Intervention de Laurent Collet-Billon

Réunion du 1er avril 2015 à 16h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

La loi de programmation militaire prévoit de mobiliser 31,4 milliards d'euros pour la mission Défense en 2015, comme cela avait déjà été le cas en 2014, 2013 et 2012. Les ressources ont été déclarées sanctuarisées à plusieurs reprises par le Président de la République, à la fois plus haute autorité de l'État et chef des armées. Sur ce total, 2,4 milliards d'euros sont constitués de ressources exceptionnelles, dont 200 millions d'euros correspondant à des ressources immobilières. Il reste donc 2,2 milliards d'euros directement imputables au programme 146 Équipement des forces, dont je suis coresponsable.

Une première question, de court terme, consiste à savoir comment mobiliser 2,2 milliards d'euros pour les équipements en 2015. À plus long terme, il faut également déterminer comment mobiliser des ressources exceptionnelles importantes dans les années à venir puisque, compte tenu des différents ajustements qui ont eu lieu dans le cursus de l'exécution de la LPM, il est prévu 1,7 milliard d'euros de recettes extrabudgétaires pour le programme 146 en 2016, 1,5 milliard d'euros en 2017, 300 millions d'euros en 2018 et 145 millions d'euros en 2019. Sur la période 2015-2019, on aboutit à un cumul de 5,7 milliards d'euros de recettes extrabudgétaires à mettre en place au profit du programme 146.

Plusieurs dispositifs avaient été envisagés, en particulier la cession des fréquences utilisées par la télévision numérique terrestre – TNT –, dont le produit devait être affecté au programme 146. Cette vente pose plusieurs problèmes.

Premièrement, elle ne pourra avoir lieu avant la fin de l'année 2015, dans des conditions ne permettant pas à la direction générale de l'armement – DGA –, service dépensier de l'État, de récupérer les crédits de paiement et de les dépenser utilement en 2015.

Deuxièmement, il était initialement prévu d'affecter les recettes résultant de cette vente au compte d'affectation spéciale – CAS – Fréquences, qui prévoit l'éligibilité d'un certain type de dépenses à la consommation de ces recettes. Or, la DGA considère qu'elle ne pourra pas dépenser plus de 900 millions d'euros par an au titre du CAS Fréquences de manière légitime, à moins de de réimputer des dépenses antécédentes non imputées – une procédure à laquelle nous avons recouru par le passé, mais qui est extrêmement lourde, car elle impose d'aller rechercher des factures, de les désaffecter puis de les réaffecter.

Troisièmement, la vente doit s'effectuer selon une procédure de mise aux enchères, ce qui implique que le prix de cession ne puisse être connu à l'avance. Les candidats potentiels à l'acquisition sont en nombre restreint et, si les opérateurs de téléphonie sont très intéressés par les fréquences utilisées par la TNT, parfaitement adaptées au développement de leurs réseaux, la plupart de ces sociétés sont encore lourdement endettées en raison des investissements réalisés par le passé ; il faudra donc que les conditions de la concurrence soient suffisamment bonnes pour que les recettes soient à la hauteur de ce que l'on en espère. J'estime personnellement qu'il sera difficile de dépasser une recette de 3 milliards d'euros pour la vente des fréquences de la TNT, ce qui laisse un écart important par rapport aux 5,7 milliards d'euros de recettes exceptionnelles que nous recherchons.

Dans un premier temps, le ministère de la Défense s'est d'abord intéressé aux solutions de court terme, proposant au Président de la République de recourir au dispositif des sociétés de projet, seule solution qui paraisse susceptible d'être mise en oeuvre – à part celle consistant en l'ouverture de crédits budgétaires, a priori rapidement écartée. L'idée des sociétés de projet a donc été approuvée, et le Président de la République a demandé à plusieurs reprises au ministre de la Défense de la mettre en oeuvre, notamment lors de la présentation de ses voeux aux armées, faite sur le porte-avions Charles de Gaulle le 14 janvier dernier.

Le processus de mise en oeuvre des sociétés de projet est connu. Il consiste à créer des sociétés dédiées à l'acquisition et à la location d'équipements déjà commandés ou acquis par le ministère de la Défense. L'État cède à ces sociétés la propriété des équipements, qui sont alors loués au ministère de la Défense. Évidemment, l'État peut racheter à tout moment ces équipements pendant la durée de location, c'est-à-dire dénouer les contrats de location de la même manière que l'on peut défaire un contrat de location avec option d'achat dans le domaine de la vente d'automobiles aux particuliers. Le dispositif législatif nécessaire est prévu par la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », qui, à l'article 50 A, permettra de mobiliser les crédits nécessaires.

En l'état actuel des choses, il est prévu de créer deux sociétés de projet, l'une consacrée à trois frégates multimissions – FREMM – devant être livrées à la marine dans les années 2015-2017, l'autre correspondant à quatre avions de transport militaire airbus A400M devant être livrés à l'armée de l'air dans les années 2016-2017.

L'ensemble des services associés, notamment le maintien en condition opérationnelle – MCO –, la formation, les assurances, reste strictement du domaine du ministère de la Défense. Aujourd'hui, il est prévu que, pour la constitution de ces sociétés, il soit fait appel exclusivement à des capitaux publics, provenant de l'Agence des participations de l'État – APE : elle devra utiliser son compte d'affectation spéciale, éventuellement abondé par des ventes supplémentaires, afin de doter ces sociétés en capital. De telles dépenses ont, à partir du moment de la livraison des matériels concernés, un impact maastrichtien qui sera toutefois limité dans le temps, et devrait s'effacer progressivement lors de la vente des fréquences hertziennes.

Nous sommes placés dans l'obligation de trouver des crédits de paiement afin de ne pas alourdir le report de charges pour le programme 146, qui s'élèvera fin 2015, si l'intégralité des ressources est au rendez-vous, à environ 2,35 milliards d'euros – ce qui est considérable – pour des dépenses annuelles d'équipement des armées de l'ordre de 10 milliards d'euros. Cette situation nous a conduits en 2014 à cesser les paiements à la fin du mois d'octobre.

L'objectif est clair : il consiste à ce que nous soyons en capacité de payer nos fournisseurs. Comme je le disais, nous avons arrêté de les régler fin octobre en 2014, ce qui nous a conduits à prendre certaines dispositions afin de ne pas mettre à mal la trésorerie des PME, que nous avons payées prioritairement jusqu'à la fin de l'année – nous avions gardé une petite réserve à cette fin –, mais ce sont là des processus assez largement dérogatoires par rapport à ce qui est l'usage pour un service dépensier.

Si les recettes exceptionnelles, qu'elles proviennent des sociétés de projet ou de la vente des fréquences, n'étaient pas au rendez-vous en 2015, notre report de charge dépasserait les 4 milliards d'euros, ce qui est énorme : nous atteindrions une proportion très élevée des dépenses correspondant à des équipements classiques – hors nucléaire – et serions en situation de paiement dès fin août ou début septembre, ce qui n'est évidemment pas souhaitable. Certains souhaiteraient recourir au report de charges comme s'il s'agissait d'une méthode de gestion, ce à quoi je ne suis pas favorable en tant que DGA, dans la mesure où il pèse terriblement sur la trésorerie des entreprises.

En résumé, j'ai besoin de 2,2 milliards d'euros en 2015, de 1,7 milliard d'euros en 2016, etc., comme je l'ai dit précédemment, et il faudra bien trouver une solution pour cela.

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