d'une autre catégorie : dans un cas un pyréthrinoïde et dans l'autre un carbamate.

Enfin, en ce qui concerne l'épidémiologie, une publication – encore japonaise – de 2014 présente la première étude épidémiologique de troubles apparus chez l'homme en lien avec une exposition aux néonicotinoïdes : 150 sujets présentant des troubles suite à des épandages aériens et 102 suite à la consommation de denrées contaminées. Les signes disparaissent dans les quinze jours qui suivent l'exposition, ou par modification alimentaire – pour leur étude, les auteurs ont défini un biomarqueur urinaire, l'acide 6 chloronicotinique. Je précise que le Japon présente la particularité de consommer de très grandes quantités de néonicotinoïdes, notamment en raison des épandages aériens qui y sont pratiqués ; les limites maximales de résidus (LMR) admises dans les végétaux y sont plus élevées que dans le reste du monde ; enfin, les Japonais boivent beaucoup de thé, une boisson obtenue par infusion de feuilles, ce qui fait qu'ils absorbent beaucoup de néonicotinoïdes. Cela explique qu'une grande partie des études réalisées sur les néonicotinoïdes soit effectuée au Japon, où cette question constitue une préoccupation particulière.

En conclusion, tolérer l'usage agronomique des molécules de néonicotinoïdes au prétexte qu'elles n'auraient qu'un impact modéré sur l'homme ne serait qu'un contresens, quand on sait les dégâts massifs qu'elles occasionnent dans un environnement dont l'homme n'est qu'un des éléments interdépendants.

Pour rester dans le registre de la santé, je reprendrai les propos du professeur Lasfargues, de l'ANSES, qui a souligné ici même, le 31 mars, que ce qui manquait le plus pour l'évaluation des risques, c'étaient « des données d'exposition représentatives des populations les plus exposées ». Aussi, face à l'absence de données sur la santé humaine, demandons-nous la réalisation d'études d'expologie à travers des techniques de biomonitoring. En effet, il n'existe actuellement aucune trace des néonicotinoïdes dans les études de biosurveillance, que ce soient l'étude « agriculture et cancer » (AGRICAN) de l'ANSES, le projet GLOBOCAN de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les études de l'Institut de veille sanitaire (InVS) – étude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition (ESTEBAN), étude longitudinale française depuis l'enfance (ELFE) – ou encore celles de l'INSERM. Ce biomonitoring devra mesurer l'exposition réelle chez l'homme, et non une exposition calculée, extrapolée à partir de questionnaires sur les consommations alimentaires comme le fait l'ANSES. Un tel travail est d'autant plus attendu que la notion d'exposome est consacrée dès l'article 1er de la loi de santé actuellement en discussion au Parlement.

Deuxièmement, nous demandons que des études d'exposition faible sur des durées plus importantes soient réalisées.

Troisièmement, nous demandons que les évaluations avant autorisation de mise sur le marché prennent en compte les cocktails de substances, y compris les adjuvants.

Quatrièmement, nous demandons qu'au regard de nouvelles publications, le thiaclopride classé C2 – cancérigène probable – fasse l'objet d'une évaluation poussée, du fait de son caractère perturbateur endocrinien et de sa neurotoxicité associés ; il en est de même pour l'imidaclopride, dont les effets cytotoxiques et perturbateurs endocriniens sont en soi des facteurs de risques supplémentaires.

Chaque mois nous réserve des découvertes, parfois importantes, comme l'existence de nouveaux récepteurs, autres que nicotiniques, les effets démultipliés des cocktails, mais aussi de nouveaux cas de résistance aux néonicotinoïdes. À l'heure actuelle, après les constats de leur extrême nocivité pour les insectes pollinisateurs et pour la biodiversité, d'autres constats du même type sont faits au sujet de l'homme, et tous vont dans le même sens.

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