Intervention de Jean-Pierre Karaquillo

Réunion du 25 mars 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Pierre Karaquillo, président de la mission de réflexion sur le statut du sportif :

S'agissant de la formation, je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre. Ainsi que je l'ai dit à ceux que nous avons auditionnés : faire des études, c'est bien ; avoir un emploi, c'est mieux. Ce qui m'intéresse avant tout, c'est la reconversion des athlètes de haut niveau à la vie civique, parce qu'ils sont nombreux, dès la fin de leur carrière professionnelle, à être civiquement morts. Le plus important, c'est d'avoir une qualification à un emploi. Des expériences très intéressantes sont actuellement menées de façon empirique par des clubs professionnels autour de leurs parrains, de leurs sponsors. Par exemple, dans ma région, le CA Briviste fait périodiquement des bilans de compétences. Cela permet à un joueur de rugby de dire par exemple : quand j'aurai terminé ma carrière, j'aimerais être conducteur d'engins de travaux publics. Le club se met alors en relation avec un sponsor de travaux publics et le garçon pourra se former en alternance à ce futur métier.

Je suis beaucoup plus sensible à l'emploi qu'à une qualification diplômante, même si je n'en nie pas l'intérêt. Certes, je suis très content d'être professeur agrégé des facultés de droit, mais je suis surtout très heureux d'avoir un emploi. Nous souhaitons favoriser une formation diplômante mais aussi et surtout une formation qualifiante.

J'en viens aux conventions d'insertion professionnelle, qu'il convient de remettre au goût du jour et de recadrer. Lorsqu'elles ont été mises en place, en 1984, par Edwige Avice, elle visait bien cet objectif de reconversion : il s'agissait d'insérer un athlète de haut niveau dans une entreprise, moyennant une participation de l'État, pour lui permettre d'obtenir une qualification professionnelle et d'être intégré dans cette entreprise une fois sa carrière terminée. Aujourd'hui, les athlètes de haut niveau font de l'image. C'est satisfaisant sur le moment, mais ce n'est pas suffisant sur le long terme. Je connais des étudiants qui sont inscrits sur la liste des sportifs de haut niveau et qui sont dans une entreprise privée mais qui espèrent que je vais leur trouver un emploi une fois leur carrière sportive terminée. Ce qui me choque, c'est qu'ils soient obligés de me dire cela. Cela signifie que leur convention d'insertion professionnelle n'est pas une réussite. Comme nous l'indiquons dans le rapport, il convient de vitaliser ces conventions et de les remettre dans le droit chemin, si j'ose dire.

Sur le CDD spécifique, je vous mets en garde : si nous ne faisons rien, nous courons à la catastrophe. Nous allons en effet assister à une précarisation de l'emploi, des entraîneurs et des joueurs. Dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, il y a, d'un côté, un droit à démission et, de l'autre, un droit à licenciement. Un entraîneur ou un joueur pourra donc, à tout moment, rompre son contrat de travail tout en respectant, bien sûr, un préavis. Certes, celui-ci pourra être reporté à la fin d'une saison, mais la compétition sera déstabilisée, l'équilibre compétitif rompu – je rappelle que le contrat à durée déterminée d'usage peut être de un à cinq ans. Cela veut dire aussi qu'un entraîneur pourra, à tout moment, être licencié pour insuffisance professionnelle, la jurisprudence de la Cour de cassation considérant que l'insuffisance de résultat est une insuffisance professionnelle. De même, il sera très facile d'invoquer le motif économique individuel étant donné le yo-yo des budgets de clubs.

Rappelons en outre que nous sommes dans un contexte international. Aujourd'hui, les fédérations internationales n'ont réglementé que le CDD. C'est le cas de la Fédération internationale de football association (FIFA), de l'International Rugby board (IRB) et de la Fédération internationale de handball. Ne soyons pas plus royalistes que le roi : tous les pays européens, à l'exception de ceux qui sont désorganisés, prévoient pour le sportif professionnel des contrats de travail à durée déterminée. Et en Italie, en Espagne et en Belgique, il existe des CDD spécifiques. On nous dit que la création d'un CDD spécifique, en France, se heurtera à cette fameuse directive de 1999. Mais il me semble que le traité de Lisbonne reconnaît la spécificité du sport. Vaut-il mieux en rester à la situation actuelle qui comporte un risque permanent, ou prendre le risque juridique de créer un CDD spécifique ? Pour ma part, j'ai fait mon choix, à tort ou à raison. Ne prétendant pas détenir la vérité en droit du travail, j'ai consulté deux de mes collègues qui sont des stars montantes du droit du travail, Paul-Henri Antonmattei et Gilles Auzero : tous deux m'ont confirmé que le CDD spécifique était la seule solution, ce qui me rassure.

Sur la solidarité, je suis pleinement favorable à celle qui doit exister entre le secteur amateur et le secteur professionnel. En revanche, celle que vous préconisez entre les athlètes sera plus difficile à mettre en oeuvre. Je vous rappelle que la taxe qu'a fait voter Mme Buffet a occasionné une levée de boucliers du sport professionnel, et notamment de la ligue professionnelle de football et des clubs professionnels de football.

Enfin, nous préconisons de favoriser la mobilisation de financements spécifiques en faveur des athlètes paralympiques. La Fondation du sport français bénéficie d'avantages fiscaux. Elle peut faire du mécénat. Elle a vocation précisément à rechercher des fonds et à aider les athlètes à financer du matériel par exemple.

Mesdames, messieurs les députés, nous avons besoin de vous. C'est vous qui allez être déterminants. Si vous ne faites rien, la situation deviendra dramatique pour les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels. Je ne cherche pas à vous alarmer, je vous fais part de mon expérience. Vous m'avez demandé quelle impression m'avait laissé les auditions auxquelles nous avons procédées. Ce fut extraordinaire et nous n'avons pu que constater l'unanimité. Les champions de gymnastique ou de natation nous ont expliqué que ce qui avait été salvateur pour eux, c'était précisément d'avoir fait autre chose que de la gymnastique ou de la natation et que c'était pendant leur double projet qu'ils avaient obtenu les meilleurs résultats sportifs.

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