Intervention de Denys Robiliard

Séance en hémicycle du 14 février 2015 à 22h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 101

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur thématique de la commission spéciale :

Je n’en doute pas. Moi aussi.

L’administrateur, l’entreprise en redressement ou le liquidateur peut donc demander des moyens au groupe, mais ne peut rien exiger. Bref, le mandataire, le professionnel, l’organe de la procédure, l’employeur doit établir un plan, mais il n’a pas accès aux moyens et n’est pas in bonis. Il établira donc nécessairement un plan en fonction de ses seuls moyens, qui sont faibles. En outre, il ne pourra aller au-delà des moyens dont il dispose car les indemnités supra-légales ne sont pas couvertes par l’assurance générale des salariés, comme l’article L. 3253-13 du code du travail en dispose très précisément.

Dès lors, il élabore un plan en fonction des moyens qu’il a et non de ce qu’il devrait avoir. En cas de recours, puisque le plan aura été en fonction des moyens du groupe et non de ceux de l’entreprise, il perdra, et il en résultera des dommages et intérêts qui effaceront l’éventuelle conclusion positive du redressement judiciaire.

Telle est la situation. Le Gouvernement a considéré, si j’ai bien compris le raisonnement qui fonde l’article, qu’il ne pouvait la laisser se perpétuer et qu’il fallait par conséquent en cas de redressement ou de liquidation judiciaire déconnecter le plan des moyens du groupe et ne le lier qu’aux moyens de l’entreprise. Tel est le sens de ce qui est proposé.

Le même raisonnement s’applique à l’obligation de reclassement. Ce n’est pas parce que l’employeur est en redressement judiciaire que sa mère et ses soeurs ne sont pas en capacité de proposer des offres de redressement. Par conséquent, nous avons supprimé la deuxième règle pour ne conserver que le plan de sauvegarde de l’emploi, sachant que l’obligation de redressement fait partie du plan de sauvegarde de l’emploi, ce qui constitue de ce point de vue une modification importante.

L’amendement que je propose prévoira une simple obligation de moyens, car je ne peux pas édicter une obligation de résultat sans disposer du chemin juridique pour contraindre le groupe à payer. Il contraindra l’entreprise en cas de redressement judiciaire simplifié, l’administrateur en cas de redressement judiciaire ou le liquidateur en cas de liquidation judiciaire à aller chercher les moyens du groupe. Les trouvera-t-il ? S’il ne les trouve pas, il n’aura d’autre solution que construire avec les moyens de l’entreprise.

Deux questions se posent alors : Pouvait-on faire autrement ? Et un tel dispositif favorise-t-il la fraude, comme l’ont dit me semble-t-il Mme Fraysse et Mme Carrey-Conte ?

Que signifie chercher à contraindre le groupe ? Cela consiste à poser la question de la responsabilité du groupe. La première possibilité est de chercher la responsabilité au niveau de l’actionnaire. Tout le droit des sociétés, du moins les plus classiques, sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiée et société anonyme à responsabilité limitée, limite la responsabilité de l’actionnaire à la perte de la valeur de ses actions. C’est lui qui, en cas de liquidation, sera remboursé en dernier – mais cela s’arrête là. Ce n’est donc pas par le droit des sociétés que l’on trouvera une solution. On pourrait changer la règle et prévoir que les actionnaires, à l’avenir, seront responsables, mais je pense que cela aurait des effets très préjudiciables, tant sur la structuration de notre économie que sur le plan international. Par conséquent, je ne pense pas que ce soit une solution vers laquelle on puisse s’orienter.

Deuxième possibilité : on trouve, dans la nature du groupe, des systèmes qui permettent de mettre en jeu la responsabilité de ce dernier. Aujourd’hui, c’est possible avec la théorie du co-emploi. Qu’est-ce que le co-emploi ? C’est une théorie assez ancienne ; je renvoie à ce propos aux travaux du professeur Isabelle Vacarie. Dans un arrêt « Metaleurop » du 28 septembre 2011, la Cour de cassation a indiqué que soit il y avait un lien de subordination avec la mère, soit il existait une confusion d’activités, de direction et d’intérêts entre plusieurs sociétés, en conséquence de quoi, sans le savoir nécessairement – parce que vous pensez que votre employeur est celui qui signe votre fiche de paye – vous avez un autre employeur, la mère par exemple, dans un groupe capitalistique. Dans ce cas, vous pouvez aller chercher les moyens du groupe, puisqu’il s’agit également des moyens de l’employeur.

La théorie juridique telle qu’elle existe aujourd’hui, mais à condition de l’établir, permet donc de mettre en jeu la responsabilité du groupe par ce mécanisme, qui suppose une véritable intégration. En effet, la Cour de cassation a dit tout récemment, dans l’arrêt Molex du 2 juillet 2014, que la coordination des actions économiques entre sociétés d’un même groupe, et l’état de domination d’une société sur les autres, n’impliquait pas nécessairement qu’il y ait co-emploi. Cette théorie du co-emploi est donc limitée.

Faut-il aller au-delà ? Si nous l’avions fait, peut-être des amendements auraient-ils été présentés qui proposeraient une règle compatible avec les exigences de l’économie… Voilà pourquoi on n’est pas allé plus loin. Augmente-t-on le risque de fraude ? Pour cela, il faudrait que vous me démontriez que je supprime quelque chose qui existe. Or, vous ne niez pas que l’obligation du groupe n’existe pas. Si l’on ne la supprime pas, l’on ne peut pas augmenter le risque de fraude.

Je sais qu’il existe des groupes qui font ces calculs-là, qui déposent le bilan d’une de leurs filiales ou qui contraignent une filiale à le faire. Je sais que le mécanisme existe. En termes de responsabilité délictuelle, l’article 1382 du code civil permet d’engager leur responsabilité. J’ai cité devant la commission un arrêt très récent de la Cour de cassation, en date du 8 juillet 2014, portant sur ce sujet. Ce chemin existe donc, aux fins de prévention.

Il existe un autre moyen de développer la prévention. Savez-vous ce qu’est une procédure collective ? Savez-vous ce que c’est que de se trouver devant un tribunal de commerce, en présence d’un administrateur qui peut ordonner une expertise et aller chercher les responsabilités, examiner les flux financiers entre la mère et la fille, identifier les actes anormaux de gestion ? Ce système de responsabilité est la meilleure prévention qui existe contre la fraude. Voilà pourquoi je dis que l’on ne pouvait pas aller plus loin. En tout cas, je n’ai pas trouvé le moyen de le faire. Et cet article ne supprime rien.

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