Intervention de Guillaume Tusseau

Réunion du 11 février 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Guillaume Tusseau :

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux et profondément honoré de me présenter à vous aujourd'hui afin que vous puissiez vous prononcer sur la proposition qu'a formulée le Président de l'Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature.

Il est très singulier, pour un constitutionnaliste qui a, plusieurs années durant, étudié et enseigné le droit constitutionnel, d'être ainsi proposé en vue de passer de l'autre côté du « miroir institutionnel » pour occuper des fonctions au sein de l'un des organes que consacre notre texte fondamental.

C'est à la lumière de ce parcours, que j'exposerai brièvement tout d'abord, que je pourrai préciser ensuite ma conception de la très haute responsabilité qu'il vous revient de décider de me confier.

Agrégé de droit public, je suis depuis 2010 professeur des universités à Sciences Po. Les principaux champs d'intérêt dont relèvent mes activités sont de deux ordres. Depuis une quinzaine d'années, je me suis tout d'abord intéressé au droit public, notamment au droit administratif mais aussi au droit constitutionnel, sous un angle à la fois national et comparatiste. Mes travaux les plus récents portent ainsi sur le droit constitutionnel et les institutions politiques, ainsi que sur le contentieux constitutionnel comparé, ou « droit processuel constitutionnel comparé ». Je suis de ce fait familier de la trajectoire propre du constitutionnalisme français, d'une part, et, d'autre part, du large spectre de dispositifs institutionnels par lesquels différents États organisent leur justice selon leurs contraintes politiques, économiques, sociales et culturelles.

Le second de mes centres d'intérêt a trait à la philosophie du droit et à la théorie du droit. C'est à ce titre que je me suis intéressé à la théorie des concepts juridiques, à la méthodologie juridique, ainsi qu'à certains grands courants de la pensée juridique, notamment anglo-saxonne, et plus particulièrement à la pensée de Jeremy Bentham. J'ai ainsi étudié, au sein du centre Bentham dont je suis l'un des fondateurs, la notion de déontologie, dont il est l'inventeur, et tenté de préciser la manière dont sa conception des assemblées parlementaires qu'il veut souveraines peut assurer ce qu'il appelle la « jonction de l'intérêt et du devoir » des différents agents publics. Les propositions de Bentham, qui fondent l'organisation de nombreux systèmes juridictionnels et institutionnels dans les États contemporains, fournissent un répertoire important d'idées et d'arguments propres à nourrir tant la réflexion que la pratique. Ma thèse, intitulée Les normes d'habilitation, tentait d'associer ces deux perspectives en analysant le pouvoir normatif des acteurs juridiques à la lumière d'une enquête de type conceptuel.

À ces activités académiques, je me suis efforcé d'adjoindre une pratique plus opérationnelle du droit. J'ai ainsi obtenu le certificat d'aptitude à la profession d'avocat et exercé comme consultant en droit public, notamment au sein du cabinet Corpus consultants, dont je suis, avec M. Robert Badinter, l'un des associés fondateurs. J'ai conduit plusieurs missions d'expertise internationale, notamment pour le compte de l'Union européenne, consacrées à la mise en place de juridictions constitutionnelles ou encore d'autorités indépendantes assurant la protection des données personnelles. Dernièrement, j'ai été nommé au sein du groupe de travail sur l'avenir des institutions coprésidé par MM. Claude Bartolone et Michel Winock. C'est dire combien les problématiques concrètes concernant la déontologie des professions juridiques et, plus généralement, la déontologie publique, ainsi que la mise en place d'institutions caractérisées par leur indépendance vis-à-vis d'autres autorités, sont loin de m'être étrangères.

Cette expérience pratique, nourrie par des travaux académiques qu'elle alimente en retour, me permet d'espérer contribuer de manière utile aux missions dévolues aux personnalités qualifiées du CSM.

Au-delà des caractéristiques propres de mon parcours et des compétences personnelles qui, aux yeux du Président de l'Assemblée nationale, ont justifié que mon nom soit soumis à la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, je tiens à insister sur le fait que c'est avant tout la manière dont ces éléments trouveraient à se combiner avec les compétences des autres membres du CSM qui pourrait prouver l'utilité et la pertinence de ma présence et de mon action au sein de cette institution. La collégialité du CSM est en effet l'une des qualités sans lesquelles il ne lui serait pas possible d'accomplir sa noble mission constitutionnelle.

Je suis donc avant tout un académique, qui a tenté de saisir toutes les opportunités, toutes les expériences qu'offre ce métier, et c'est dans cet esprit que j'ai accepté que mon nom vous soit aujourd'hui proposé.

À quelle fin ? Au nom de quelle vision du CSM ?

Je ne me présente pas devant vous pétri de certitudes quant à ce que serait ma fonction au sein du CSM – si vous décidiez que je suis digne d'y siéger –, mais animé d'une profonde modestie devant l'honneur qui m'est fait, ainsi que devant l'ampleur et l'importance de ma tâche. Mon souhait est d'exercer consciencieusement ma fonction, avec sérieux et détermination, en continuant d'apprendre et de comprendre, pour aider le Conseil supérieur de la magistrature à remplir au mieux sa mission constitutionnelle : assister le Président de la République dans la préservation de l'indépendance de l'autorité judiciaire.

Les tâches des membres du CSM, sous réserve d'une évolution du mode de composition de cet organe ou d'une modification de ses compétences, sont pour l'essentiel connues. Elles se rangent sous trois rubriques : la nomination des magistrats, leur régime disciplinaire et la formulation plus générale d'avis concernant le fonctionnement de la justice ou la déontologie des magistrats. À chacune de ces tâches, je me tiens prêt à apporter ma contribution.

Les principes qui guideraient alors ma conduite n'auraient rien d'inédits eu égard à ma pratique professionnelle. Ce sont ceux que rappelle l'article 10-1 de la loi organique du 5 février 1994 relative au CSM, selon lequel « les membres du Conseil supérieur exercent leur mission dans le respect des exigences d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de dignité ».

Très concrètement, au sein du CSM, ces éléments d'une culture plus globale de la déontologie publique devraient me conduire à m'interroger incessamment sur la sérénité et la neutralité avec lesquelles je serais en mesure de me prononcer lors de l'examen d'une mesure de nomination ou de sanction, d'un avis, voire dans l'exercice de toute autre mission relevant du CSM.

L'indépendance exclurait naturellement que je conçoive la proposition de mon nom comme une forme de mandat impératif ou de service commandé au bénéfice de l'autorité de désignation. Elle imposerait, plus largement, d'éviter toute relation susceptible d'apparaître inappropriée avec les pouvoirs législatif et exécutif. À ce titre, dans l'hypothèse où ma nomination au CSM serait approuvée par la commission des Lois, il me semblerait évident, que je devrais, à regret, abandonner mes fonctions de secrétaire général du Groupe d'études sur la vie et les institutions parlementaires (GEVIPAR), qui me conduisent à collaborer de manière institutionnelle, même si c'est à des fins essentiellement scientifiques, avec les deux assemblées parlementaires. Vis-à-vis des juges eux-mêmes, qui sont nombreux à intervenir au sein de l'École de droit de Sciences Po, il me reviendrait de me garder de tout contact, professionnel ou personnel, susceptible d'altérer mon jugement ou simplement de laisser penser que celui-ci pourrait l'être.

L'impartialité traduit le désintéressement et la neutralité qui doivent présider à la formulation de toute décision ou de tout avis du CSM. À ce titre, seules les informations légitimement transmises au CSM afin d'accomplir ses missions doivent être prises en considération, à l'exclusion de toute rumeur, clameur ou de tout ressenti personnel étranger à la question débattue, notamment à l'appréciation des qualités et de la pratique professionnelles des juges. De ce point de vue, dans la mesure où mon épouse exerce la profession d'avocat, il m'apparaîtrait légitime que les règles applicables au membre du CSM désigné par le Conseil national des barreaux me soient également appliquées.

L'intégrité et la dignité, enfin, représentent des exigences beaucoup plus amples : elles ne porteraient pas uniquement sur ma pratique au sein du CSM, mais affecteraient ma conduite personnelle de manière beaucoup plus générale. Elles imposeraient que je m'abstienne de tout comportement ou propos susceptibles de nuire à la crédibilité de l'action du CSM, dans la sphère privée comme publique.

S'il me semblerait tout à fait immodeste et irréaliste de prétendre parvenir à une objectivité absolue, ma familiarité avec les règles de droit en vigueur en la matière, mon métier de professeur des universités, ma connaissance comparatiste des principes et du fonctionnement d'un bon système juridictionnel, mon absence d'affiliation partisane ou syndicale devraient, à tout le moins, me permettre de tendre vers cet idéal. Dans toutes les hypothèses où la moindre hésitation surviendrait, je ne manquerais pas de m'adresser aux autres membres du CSM afin de recueillir leur sentiment.

Tels sont les principes qui me guideraient dans la poursuite de l'objectif que pose l'article 64 de la Constitution, c'est-à-dire l'indépendance de l'autorité judiciaire, garante à la fois de l'État de droit et des droits fondamentaux de nos concitoyens. S'il existe différentes manières de comprendre cette indépendance, elle me semble comporter à titre essentiel, d'un point de vue très concret, l'idée d'une « tranquillité d'esprit des juges » qui se prononcent au nom du peuple français, en appliquant la loi, expression de la volonté générale, que les représentants du peuple ont voté.

La mission du CSM est précisément de veiller à ce que soit préservé ce contexte institutionnel offrant des garanties pour ce que le Recueil des obligations déontologiques des magistrats désigne comme « un état d'esprit, un savoir-être et un savoir-faire ». C'est précisément cet état d'esprit que je compte partager, ce savoir-être que je compte approfondir, ce savoir-faire que je compte mettre en oeuvre.

C'est dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, à quel point je mesure la chance qui m'est offerte de découvrir de nouveaux horizons de la pratique juridique, l'honneur qui me serait accordé d'être considéré comme pouvant faire oeuvre utile au sein d'une institution constitutionnelle, et surtout, si vous en décidiez ainsi, la très haute responsabilité qui pourrait être la mienne.

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