Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du 11 février 2015 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean-Yves le Gall :

Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour la richesse et la variété de vos questions.

Plusieurs d'entre elles ont porté sur les débris spatiaux. La meilleure façon de ne pas avoir de débris spatiaux est de ne pas en créer, car il n'existe pas de projets de filet géant qui permettrait de les récupérer. Au tout début de l'ère spatiale, les lanceurs et les satellites n'étaient pas propres : leur séparation se faisait à l'aide de boulons explosifs qui laissaient dans l'espace des débris d'une taille modeste, certes, mais qui, à la vitesse de 9 kilomètres par seconde, peuvent causer des dégâts importants. Ainsi je me souviens d'avoir assisté au retour d'une navette spatiale qui avait embarqué Jean-Loup Chrétien ; un débris qu'on avait identifié comme une écaille de peinture avait créé un petit cratère sur le pare-brise… Il ne faut donc pas créer de débris. À cette fin, la France a adopté une réglementation qui figure dans la loi sur les opérations spatiales. Désormais, il est prévu de faire rentrer l'étage supérieur des fusées et d'éviter les débris en faisant en sorte, par exemple, que la sangle de séparation reste accrochée à l'étage supérieur. Cette approche est de plus en plus partagée par les puissances spatiales. Je précise que les débris en orbite basse ont vocation à rentrer, car ils s'usent sur les hautes couches de l'atmosphère. Dès lors, si nous adoptons une attitude responsable, ces débris – qui sont au nombre de 23 000, mais il ne s'agit là que de ceux qui sont détectables par le NORAD, c'est-à-dire ceux dont la taille est supérieure à un centimètre – devraient donc se résorber.

La question suivante portait sur notre partenariat avec l'Allemagne. Celle-ci accroît son effort dans le domaine spatial, même si elle a encore une marge de progression importante. Nous avons donc souhaité, lors de la conférence de Luxembourg, qu'elle participe au programme Ariane 6 à hauteur de 22 %, et non de 10 % comme elle l'envisageait initialement. Dès lors que les États-Unis, la Chine et l'Inde développent leur politique spatiale, l'Europe doit faire de même et, pour cela, la France ne peut être seule. C'est pourquoi il est important que nos amis allemands maintiennent leur effort dans ce domaine.

Que peut-on penser de la fusée réutilisable développée par la société SpaceX ? Celle-ci approche en effet le marché avec des technologies qualifiées de disruptives. Ainsi, lors du dernier lancement auquel il a procédé, Elon Musk est parvenu à faire revenir le premier étage de son lanceur sur un mode propulsé. Certes, celui-ci s'est mal posé et il s'est écrasé sur la barge de récupération, mais il est vraisemblable que, dans les mois qui viennent, cet étage se posera avec succès. En tout état de cause, il faut saluer cette performance technique car, à ma connaissance, jusqu'à présent, la seule fusée qui se soit posée sur son moteur, c'est celle de Tintin, développée par Hergé… Toutefois, au-delà de la performance, la question qui se pose est celle des conditions économiques de la réutilisation de cet étage, qui aura probablement souffert lors de son entrée dans l'atmosphère. Le coût de sa remise à niveau devra donc être mis en balance avec celui de la production d'un nouvel étage. Quoi qu'il en soit, nous suivons cela de très près car, si l'expérience est concluante, nous aurons à y apporter une réponse.

En ce qui concerne le contrat que l'Agence spatiale européenne a attribué à Airbus Defence and Space pour les satellites MetOp de deuxième génération pour un montant de 1,3 milliard d'euros, il s'agit d'un programme absolument majeur auquel la France participe de deux manières, par ses contributions à l'ESA et à EUMETSAT, et qui représente plusieurs centaines d'emplois durant plusieurs années dans l'industrie spatiale européenne, en particulier française.

J'en viens maintenant à la création d'Airbus Safran Launchers. Il est clair qu'une telle rationalisation de l'industrie spatiale européenne s'impose si nous voulons résister au choc de la compétition dans laquelle nous sommes engagés, en particulier avec SpaceX. Dans l'usine que cette entreprise possède en Californie, on voit des tôles entrer d'un côté et des fusées sortir de l'autre, alors que la fabrication d'Ariane 5 est éclatée sur 25 sites différents en Europe. Cette organisation a un coût structurel : l'industrie spatiale européenne compte une dizaine de PDG. Celle-ci a donc décidé, à la suite de nombreuses discussions avec l'Agence spatiale européenne et le CNES, de simplifier le schéma industriel. Cette rationalisation est en effet un des trois facteurs qui nous permettront de concurrencer SpaceX, les deux autres facteurs étant le développement d'un lanceur au design simplifié, Ariane 6, et le soutien des États. Quant au transfert des parts du CNES dans le capital d'Arianespace, c'est un sujet sur lequel nous travaillons actuellement ; des négociations sont en cours avec les industriels. Il faudra donc patienter quelques mois pour savoir quelles seront l'orientation choisie et les conditions de la transaction.

Quant à la coopération du CNES avec les autres établissements, elle doit d'abord se développer en France. Nous avons ainsi conclu de nombreux accords, notamment avec le CNRS et le CEA – qui dispose, à Grenoble et à Saclay, de compétences intéressantes dans le domaine des rayons X et de l'observation dans l'infrarouge –, et nous en conclurons prochainement un avec l'Office national d'études et de recherches aéronautiques (ONERA). Il nous faut poursuivre dans cette voie et continuer à développer une approche coopérative entre les différents instituts de recherche français, à l'instar de ce que font les Allemands avec le Fraunhofer-Institute, ou les Américains avec la National science foundation (NSF). Travailler tous ensemble est le meilleur moyen d'augmenter notre « puissance de feu ».

Quelles retombées attend-on du projet Ariane 6 ? Tout d'abord, le programme de développement va permettre d'injecter, dans les cinq années à venir, 4,5 milliards d'euros dans l'industrie spatiale européenne. Ces crédits permettront d'assurer le plan de charge des bureaux d'études, qui pourront ainsi développer un nouveau produit innovant capable de résister à la concurrence étrangère. Ensuite, à moyen terme, la pérennisation d'Ariane 5 est garantie. Nous avons mis beaucoup de temps à en faire le produit d'exception qu'il est aujourd'hui ; ses 63 succès d'affilée ne doivent pas faire oublier les difficultés que nous avons rencontrées lors de ses premiers vols il y a dix ans. Ariane 5 existera donc jusqu'au début des années 2020, puis Ariane 6 prendra la relève.

Par ailleurs, l'implication du CNES dans le domaine de l'environnement est quotidienne. Outre l'élévation du niveau des océans due au réchauffement climatique – trois millimètres par an, cela semble peu, mais cela représente six centimètres en vingt ans, trente centimètres en un siècle –, nous mesurons le phénomène qui est à l'origine de ce réchauffement, c'est-à-dire les émissions de gaz à effet de serre : méthane et gaz carbonique. De plus, les satellites permettent de s'assurer, par des mesures locales de ces émissions, que les pays qui signent des accords internationaux dans ce domaine – à Lima l'année dernière, à Paris cette année – les appliquent. À cet égard, l'accord que j'ai tenu à signer avec les Chinois est particulièrement important, car le fait d'associer la Chine à nos projets rendra les contestations de ces mesures plus difficiles.

S'agissant de la formation des personnels et de la sensibilisation des jeunes, le CNES travaille beaucoup dans ce domaine, auquel j'attache une importance particulière. J'ai moi-même participé, avec Mme Fioraso, à une opération « Espace dans ma ville » organisée à Douai, et j'ai été très satisfait et un peu ému de constater que, dans ces quartiers extrêmement difficiles, non seulement nous apportions plaisir et détente à des jeunes qui ne participent pas souvent à ce type de manifestations, mais que nous suscitions un véritable intérêt pour les sciences. Par ailleurs, chaque année, nous organisons le C'Space, qui rassemble pendant une semaine de jeunes étudiants qui ont préparé de petites fusées que le CNES les aide à lancer. Cette action, qui a une double vocation, éducative et sociale – c'est la dimension à laquelle je suis le plus attaché – doit être poursuivie. Nous avons du reste un programme très dense en ce domaine.

J'en viens à la gouvernance d'Ariane 6. Pour faire face à l'intensification de la compétition, il nous faut jouer à armes égales avec nos concurrents. Cela suppose que chacun ait un rôle bien défini. Nous avons ainsi recentré les agences sur leur métier de maître d'ouvrage. Mais je veux rassurer M. Chassaigne : nous ne signerons pas pour autant un chèque en blanc à l'industrie. Nous avons en effet conclu un accord avec l'Agence spatiale européenne, aux termes duquel la direction des lanceurs du CNES interviendra en tant que direction technique afin que le lanceur soit exactement celui que nous avons spécifié. De son côté, l'industrie prendra davantage de risques et bénéficiera d'une certaine marge de manoeuvre pour s'organiser et produire le lanceur dans les meilleurs délais.

Bien entendu, le CNES conserve ses missions régaliennes : il gère le budget, de plusieurs milliards d'euros, veille à l'application de la loi sur les opérations spatiales et procède aux lancements du Centre spatial guyanais. Ainsi, c'est le directeur du centre qui, sur délégation du président du CNES, donne l'ordre de tir. Nous assumons également, avec l'ESA, la maîtrise d'ouvrage du lanceur. En outre, j'ai tenu à ce que nous conservions la maîtrise d'oeuvre de la construction du pas de tir en Guyane. Ce chantier coûtera en effet plusieurs centaines de millions d'euros et nous voulons nous assurer que la Guyane tirera bénéfice du programme Ariane 6 ; un effort considérable sera fait en faveur de l'emploi local et de l'emploi social afin de fournir du travail aux jeunes Guyanais.

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