Intervention de Norbert Trichard

Réunion du 18 février 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Norbert Trichard, secrétaire général du Syndicat national des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l'enseignement public, SNUDI-FO :

J'interviens ici plus particulièrement au nom de la Fédération nationale de l'enseignement, de la culture et de la formation professionnelle (FNEC FP-FO).

Face aux tragiques événements qui ont eu lieu début janvier, nos collègues se sont sentis à la fois très seuls et très exposés, en première ligne. Dans un premier temps, ils ont eu le sentiment qu'on leur demandait beaucoup, voire tout, tout de suite, dans des conditions d'exercice de leur mission qui sont aujourd'hui difficiles. Si certains corps de fonctionnaires ont reçu, suite à ces événements, les hommages qu'ils méritaient, les enseignants n'ont pas toujours eu le sentiment d'avoir eu le droit au même traitement.

Je m'efforcerai après ce préambule de donner le point de vue de notre syndicat sur les grands principes qui ont présidé à l'élaboration des onze mesures annoncées par la ministre et qui posent, selon nous, un certain nombre de difficultés.

La première d'entre elles touche à la question de la laïcité. Nous souhaitons redire ici que cette notion renvoie pour nous à la laïcité institutionnelle, telle qu'elle est définie par l'article 2 de la loi de 1905, aux termes duquel « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Si j'y insiste, c'est que nous craignons que l'ouverture de discussions dans les écoles, collèges et lycées présente le risque majeur de cristalliser des positions et des oppositions susceptibles d'introduire du communautarisme au sein de l'école publique.

De ce point de vue, la question du choix et de la validation des volontaires bénévoles doit être abordée. La réforme des rythmes scolaires a ouvert les portes de l'école de la République à des intervenants, certes pleins de bonne volonté, mais dont ni les gestes ni les propos ne sont véritablement contrôlés. Dans nombre de communes – c'est le cas à Paris –, des associations cultuelles, subventionnées par la mairie, participent ainsi à l'organisation des temps d'activités périscolaires. C'est notamment le cas dans une commune du Gard à propos de laquelle nous avons saisi le cabinet de la ministre le 19 novembre, sans avoir à ce jour obtenu de réponse.

En 2015 vont par ailleurs voir le jour, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires et de la mise en oeuvre de la loi pour la refondation de l'école, les projets éducatifs territoriaux. S'ils comportent un volet sur la laïcité, il reviendra à chaque collectivité de l'organiser comme elle l'entend, ce qui ne nous paraît pas conforme aux principes de la laïcité institutionnelle. Principe fondateur de notre République, la laïcité ne peut être que l'affaire de l'État et ne doit pas être dévolue aux collectivités territoriales.

La seconde difficulté touche au respect de la liberté de conscience. Jean Zay déclarait en 1936 : « Les écoles doivent rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas. » Pour l'exprimer selon nos propres termes, nous ne sommes pas partisans de la coéducation. Nous estimons que la responsabilité des parents envers leurs enfants ne peut être confondue avec celle des enseignants : elles ne sont pas de même nature, n'ont pas la même fonction sociale et ne peuvent pas se déléguer, ni dans un sens ni dans l'autre. À cet égard, ouvrir le débat dans les écoles comporte le risque de voir mis en cause, même involontairement, ce principe de la liberté de conscience des familles. L'actualité récente nous en a apporté la preuve, au travers de ces enseignants qui, ayant voulu mettre en oeuvre, certes maladroitement, les consignes de la ministre, ont été sanctionnés pour n'avoir pu éviter les dérapages sur des sujets extrêmement sensibles. Ce sont des faits regrettables, dont nous ne voudrions pas qu'ils se reproduisent.

Une troisième question retient toute notre attention, celle de l'autorité des enseignants. Restaurer l'autorité des enseignants, c'est aujourd'hui leur permettre d'exercer leur mission en pleine souveraineté. Cela signifie qu'il est essentiel de renforcer la liberté pédagogique et l'indépendance professionnelle dont ils jouissent. L'une et l'autre sont en effet la garantie pour l'enseignant de pouvoir mener sa mission, qui est d'instruire, c'est-à-dire d'apprendre à la jeune génération à se tenir debout, de faire des élèves des adultes citoyens à part entière, capables de juger et de décider.

Cela ne peut se faire qu'au moyen d'un renforcement des enseignements disciplinaires, au premier rang desquels l'enseignement de l'histoire. La loi pour la refondation de l'école ne va pas précisément dans ce sens, et nous le regrettons.

La restauration de l'autorité des enseignants passe également par la revalorisation de leur rémunération. Les enseignants sont mal payés. Certains ont vu le mois dernier leur salaire net diminuer de plusieurs dizaines d'euros, ce qui ne les aide ni à vivre décemment ni à s'imposer au sein de l'école comme des piliers de la République.

Il y aurait enfin beaucoup à dire sur la manière dont le plan de mobilisation pour l'école entend restaurer l'égalité des chances. On nous parle de discrimination positive ou d'éducation prioritaire. Soit. Mais que penser de choix politiques qui ont conduit à exclure certains établissements du bénéfice des mesures de soutien associées aux zones difficiles ? Pour Force Ouvrière, restaurer l'égalité des chances passe d'abord par l'ouverture de classes et la création de postes supplémentaires.

2 511 nouveaux emplois de professeur des écoles sont annoncés dans le premier degré pour la rentrée prochaine. Si l'on défalque cependant de ces effectifs les décharges de directeur, les décharges de service dans les réseaux d'éducation prioritaires et la mise en place du dispositif « plus de maîtres que de classes », il restera au mieux cinq à six cents postes pour vingt-quatre mille cinq cents élèves supplémentaires, soit, en moyenne, un poste pour trente-huit élèves, ce qui signifie une dégradation des conditions d'études.

Que dire par ailleurs de la question des remplacements ? À Castres dans le Tarn, on compte actuellement en moyenne dix-neuf enseignants non remplacés chaque jour. Pour pallier ces situations catastrophiques, l'administration recrute des contractuels – quatre cent cinquante instituteurs contractuels à ce jour en Seine-Saint-Denis. Les réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté (RASED), les assistantes sociales, les médecins scolaires manquent eux aussi en très grand nombre.

Cette pénurie de personnels remet en cause le maillage territorial, qui est pourtant l'un des principes sur lesquels repose notre école publique. 35 % des communes ne possèdent aujourd'hui plus d'école, et le phénomène gagne le milieu urbain : des villes comme Châlons-en-Champagne ou Nevers subissent aujourd'hui des fermetures d'école.

Cela m'amène à une conclusion simple : pour Force Ouvrière, la politique d'austérité est en contradiction avec les besoins de l'école. Il est donc temps d'y mettre un terme.

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