Intervention de Alain Claeys

Séance en hémicycle du 11 mars 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Après l'article 3

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Claeys, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, si vous le permettez, en donnant l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune, je présenterai un raisonnement global.

« Nos concitoyens aspirent à une fin de vie paisible, digne et choisie. » Voilà comment débute l’exposé sommaire de l’amendement no 560 , cosigné par un certain nombre de mes collègues du groupe SRC. Je n’ai pas un mot à retrancher à cette phrase. Comme eux, j’ai fait le constat, tout au long de nos auditions, de ce que l’on appelle le « mal-mourir » en France. Comme eux, je dénonce l’inégalité flagrante des conditions de fin de vie entre les territoires ; entre les établissements d’hébergements pour personnes âgées dépendantes et les structures hospitalières ; et souvent, au sein même de celles-ci. Tout comme eux, je souhaite que l’autonomie de la personne soit respectée jusqu’au bout, et que les patients décèdent de façon apaisée, à l’abri de toute souffrance.

À partir d’un constat identique, et mû par une semblable volonté, je n’aboutis cependant pas à une réponse similaire. Notre réponse, vous le savez, est la sédation profonde et continue. Avant même d’aller plus loin, je veux répondre aux critiques que j’ai entendues à ce sujet. Elles concernent notamment le délai et l’arrêt de l’hydratation et de la nutrition artificielles. Sur ce dernier point, toute personne ayant accompagné jusqu’à son ultime moment un proche atteint d’une maladie grave et incurable sait que ce dernier cesse toute alimentation et toute hydratation au cours des derniers jours précédant son décès. C’est en ce sens qu’Axel Kahn peut parler de pratiques assimilables à de l’acharnement thérapeutique lorsque l’hydratation et la nutrition artificielles sont laissées en place pour des malades en fin de vie bénéficiant d’une sédation profonde et continue.

Quant au débat sur le délai au cours duquel survient le décès, il est pour moi sans objet. La question n’est en effet pas tant le nombre d’heures qui séparent le patient de sa fin de vie, mais la qualité de celles-ci. En plongeant le patient dans un sommeil très profond et continu, toute notion de souffrance, physique, psychique, psychologique est écartée.

Au-delà de ces questions, mes chers collègues, je voudrais revenir aux fondements même de ce à quoi nous croyons, vous comme moi. La liberté de décision jusqu’à l’ultime moment est garantie par la proposition de loi que Jean Leonetti et moi-même présentons. L’autonomie sera assurée par les directives anticipées, qui s’imposeront aux médecins. La parole du patient, même quand celui-ci est hors d’état de l’exprimer physiquement, sera ainsi entendue et respectée jusqu’au bout. L’autonomie sera encore accrue grâce au renforcement du statut de la personne de confiance qui, elle aussi, portera jusqu’à la fin la parole du patient empêché. L’autonomie sera enfin améliorée avec le droit, pour le malade, d’arrêter lorsqu’il le souhaite son traitement de maintien en vie, et de bénéficier alors d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Mes chers collègues, la liberté dont nous parlons n’est pas une demande d’affranchissement de toute empathie. Souvenons-nous de ce que la commission dirigée par le professeur Sicard disait de l’euthanasie à la fin de l’année 2012 : elle « intériorise des représentations sociétales négatives d’un certain nombre de situations de vieillesse, de maladie et de handicap » et risque d’éloigner la médecine du « devoir universel d’humanité de soins et d’accompagnement ». Aucun de nous, je le sais, ne souhaite voir le soignant s’éloigner du soigné, et s’abstraire du nécessaire secours qu’il lui doit en se retranchant derrière une solution rapide et froidement définitive. Tous ici, nous sommes habités par cette exigence d’humanité qui doit accompagner le patient jusqu’à son ultime souffle. Là où l’euthanasie risque d’éloigner, l’accompagnement vers la sédation rapproche.

Nous le savons tous : comme le dit fort justement le président de l’Observatoire national de la fin de vie, le professeur Régis Aubry, la demande d’euthanasie est d’abord et avant tout un appel au secours. La réponse à cet appel au secours ne peut être un geste létal. La société a une obligation, dont elle ne peut se délier. Les conditions de fin de vie des Françaises et des Français doivent être au coeur des évolutions médicales. Il y a naturellement des peurs, des préventions : elles sont légitimes. Qui n’en aurait pas, face à la maladie et à ses conséquences, à savoir la perspective du handicap et de la dépendance ?

Là encore, à l’effroi d’une fin de vie faite de souffrance, répond le droit à la sédation suivi de l’arrêt de tout traitement. Le patient, pris en charge de la même façon sur tout le territoire, saura qu’une fin de vie apaisée lui est garantie. Chers collègues, c’est là, à mon sens, la principale force de notre texte. Comme l’a encore rappelé le Conseil national de l’ordre des médecins lors d’une récente réunion avec la commission des affaires sociales, la clause de conscience ne s’appliquera pas pour la sédation profonde et continue jusqu’au décès. À l’inverse, même les plus fervents partisans de l’euthanasie admettent qu’elle serait assortie d’une clause de conscience. La sédation profonde et continue jusqu’au décès sera donc appliquée par toutes les équipes médicales, en tous lieux du territoire national, à toute personne le demandant et remplissant les critères fixés par ce texte.

Si vous voulez, mes chers collègues, garantir l’autonomie du patient jusqu’à son dernier souffle,…

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