Intervention de Matthias Fekl

Réunion du 17 mars 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Matthias Fekl, secrétaire d'état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger :

Je suis très heureux d'être de nouveau devant le parlement. Trop longtemps, les négociations commerciales se sont déroulées à l'abri des regards. En ce domaine comme dans d'autres, l'exigence de transparence est fondamentale. Une nouvelle étape doit s'ouvrir.

La transparence commence par l'information du parlement, tant du Sénat que de l'Assemblée nationale, où je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises. Le Gouvernement a également pris des mesures fermes. Avec d'autres, Nicole Bricq avait demandé la transparence du mandat de négociation du partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI). Sa publication fut obtenue en octobre dernier, sous présidence italienne. À vrai dire, le document avait déjà « fuité » sur Internet, mais, en acceptant pour la première fois cette publication, le Conseil des ministres de l'Union européenne a créé un précédent juridique et politique significatif.

Désormais, il n'y aura plus de raison de s'opposer systématiquement, au sujet du PTCI comme dans le cadre d'autres négociations, à la publication des mandats de négociation. C'est le début d'un agenda de la transparence. Sur le site du ministère des affaires étrangères, une rubrique est désormais ouverte, spécifiquement dédiée aux négociations commerciales. La Commission européenne évolue elle aussi sur le sujet de la transparence. Enfin, j'ai réformé le comité de suivi stratégique des négociations commerciales pour qu'il comprenne non seulement des parlementaires, mais aussi des représentants de la société civile, tels les syndicats, les organisations non gouvernementales ou encore les fédérations professionnelles.

J'ai considéré que chaque membre du comité est fondé à demander l'installation de groupes de travail sur les sujets qu'il juge important. Le Gouvernement n'a rien à cacher. Cela n'aurait au demeurant aucun sens de conduire des négociations secrètes et techniques dont le résultat ne serait porté devant les peuples qu'à la fin du processus. Une telle manière de procéder ferait seulement naître des craintes et un sentiment de rejet. Soit nos concitoyens sont convaincus dès le départ et nous pouvons avancer dans la négociation, soit ils ne le sont pas et les accords n'auront aucune chance de prospérer.

Le 26 septembre dernier, un accord économique et commercial global (CETA) a été signé au sommet UE-Canada. Nous dissocions le fond du texte, qui contient des avancées, et le chapitre 33, qui concerne l'arbitrage. D'une manière générale, il s'agit d'un bon accord, équilibré, car le Canada a consenti un degré d'ouverture important de ses marchés publics, que ce soit ceux de l'État, des provinces et d'autres administrations locales. Les engagements pris ne sont pas qu'une simple proclamation d'intention sur l'accès aux marchés tandis que la réalité ne suivrait pas. Ces clauses importaient particulièrement pour nos petites et moyennes entreprises (PME), qui ont un accès difficile au marché canadien comme à d'autres marchés. En outre, 42 indications géographiques , sont reconnues, en sus de celles qui l'avaient déjà été dans l'accord de 2004 sur les vins et spiritueux ; cela correspond à un haut niveau de protection. Un combat est en effet engagé, à l'échelle mondiale, entre le concept d'indication géographique et celui de marques commerciales, seul le premier établissant un lien entre un terroir, la manière d'y produire et la qualité des produits.

À l'issue du Salon de l'agriculture, j'ai signé une tribune de presse avec le ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, où nous faisions état des intérêts offensifs et défensifs de la France en matière commerciale. Ainsi, nous refusons de négocier sur les préférences alimentaires, telle qu'elles pourraient être remises en cause par la mise en circulation de poulet chloré ou de boeuf aux hormones. La France a un certain modèle d'agriculture à préserver. Elle doit animer une « diplomatie des terroirs » dans les instances internationales où se fixent des normes qui affectent finalement la vie quotidienne.

L'arbitrage constitue un sujet important et sensible, qui suscite des interrogations, voire davantage, tant en France qu'en Allemagne, et même outre-Atlantique. Il était d'abord conçu pour protéger les entreprises, y compris les nôtres, contre des décisions publiques arbitraires telles que des expropriations ou la copie sauvage de brevets. La France est déjà partie à 107 accords prévoyant un mécanisme d'arbitrage, dont 96 sont en vigueur. Tandis que l'accord avec le Canada est déjà conclu, les négociations sont à l'arrêt pour ce chapitre avec les États-Unis

Entre-temps, l'arbitrage a donné lieu à des dérives majeures. Censé permettre de lutter contre des empiètements arbitraires, il arrive que l'instrument se retourne contre des choix démocratiques des États. Ainsi, la société Philip Morris a attaqué l'Australie lorsque ce pays a décidé de rendre obligatoire le paquet de cigarettes neutre. En Allemagne, le géant de l'électricité Vattenfall a de même contesté la décision souveraine de sortir du nucléaire. Il n'est pas acceptable de faire payer au contribuable des décisions qu'il aurait prise comme citoyen. Madame la présidente, comme vous l'aviez dit, il s'agit assurément d'une question philosophique. Nous devons y apporter une réponse politique. La France joue son rôle en défendant cette position. Elle n'a jamais demandé ce type de mécanisme dans la négociation commerciale ni avec le Canada ni avec les États-Unis ; elle a émis des réserves quand un mandat de négociation a été attribué en ce sens à la Commission européenne.

La chronologie des négociations est cependant différente dans les deux cas : dans l'un, un accord est conclu ; dans l'autre, il est en cours de négociation. Tant le Canada que les États-Unis sont cependant deux grands pays partenaires et amis. S'agissant d'un enjeu de principe, la France veut que toutes les options restent ouvertes. La Commission a ouvert sur ce sujet une consultation publique, qui lui a permis de récolter, malgré la technicité du débat, pas moins de 150 000 réponses, dont 10 000 provenaient de France.

Le Gouvernement a attendu la publication de ses résultats, en janvier, avant d'entamer immédiatement sur ces entrefaites une phase de proposition et d'action. Je me suis ainsi rendu dès le lendemain en Allemagne, pour y rencontrer M. Sigmar Gabriel, ministre de l'Économie et mon homologue Matthias Machnig, en charge du commerce extérieur. Les mécanismes d'arbitrage qui sont envisagés ne sont acceptables ni pour l'opinion publique, ni pour les parlementaires, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat. De deux choses l'une : soit l'accord ne comprend pas de tel mécanisme et la France saura très bien s'en accommoder ; soit il faudra inventer quelque chose d'entièrement neuf pour régler ces questions. Tel est le sens de la démarche franco-allemande qui vise à convaincre et faire naître un consensus en Europe, en ralliant d'autres États à nos idées. Nous avons parlé d'une seule voix avec l'Allemagne sur la souveraineté des États, leur droit à réguler, mais aussi la nécessaire participation des juridictions nationales : vous avez cité, madame la présidente, la question de l'appel. Il faut rétablir l'équilibre entre les entreprises et la puissance publique.

Monsieur Destot, vous vous étiez fait l'écho de ces préoccupations dans un récent rapport. Cette page reste à écrire, ce mécanisme à inventer. Des démarches et un travail sont en cours. Mais rien ne servirait de donner pour acquis ce qui ne l'est pas encore. En tout état de cause, la situation actuelle n'est pas satisfaisante.

Quant au huitième cycle des négociations, tenu en février entre négociateurs américains et européens, je suis au regret de vous annoncer de nouveau que, cette fois encore, aucune avancée importante ne fut enregistrée. Les États-Unis n'ont même pas encore adopté l'acte d'habilitation (Trade Promotion Authority, TPA) qui investit de manière officielle et solennelle leurs négociateurs pour agir en leur nom. À ce stade, les discussions se déroulent à un niveau très technique ; des débats de fond restent à trancher. Ainsi, la question de l'ouverture des marchés publics se pose, comme avec le Canada. Pour l'heure, seulement 47 % sont ouverts aux entreprises européennes aux États-Unis, tandis que 96 % des marchés publics sont ouverts aux entreprises américaines en Europe. La réciprocité n'est pas respectée.

La diplomatie des terroirs constitue également un des axes de la négociation. Les lignes rouges de la négociation sont fixées dans le mandat confié à la Commission : respect des services publics, des préférences alimentaires et de l'exception et de la diversité culturelles. Le contexte politique américain pèse cependant sur le déroulement des négociations. Je ne saurais donc prédire leur date d'achèvement alors qu'elles ont à peine commencé sur le fond. À ce stade, les échanges se sont révélés encore peu concluants.

Voici nos axes de travail, nos priorités et les premiers éléments de réponse que je pouvais vous apporter.

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