Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 3 mars 2015 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Je suis heureux de pouvoir m'exprimer, une nouvelle fois, devant votre commission. Lors de ma dernière audition, quelques jours après les attentats du début du mois de janvier, je m'étais concentré sur l'opération Sentinelle. Aujourd'hui, j'aborderai la situation de nos armées sur l'ensemble des théâtres d'opérations, extérieurs et mais aussi intérieur, compte tenu de l'imbrication croissante entre la défense à l'extérieur de nos frontières et la sécurité de nos concitoyens sur notre propre territoire. La menace terroriste reste toujours très présente même si les médias l'évoquent moins : il importe que nous exercions la plus grande vigilance.

Cette situation, inédite par son ampleur, s'inscrit à présent dans la durée et sur un vaste champ de confrontation, à la fois géographique et fonctionnel. Elle mobilise nos moyens à un niveau élevé et met sous tension notre système de défense. Les limites des contrats opérationnels fixés par le Livre blanc sont atteintes, voire dépassées dans plusieurs domaines.

Il serait néanmoins impropre de parler ici de « rupture stratégique », puisque ce même Livre blanc fait bonne place au terrorisme et que les modes d'action de nos forces sont très conformes au modèle d'armée retenu dans la loi de programmation militaire (LPM). Ce qui ressort aujourd'hui, c'est plutôt la soudaineté des crises, leur intensité et, le plus préoccupant pour ce qui nous concerne, leur simultanéité.

La prise en compte de cette confrontation persistante constitue une tendance lourde. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité rouvrir rapidement que le chantier de l'actualisation de la LPM, qui était prévu de toutes façons en 2015. Elle fera l'objet d'un débat au Parlement avant l'été.

Nos priorités, nos objectifs et les grands équilibres entre les fonctions stratégiques demeurent à mon sens pertinents. Toutefois, des ajustements et des améliorations doivent être étudiés en raison du niveau d'engagement de nos forces. J'aurai l'occasion de venir prochainement vous présenter nos réflexions à cet égard.

Aujourd'hui, 20 000 militaires assurent, jour et nuit, la lutte contre les groupes terroristes djihadistes, au plus loin, et la protection de notre territoire, au plus près. Ils contribuent directement à notre sécurité avec un extrême professionnalisme.

Au plan militaire, notre stratégie n'a pas changé. Nous cherchons toujours à faire refluer les groupes terroristes armés en leur infligeant des défaites sur le terrain, en détruisant leurs bases et leurs moyens les plus significatifs et à entraver la mise en résonance des différents mouvements terroristes.

J'aborderai avec vous l'arc de crise qui s'est dessiné d'Ouest en Est, avant de revenir sur le territoire national. Je vous parlerai enfin brièvement de la République centrafricaine puisque l'origine de cette crise ne relève pas du terrorisme, même s'il ne faut pas minorer les risques de prolifération.

Commençons par la bande sahélo-saharienne : relativement calme au centre, agitée sur les marges.

Au Mali tout d'abord, et sur un plan politique, les négociations à Alger ont dans un premier temps permis d'aboutir dès le 19 février dernier à un accord de cessation immédiate des violences entre protagonistes signataires, accord aujourd'hui respecté. Plus important à mes yeux, ce dimanche 1er mars a été paraphé l'accord de paix inter-malien à Alger, en présence de l'ensemble des représentants des groupes – d'une part, la Coordination, qui réunit le MNLA, le HCUA et la partie pro-Azawad du MAA, d'autre part, la Plateforme, qui réunit le GATIA et la partie pro-Bamako du MAA –, des représentants des parties prenantes à la médiation – le gouvernement algérien, les pays voisins, l'Union africaine, l'Union européenne, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) –, la France et les États-Unis.

La Coordination des Mouvements de l'Azawad, notamment Bilal Ag Cherif du MNLA, n'a pas souhaité parapher le document, demandant une consultation préalable des populations dans un délai « raisonnable ». C'est la première fois que nous disposons d'un texte susceptible de faire l'objet d'un accord général et je voudrais rendre hommage au travail mené par le ministre des affaires étrangères algérien, M. Ramtane Lamamra, qui a déployé une énergie considérable depuis des mois que durent ces discussions pour obtenir cet accord, qui a aussi été validé par le gouvernement malien.

Cet accord reconnaît symboliquement la notion d"Azawad", ce qui est une ouverture notable de la part du gouvernement malien. En outre, il propose, tout en rappelant l'intégrité territoriale du Mali et le redéploiement progressif des forces de sécurité dans le Nord, une décentralisation poussée comprenant la libre administration du Nord, un large processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), une réforme du secteur de la sécurité (RSS) et des mesures de développement spécifiques pour le Nord. Pour accompagner cet accord inter-malien, la conférence de suivi des engagements financiers pris à Bruxelles le 15 mai 2013 par la communauté internationale s'est tenue à Bamako le 17 février.

Certains points restent à préciser, notamment la représentation de la diversité des populations dans les institutions et les forces de sécurité, le pourcentage des recettes issues de l'exploitation des ressources naturelles qui seront reversées aux collectivités, les mesures visant la réconciliation nationale.

Il n'en demeure pas moins que cet accord politique présente désormais pour nous un intérêt capital en ce sens qu'il nous permettra de séparer à l'avenir les signataires engagés de ceux qui chercheraient à poursuivre la déstabilisation du Mali. Il existait un risque de porosité entre éléments des groupes armés signataires et des groupes armés terroristes. L'enclenchement de ce processus rend désormais les choses beaucoup plus claires. C'est une avancée significative que je tenais à souligner.

Au plan sécuritaire, nous constatons depuis plusieurs semaines un retour au calme qui suit épisodes de tension, attaques perpétrées par les Groupes armés terroristes (GAT) contre la MINUSMA ou les forces armées maliennes et accrochages significatifs entre groupes armés signataires pro-Mali et pro-Azawad sur la boucle du Niger.

S'il est encore trop tôt pour conclure à une victoire et à une pacification, je note avec satisfaction que plusieurs des axes de la stratégie que nous avons mise en place avec l'opération Barkhane portent à présent leurs fruits.

En premier lieu, je citerai la régionalisation, qui nous permet d'agir avec efficacité sur l'ensemble de cette zone d'opération. Certains d'entre vous ont pu le constater lors du déplacement que nous avons effectué au début de l'année.

Je vous donnerai ici deux exemples.

La neutralisation par Barkhane, le 30 janvier, de l'un des proches lieutenants d'Iyad Ag Ghali, chef d'Ansar Eddine et chef de file des djihadistes touaregs liés à AQMI. Cette opération des forces spéciales était appuyée sur des renseignements provenant de plusieurs services, mêlant moyens humains et techniques, en particulier des drones. Elle a permis la mise hors de combat de dix terroristes et l'arrestation de trois autres, ainsi que la destruction d'un nombre important d'armes et de munitions à la fin du mois de janvier. Une opération du même type est en cours et, hier, dans le cadre d'une opération de contre-terrorisme menée dans le Tigharghar, Barkhane a pu neutraliser neuf autres djihadistes et s'emparer d'une quantité importante d'armements.

Au total, sur une année calendaire, de novembre 2013 à novembre 2014, les forces françaises auront neutralisé environ 220 djihadistes, dont 45 ont pu être remis aux autorités locales, sous le contrôle de la Croix-Rouge et de l'Unicef s'agissant des mineurs interpellés.

Le nombre de djihadistes actifs demeurant dans la zone ne semble pas très élevé, mais comme ces hommes sont susceptibles de mener des opérations suicides, nous nous devons de prendre ce risque en considération.

Le deuxième axe d'effort repose sur la prise en compte par les pays de la région de leur propre sécurité, ce qui suppose de les aider à mieux contrôler leurs espaces frontaliers. Là aussi, nous pouvons nous réjouir de la dynamique du « G5-Sahel » et de sa déclinaison militaire à travers des opérations bipartites, tripartites ou quadripartites récemment menées avec le soutien de la France. Aux confins du Niger, près de la passe de Salvador, nos forces ont pu détruire la semaine dernière des plots logistiques. Elles sont également intervenues, aux côtés des Mauritaniens et des Maliens, au Mali dans la forêt de Ouagadou, là où opérait il y a quelques semaines la katiba Al-Forkane.

En bref, la régionalisation sur laquelle repose l'opération Barkhane fonctionne. Une dynamique positive est marche : les pays de la région sont en train de prendre en charge leur propre sécurité et la complémentarité entre actions est effective.

Enfin, la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM Mali, commandée par un général espagnol, contribue à la restructuration progressive de l'armée malienne. Elle regroupe environ 500 militaires, parmi lesquels 10 % de Français. Le 6e bataillon des forces armées maliennes vient d'être qualifié pour y participer.

J'en viens à Boko Haram.

Comme vous le savez, les attaques de ce groupe débordent aujourd'hui le Nigeria pour viser le Cameroun, le Tchad et le Niger, ce qui démontre un changement de stratégie majeur de sa part. En réponse, la volonté de l'Union Africaine et des quatre pays du lac Tchad – le Cameroun, le Tchad, le Niger, le Nigeria – ainsi que du Bénin de prendre eux-mêmes en main leur sécurité est un signe particulièrement encourageant. L'organisation d'une réponse régionale progresse en effet sous l'effet de cette mobilisation. Le dernier sommet de l'Union africaine a ainsi approuvé le principe du déploiement d'une Force multinationale mixte (FMM) qui doit maintenant faire l'objet d'une résolution du Conseil de sécurité. Les pays de la région se sont également entendus sur un concept d'opérations (CONOPS).

Sur le terrain, en sus d'un engagement nigérian affiché mais encore difficile à cerner, ce sont déjà 8 700 soldats africains qui opèrent à présent, dont environ 5 000 Tchadiens. Même si Boko Haram cherche à garder l'initiative et défend avec âpreté son territoire, plusieurs succès récents ont été enregistrés par nos partenaires. Citons la prise de Gambaru et la progression vers les villes de Monguno, Baga et Dickwa. La jonction entre les forces tchadiennes et nigérianes permet désormais de rouvrir l'axe logistique N'Djamena- Maiduguri et d'envisager de scinder en deux la zone contrôlée par la secte.

Face à cette réponse militaire, Boko Haram vient de modifier drastiquement ses modes d'actions, en délaissant les attaques massives pour des attaques asymétriques.

Plusieurs défis demeurent néanmoins préoccupants : tout d'abord, la capacité du Tchad en particulier mais aussi du Cameroun et du Niger à soutenir dans la durée leurs opérations, en raison des coûts humains et financiers élevés, ainsi qu'à maintenir leur dispositif de protection le long de leurs frontières ; ensuite, la poursuite des actes criminels indiscriminés de Boko Haram dont témoignent les attentats de la semaine dernière – dix personnes tuées à Kano, dix-sept à Potiskum, dix-huit à Biu et dix-sept à Jos.

À ce stade, aucune intervention directe de la force Barkhane contre Boko Haram n'est envisagée, mais nous devons tenir compte des sollicitations de nos partenaires, notamment des situations de légitime défense dans lesquelles ils peuvent se trouver, face à un adversaire qui n'hésite pas à franchir les frontières comme on l'a vu récemment au Niger.

Notre intérêt est qu'ils réussissent à contenir et réduire cette menace au Nigeria. Pour cela, et je vous en avais déjà parlé, nous avons mis sur pied à N'Djamena une cellule de coordination et de liaison (CCL) afin d'appuyer la mise en place de la Force multinationale mixte – nous avions pu la visiter en janvier avec certains d'entre vous. Une douzaine d'officiers français y sont affectés. Nous attendons avec impatience l'arrivée des Britanniques. J'ai eu l'occasion de rappeler il y a quelques jours à mon homologue britannique les liens historiques de son pays avec le Nigéria.

Nous appuyons donc la dynamique régionale naissante, à la fois sur un plan diplomatique et sur un plan logistique – nous apportons un soutien en matière de renseignement et de matériel léger à nos partenaires tchadiens et nigériens et, de façon plus modeste, aux Camerounais. Nous sentons une volonté nouvelle chez les Nigérians d'intégrer le dispositif.

S'agissant de la lutte contre Boko Haram, je suis plus optimiste que je ne l'étais lors de mon audition du mois de décembre. Il nous faut néanmoins rester prudents.

J'en arrive à la Libye, dont la situation me paraît chaque jour plus préoccupante pour nos objectifs de sécurité. Nous assistons à une inexorable dégradation de la situation intérieure et à la mise en place d'un réseau de katibates djihadistes se partageant une partie importante de son territoire.

Le dialogue national se poursuit, sous l'égide de l'ONU et de son représentant Bernardino León. Nous le soutenons, mais nous considérons qu'il faut se donner une échéance pour en mesurer le succès. Le gouvernement de Tobrouk, qui s'était retiré des discussions, vient seulement de les rejoindre. La situation reste extrêmement fragile.

Sur le terreau d'un État décomposé et d'une société divisée, prolifèrent aujourd'hui les groupes extrémistes comme Ansar al-Charia, ainsi que des groupes ouvertement liés à Al-Qaïda, tels qu'AQMI et Al-Morabitoune venus du Mali. La zone sud n'est plus seule concernée, les groupes terroristes sont disséminés sur tout le territoire. Élément nouveau particulièrement préoccupant : l'État islamique y a développé son action. Il a revendiqué l'attentat de l'hôtel Corinthia à Tripoli et agit aux côtés d'Ansar al-Charia à Syrte. Il a aussi assassiné vingt et un chrétiens coptes égyptiens à Derna, ce qui a conduit l'Égypte à des opérations de représailles contre Daech en territoire libyen.

Le délitement de la Libye s'aggrave. Pour la première fois, nous avons identifié la présence de combattants étrangers au sein des groupes de Daech dans ce pays. Le risque de connexion de l'action terroriste entre le Levant et la Libye, que je souligne depuis un certain temps, s'accroît. Nous devons éviter collectivement de faire de ce pays un point d'attraction et de fixation ou une base arrière pour les combattants de l'étranger. Rappelons que la Libye ne se situe qu'à 350 kilomètres de la frontière italienne. La structuration des différents groupes n'est pas effective, mais elle pourrait le devenir. J'appelle votre attention sur cette question, qui est l'une de mes plus grandes préoccupations en ce moment.

Ce constat conforte notre stratégie de renforcement des maillons vulnérables, dans un espace régional particulièrement fragilisé.

Avec l'Égypte, nous sommes en train de créer un véritable partenariat stratégique, qui accompagne le récent contrat de vente de Rafale et d'une frégate multi-missions (FREMM). Fort de 85 millions d'habitants, ce pays majeur du monde arabe à l'histoire millénaire occupe une position stratégique et a montré sa détermination à coopérer avec la France.

En Tunisie, nous sommes en train d'engager une coopération trilatérale avec le nouveau gouvernement et les Émirats arabes unis, sur le modèle de DONAS, mais à moindre échelle, afin d'aider les forces armées tunisiennes à renforcer leur capacité de lutte contre le terrorisme, en particulier pour ce qui est des forces spéciales.

Au Liban, le contrat DONAS vient d'entrer en vigueur avec les premiers versements de l'Arabie saoudite. Il va offrir aux forces armées libanaises (FAL) des équipements militaires français permettant de contribuer à la lutte contre les menaces terroristes.

En Jordanie, la présence de nos avions au départ vers l'Irak et de nos forces spéciales et moyens de renseignement nous permet de coopérer étroitement avec les autorités et forces du pays, lui aussi directement menacé par Daech.

Je me tourne maintenant plus à l'Est, avec l'opération Chammal.

Au Levant lui-même, depuis l'automne 2014, la dynamique offensive de Daech est stoppée. Sous les coups de la coalition, l'organisation terroriste a subi de lourdes pertes avec la mort, d'après les estimations de la Coalition, de près de 5 800 combattants sur les 30 000 qui, au vu des évaluations disponibles, composaient cette armée terroriste en août 2014. Daech est à présent contraint d'effectuer une bascule d'effort de la Syrie vers l'Irak et tente de protéger ses lignes de communication, en particulier celles menant à Mossoul, érigée en capitale du califat.

Sur un plan tactique, Daech réarticule ses troupes en petites unités moins vulnérables et poursuit ses actions de harcèlement et d'attaques limitées en plusieurs points de la vaste zone où il opère afin d'user les Peshmergas au Nord, dans la région de Sinjar et Kirkouk, les forces de sécurité irakiennes au centre, autour de Baiji, et à l'ouest de Bagdad autour de la base d'Al-Assad.

Enfin, les forces pro-gouvernementales irakiennes, soutenues par des moyens aériens, mènent depuis ce week-end une offensive qu'elles estiment d'envergure – qualificatif à prendre avec précaution – pour tenter de reprendre aux djihadistes la ville de Tikrit, bastion du groupe de l'État islamique.

Ne nous trompons pas, Daech reste une force solide. Alliée à de nombreux acteurs sunnites, elle est capable d'affronter des armées conventionnelles, et use de la terreur comme arme de communication et comme arme politique, comme l'ont montré les récents enlèvements de chrétiens assyriens et la destruction du patrimoine historique et culturel irakien et syrien.

Daech est toujours un aimant pour des populations travaillées par l'islamisme radical. Plus de 400 individus de nationalité française sont présents au Levant, 90 sont présumés morts au cours de combat, 194 sont de retour en France et font l'objet d'un suivi très poussé des services du ministère de l'Intérieur. On dénombre aussi des Britanniques, des Allemands, des Belges et d'autres ressortissants européens, des Saoudiens, des Australiens, et d'autres nationalités encore, comme les Tchétchènes, sorte de forces spéciales dont la participation est jugée particulièrement « tonique ».

Dans cette guerre, la France tient pleinement son rang. Derrière les États-Unis, nous sommes le deuxième contributeur aux opérations aériennes avec à présent 36 avions dont 33 chasseurs – 21 embarqués à bord du Charles-de-Gaulle, engagé pour une mission de huit semaines, et 12 à terre en Jordanie et aux Émirats arabes unis. Depuis août 2014, près de 2 500 objectifs ont été frappés par la coalition dont 1 400 en Irak. Une quarante-neuvième frappe française a eu lieu cette nuit au voisinage de Mossoul, avec trois objectifs traités.

Au sol, nos forces spéciales poursuivent au nord l'entraînement et le conseil des Peshmergas, qui mobilisent une centaine de nos militaires, tandis qu'à Bagdad se met en place une équipe de l'armée de terre pour conseiller les forces de sécurité irakiennes dans le cadre du programme Assist and Advise. La formation de ces dernières sera toutefois longue, voire très longue.

Enfin, j'aimerais faire un point sur la Syrie, même si nous n'y intervenons pas directement. La situation est plus figée, je relève néanmoins quatre tendances.

Kobané constitue pour Daech une première grosse défaite : 3 000 djihadistes seraient morts dans les combats.

Les Kurdes, qui sortent grand vainqueur de cette bataille, mènent également un combat pour les lignes de communication. Leur stratégie prévoit de créer un tampon le long de la frontière turque pour priver Daech d'accès facile à la Turquie.

Par ailleurs, Jabhat al-Nosra, lié à Al-Qaïda, se renforce dans le nord-ouest et l'ouest de la Syrie.

Le régime de Bachar-al-Assad poursuit son action de défense de la Syrie utile, en desserrant l'étau autour de Damas et en poursuivant son entreprise d'asphyxie d'Alep. Il ne reste plus que quelques kilomètres de lignes à prendre pour que cette emprise soit totale. La bataille d'Alep va reprendre. Les éléments sont réunis pour que la ville soit enserrée par les forces loyalistes, lesquelles sont elles-mêmes enserrées par les insurgés de l'armée syrienne libre.

Ajoutons à cela une accentuation de la coordination entre mouvements chiites, qu'il s'agisse du Hezbollah en Syrie – qui a mobilisé 1 500 combattants – ou des milices chiites en Irak présentes dans la partie sud-est du pays, et des appuis apportés par la force Al Qods venue d'Iran.

Nous avons fait savoir aux Américains notre volonté de participer au programme Syria Train and Equip, qui mobilise 500 millions de dollars. Il a pour objectif d'améliorer la formation de 5 000 combattants de l'armée syrienne libre susceptibles de participer au redressement de la Syrie d'après. Les Américains peinent toutefois à mettre ce programme en oeuvre, en particulier parce qu'il est très difficile d'établir un processus de recrutement sûr.

Je me consacrerai maintenant à nos opérations en France.

Comme à l'extérieur, la mobilisation du ministère est totale sur le front intérieur. « Sentinelle » est de fait aujourd'hui notre première opération militaire, eu égard au volume des effectifs déployés.

Le pic de la menace n'est pas passé. La mouvance djihadiste fait montre d'une forte agressivité à l'encontre de la France : la majorité des groupes terroristes ont salué les attaques des 7 et 9 janvier et appellent régulièrement, via les réseaux sociaux, à commettre de nouvelles actions. Dans un communiqué du 30 janvier, Al-Qaïda en péninsule arabique (AQPA) désigne la France comme l'ennemi n° l de l'islam devant les États-Unis. Le 3 février, trois militaires ont été agressés à l'arme blanche et légèrement blessés dans le centre de Nice. Plus récemment, les Shebab somaliens ont appelé dans une vidéo à s'attaquer aux centres commerciaux occidentaux, en particulier parisiens. L'attentat commis contre un centre culturel et une synagogue dans la ville de Copenhague mi-février est un autre signe du poids de la menace. Nos services suivent plusieurs pistes dans le but d'entraver des projets d'attentats avérés et déclenchent régulièrement des interpellations.

Compte tenu de la permanence de la menace terroriste, le Président de la République a décidé, lors du conseil de défense du 25 février dernier, de prolonger jusqu'au 1er juillet prochain le déploiement du dispositif de protection du territoire national tel qu'il existe aujourd'hui.

S'agissant du déploiement de nos forces armées, la première relève des militaires mobilisés dans le cadre de l'opération Sentinelle s'est déroulée la semaine dernière et s'est achevée le 23 février. Aujourd'hui, 682 sites sont protégés par nos soldats en France métropolitaine et outre-mer, dont 330 en Île-de-France, en étroite collaboration avec les forces de sécurité intérieure – police nationale, gendarmerie nationale et polices municipales. À cet égard, je tiens à souligner la bonne coordination entre les préfets et les officiers généraux de zone de défense et de sécurité.

En fonction de la nature des sites, de leur fréquentation, de la présence ou non de public, la protection des lieux peut être statique, dynamique ou mixte, permanente ou diurne seulement. Le choix du mode d'action le plus approprié fait systématiquement l'objet d'un dialogue avec les responsables des communautés religieuses.

Pour accomplir cette difficile mission, nos militaires reçoivent une formation spécifique. Preuve en est le sang-froid qu'ont manifesté les trois militaires attaqués à l'arme blanche à Nice – la tentation aurait pu être grande de tirer mais leur grande maîtrise leur a fait choisir un autre mode de réaction.

La présence que requiert l'opération Sentinelle est très exigeante. À titre d'exemple, en Île-de-France, où sont principalement déployés nos effectifs, la surveillance des écoles juives se fait par une présence statique de 7 heures à 19 heures 30 pour les établissements classiques, et par une présence statique 24 heures sur 24 pour ceux assurant un internat. S'agissant des sites à caractère religieux –- synagogues, centres culturels – la surveillance s'effectue par le biais de patrouilles mobiles permanentes de 6 heures 30 à 22 heures 30.

Nous nous penchons actuellement sur l'amélioration du soutien de la force, notamment en matière d'hébergement. Nous sommes également amenés à prendre de nouvelles mesures d'adaptation internes jusqu'au 1er juillet 2015, sachant que le dispositif pourra être prolongé, compte tenu de la gravité de la situation.

Celle-ci rend d'autant plus pertinente la réflexion que nous avons déjà entamée sur l'adaptation de notre réserve militaire afin que cette dernière prenne une part plus importante à la réalisation du contrat opérationnel. Cette réflexion s'inscrit dans le cadre des travaux d'actualisation de la loi de programmation militaire qui devront prendre en compte les évolutions induites par cette nouvelle mission confiée à nos armées.

Je terminerai mon tour d'horizon des opérations en cours par un regard particulier sur la Centrafrique.

Nous sommes dans une phase plutôt positive. La dynamique de nuisance des ex-Séléka radicaux semble s'effriter fortement dans l'Est du pays. Nous sommes intervenus avec détermination, il y a quinze jours à Bria, pour y déloger Arda Hakouma, le leader FPRC, ou près de N'Délé à l'encontre du général Kanton. Tous deux s'opposaient à la tenue des consultations populaires qui doivent précéder le Forum de Bangui. La neutralisation des éléments perturbateurs a directement permis le retour de l'administration centrafricaine dans cette partie du pays.

Sur le plan politique, les fidèles de François Bozizé et de Michel Djotodia, qui recherchaient dans le cadre des récents pourparlers de Nairobi la déstabilisation du gouvernement de transition et la scission du pays en deux, n'ont finalement pas réussi leur entreprise. Le médiateur désigné par Commission économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), le président Denis Sassou-Nguesso, oeuvre pour la tenue du Forum de Bangui, étape clef vers les élections de l'été. Il semblerait qu'un processus vertueux ait été enclenché, même s'il faut rester modeste et prudent.

Le plein déploiement de la MINUSCA permet d'entamer la diminution des effectifs de Sangaris de à 1 900 à 1 700 soldats, avec l'objectif d'être en dessous de la barre des 1 000 à l'automne.

Enfin, l'avenir de la RCA passe par l'accompagnement des forces de sécurité centrafricaines, à reconstruire presque entièrement. La mission EUFOR RCA, qui était orientée vers le combat, a débuté sa manoeuvre de retrait. Il convient à présent que l'Union européenne prenne le relais à travers la mission de formation EUMAM RCA, dont le principe a été arrêté non sans mal. Elle permettra la reconstitution de l'armée centrafricaine en vue d'accompagner le processus politique que je viens de décrire.

En conclusion, l'activité de nos forces est intense : je suis frappé par leur professionnalisme, leur courage, leur détermination mais aussi par la tension qui pèse sur nos dispositifs. Celle-ci justifie une actualisation de la loi programmation militaire.

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