Intervention de Philippe Askenazy

Réunion du 11 février 2015 à 11h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Philippe Askenazy, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique, CNRS, chercheur à l'école d'économie de Paris :

C'est vrai, mais les Britanniques font le choix de former des étudiants – au niveau L3, et même M1 ou M2 – qui travailleront dans le secteur de la finance. C'est un choix de spécialisation industrielle. Mais il y a aujourd'hui un pôle financier en Europe : un autre pays en peut plus faire le même choix.

Les pays qui se tournent plutôt vers l'innovation et la recherche ont formé des docteurs scientifiques – je ne plaide pas pour les économistes, mais bien pour les scientifiques.

La France dispose néanmoins d'une main-d'oeuvre de plus en plus formée, et qui est travailleuse. On ne peut pas dire que les Français travaillent peu par rapport à d'autres : la productivité du travail en France se situe parmi les plus élevées en Europe. Elle demeure cependant moindre qu'elle n'est aux États-Unis : la richesse produite par habitant en Europe est en deçà de la richesse produite par un Américain. Les arbres ne poussent pas jusqu'au ciel, c'est vrai ; mais certains montent au-dessus des nôtres, et cela doit nous amener à nous poser des questions.

Pour monter plus haut, il faudrait donc peut-être changer de modèle industriel. Des voies ont été tracées : la transition énergétique, par exemple, surviendra un jour ou l'autre – les énergies fossiles disparaîtront, la question climatique se posera. Imaginons que nous fassions ce choix, d'autant que la France accueillera la Conférence sur le climat à la fin de l'année et que nous disposons d'acteurs importants dans ce domaine. Il faudrait alors faire des choix de mix énergétique, par exemple, qui ne sont pas ceux d'aujourd'hui ; il faudrait faire de nos champions nationaux du nucléaire des leaders internationaux du démantèlement des centrales nucléaires ; bref, il faudrait de la cohérence. La France a fortement soutenu, par une politique fiscale très favorable, l'énergie solaire, puis elle l'a abandonnée : il faut faire l'inverse, dessiner des perspectives de long terme et s'y tenir – ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas corriger des erreurs lorsqu'on en a fait.

Quels sont les freins à l'investissement ? Les banques disposent de masses de liquidités considérables, les taux d'intérêt sont jamais été aussi bas, des outils publics ont été mis en place : il n'est donc pas si difficile d'investir en France. Nous sommes plutôt face à des entreprises qui font le choix de ne pas investir parce qu'elles se trouvent dans une situation d'incertitude – incertitude macroéconomique sur l'avenir de la zone euro, mais aussi incertitude sur la demande de demain ou incertitude sur la politique du pays. Faire le choix d'une politique industrielle, c'est choisir un horizon, et c'est ce qui encourage les acteurs à investir. Il faut casser cette incertitude qui, en France, se cristallise souvent sur les questions fiscales. Pour cela, il faut sortir des incertitudes mortifères sur l'Europe, et résoudre nos problèmes institutionnels, et tracer des perspectives.

Quant au PIB et au bonheur, pour terminer, c'est un enjeu fondamental : comment faire naître une croissance économique fondée sur les besoins de la population française ? C'est une autre question possible pour imaginer une politique industrielle : ne pourrait-on pas créer un nouvel horizon en nous intéressant à la vaste question de la dépendance et de la santé des seniors, par exemple ? Les créations d'emploi ne seraient pas franco-françaises, et de là pourrait naître une nouvelle croissance.

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