Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 4 juillet 2012 à 15h00
Débat sur les résultats du conseil européen des 28 et 29 juin 2012

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

Les précédents sommets avaient cru pouvoir régler la question de la dette des États par la seule imposition de règles budgétaires toujours plus contraignantes. Mais celles-ci sont d'autant plus insupportables pour les citoyens qu'outre les conséquences néfastes qu'elles ont sur leur vie quotidienne elles conduisent inexorablement à une baisse de l'activité économique et donc des recettes publiques.

Les précédents sommets avaient cru pouvoir continuer à faire confiance aux capacités autorégulatrices d'un système bancaire qui a pourtant conduit le monde à la crise originelle de 2008, laquelle a entraîné toutes les autres.

Les précédents sommets avaient cru pouvoir ignorer les conséquences pourtant prévisibles de l'abandon des créances grecques, des taux exorbitants imposés par les organismes prêteurs à l'ensemble des États européens, singulièrement aux États les plus fragilisés par leurs déficits ou par leur niveau global d'endettement.

Sur tous ces sujets, reconnaissons-le, il y a aujourd'hui des avancées. L'aide à l'Espagne ne s'accompagnera pas d'une priorité donnée au FESF ou au MES sur les autres créanciers. C'est un élément fort pour desserrer la contrainte de ces taux ahurissants auxquels notre voisin est confronté. La préfiguration d'une véritable union bancaire, qui passe notamment par la supervision d'organismes trop souvent laissés, jusqu'à présent, à leur recherche du seul profit à court terme, est un premier pas. Cette union bancaire, même embryonnaire, nous l'avons trop réclamée pour ne pas la saluer aujourd'hui.

Le desserrement des conditions de l'aide européenne aux pays les plus fragiles, auxquels ne sera plus systématiquement imposée une cure d'austérité automatique et contre-productive, demande à être précisé mais son principe, en soi, est une bonne nouvelle.

Enfin, le déblocage de 120 milliards d'euros dont on nous dit qu'ils seront utilisés pour soutenir l'activité et pour engager des transitions économiques indispensables pour relever les défis de l'avenir mérite également d'être salué.

Cela mérite d'être salué non pas pour des raisons idéologiques, mais parce que le principe de réalité d'Athènes à Madrid en passant par Dublin s'impose à tous. L'austérité plonge les peuples dans le désespoir et la misère. L'austérité ne permet pas le retour à l'équilibre des comptes parce qu'elle étouffe l'activité et donc les recettes. L'austérité ne marche pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

Alors, oui, parce que l'Europe a échappé au statu quo, elle a échappé au pire, et nous ne pouvons, nous, écologistes, parce que nous sommes profondément attachés à l'idée européenne, que nous en féliciter. Nous ne sommes jamais, pas plus sur cette question que sur les autres, partisans de la politique du pire, mais nous sommes également des Européens réalistes, et le réalisme impose de dire que tout cela ne suffira pas, que demeurent trop d'interrogations, trop de zones d'ombre pour que l'on puisse s'en satisfaire. Oui, des interrogations fortes demeurent sur le rôle des institutions financières européennes.

Évoquons-en quelques-unes. Quid du rôle d'une BCE qui serait seule chargée de la supervision bancaire, se retrouvant ainsi, d'une certaine manière, juge et partie, en dehors de tout contrôle démocratique, et dont la capacité d'intervention sur les banques de pays qui ne sont pas membres de la zone euro apparaît pour le moins improbable ? Comment peut-on sérieusement croire que, d'ici au mois d'octobre, les différentes étapes institutionnelles – avis de la Cour constitutionnelle allemande et mise en place du vote d'un dispositif de supervision – auront été franchies ? Et surtout, quelle garantie avons-nous que l'aide à l'Espagne, telle qu'elle est envisagée, pourra attendre cette échéance d'octobre 2012 ?

Le mécanisme européen de stabilité était censé être réservé au refinancement des seuls États. Les avancées enregistrées ce week-end semblent indiquer que les banques y recourront directement en cas de besoin, ce qui vient enfin rompre le cercle vicieux entre endettement public et crise bancaire. Mais faut-il alors modifier le MES pour rendre cette évolution possible ? Selon quel calendrier ? Selon quelles modalités ?

Nos interrogations portent également sur le contenu même de ce pacte de croissance. Elles portent sur la réalité de son montant, puisqu'une partie des sommes évoquées correspond en réalité à des redéploiements. Elles portent sur la forme de cette enveloppe financière, qui mise en partie sur des concours privés complémentaires pour mener à bien les grands travaux qu'elle doit contribuer à réaliser, et veut ainsi faire jouer un effet de levier. Mais avec quels partenaires privés, pour quels travaux ?

Nous espérons vraiment que ces questions seront posées, que l'utile sera préféré au grand, et que les PME et les entreprises développant des technologies innovantes seront préférées aux grands groupes habitués à ces contrats d'État. Nous espérons également que ces investissements participeront à la nécessaire transition écologique, particulièrement pour les transports et l'efficacité énergétique. Enfin, nous espérons que l'intensité en emplois des activités financées par ce biais sera un facteur-clé des choix qui seront faits. Ce concours financier ne pèse qu'1 % du PIB européen ! Il ne représente donc en rien une relance massive susceptible d'aboutir rapidement à un retournement favorable de conjoncture.

L'essentiel pour nous est que ce pacte soit réellement productif d'emplois, et qu'il soit utile aux Européennes et aux Européens, non seulement dans les réalisations qu'il contribuera à mener à bien, mais aussi – et surtout – par les emplois qu'il créera ou soutiendra. C'est là une exigence à laquelle il faudra sans doute revenir.

Évoquer cela, c'est évoquer le contrôle politique de ces décisions, prises dans le cadre intergouvernemental, et que nous serons amenés à examiner et à voter à l'automne.

Sur ces textes, nous avons des interrogations. Je viens d'en évoquer quelques-unes ; nous nous déterminerons, le temps venu, en fonction des réponses que nous obtiendrons à ces questions et de la vision européenne dont nous sommes porteurs, selon chaque famille politique, dans cet hémicycle.

Nous pourrions tous et toutes, sur ces bancs, décrire notre Europe financière idéale. Celle des écologistes s'incarne dans quelques principes clairs et connus. La priorité doit être donnée à la transition écologique de l'économie et de nos modes de vie, comme moteur de l'activité et de la création d'emplois, par des règles communes et des investissements partagés.

Surtout, il faut nous fixer des objectifs réalistes. L'absence de réalisme explique bien souvent les difficultés dans lesquelles se débat notre Union européenne. L'Europe est trop souvent victime de son incapacité à respecter des horizons qu'elle s'est elle-même fixés dans l'espoir vain de satisfaire les marchés. Ces objectifs inatteignables deviennent des pièges qui se referment sur elle et renforcent le sentiment d'impuissance renvoyé au monde et à nos opinions publiques.

On le constate encore dans certains points techniques de l'accord européen conclu ce week-end, mais aussi dans le calendrier de retour à l'équilibre des finances publiques des pays de la zone euro, qui ne prend pas assez en compte les effets dévastateurs des politiques d'austérité sur les sociétés européennes comme sur notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste).

Un dernier principe est essentiel pour nous : la capacité de financer les dépenses d'avenir et la solidarité, à la fois par la possibilité de lever des emprunts à des taux d'intérêts contenus, et par des recettes budgétaires assises sur une fiscalité juste. Cela passe indubitablement par une redéfinition en profondeur du rôle de la BCE – qui devrait, à notre sens, pouvoir prêter directement au MES doté d'une gouvernance démocratique – et par une mutualisation, au moins partielle, des dettes souveraines. Oui, nous voudrions voir mis en place ces fameux eurobonds.

Cela passe également par la fin du dogme de la baisse des impôts conçue comme facteur de croissance. C'est d'abord vrai au niveau des États, et de ce point de vue, la solidarité suppose des exigences : il demeure incompréhensible que des pays aidés continuent à exempter d'impôts leurs Églises ou leurs armateurs, ou continuent de pratiquer un dumping fiscal insupportable par un taux d'imposition des sociétés incroyablement bas. (Marques d'approbation sur les bancs du groupe écologiste.)

C'est vrai aussi au niveau de l'Europe elle-même. Tant que l'Union ne disposera pas d'un budget propre, assis sur une fiscalité commune juste, à commencer par celle des grandes entreprises multinationales, elle ne pourra pas mener les politiques publiques, et notamment d'investissements d'avenir, que les citoyens attendent d'elle.

Alors oui, chers collègues, nous pourrions chacun et chacune décrire notre Europe idéale. C'est d'ailleurs en partie ce que nous faisons aujourd'hui : nous avons là l'occasion de mesurer les différences de vues en fonction des familles politiques dans cette Assemblée. Pour peu que chacune et chacun d'entre nous fasse preuve de sincérité, si nous interrogeons nos homologues de nos familles politiques respectives dans les Parlements des autres pays européens, nous mesurons également à quel point la diversité d'approche politique de ces questions économiques et financières se double d'une diversité d'approche quasiment culturelle parmi les Vingt-Sept.

Condamner l'Europe à la voie permanente du compromis intergouvernemental, c'est multiplier ses clivages et ses freins, c'est la condamner à l'impuissance, au retard dans la décision, et en définitive à l'absence de démocratie. Combien de temps serons-nous encore condamnés à aller de sommet de la dernière chance en sommet de la dernière chance ?

Pour les écologistes, s'il est une utilité à ce débat, c'est bien de poser la question qui pour nous est essentielle. Il faut mettre fin au mauvais feuilleton dont je parlais à l'instant, même s'il est parfois ponctué d'épisodes moins mauvais que d'autres. La seule manière d'y mettre fin, c'est de faire preuve d'audace, cette audace dont parlait hier François de Rugy, et que nous attendons de la nouvelle majorité. L'audace de franchir enfin ce saut fédéral qui n'est pas pour l'Europe une option possible, mais bien une condition à la sortie de la crise et à une prise de décision efficace et réactive. Nous y perdrions, entend-on souvent, de la souveraineté. Mais de quelle souveraineté, de quels droits s'agit-il ? En quoi une Assemblée comme la nôtre, condamnée à commenter après coup les réunions de chefs d'État et de gouvernement et dénuée du droit de vote sur les décisions qui y sont prises, est-elle réellement souveraine ? En quoi la dévolution d'une souveraineté formelle au bénéfice de structures opaques et non démocratiques serait-elle préférable à une démocratie européenne contrôlée et orchestrée par le Parlement de l'Union ?

Que ce sommet soit salué pour ses avancées, et qu'il soit également interrogé pour ses insuffisances. Surtout, qu'il soit l'occasion de repenser enfin le fonctionnement de notre Union et d'envisager le saut audacieux indispensable, non seulement pour sauver l'euro, mais surtout pour relancer l'Europe. Voilà le voeu que formulent aujourd'hui par ma voix les députés écologistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et plusieurs bancs du groupe SRC.)

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