Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 27 novembre 2012 à 15h00
Sécurité et lutte contre le terrorisme — Présentation

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, notre pays, comme d'autres, est confronté à la montée de la menace terroriste. Cette menace n'est certes pas nouvelle : la France en a déjà fait l'expérience dans sa chair, durement, tragiquement.

Mais la France et son peuple n'ont jamais cédé face à la terreur, à la violence aveugle et lâche. Avec une même constance, la France s'est opposée de toute sa force. Et sa force, la France, comme toutes les grandes démocraties, la tire de ses lois. C'est par la loi, c'est par l'État de droit, que nous devons nous donner les moyens – tous les moyens – de notre action. C'est la raison du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui. Un projet de loi que le Sénat a approuvé, en première lecture, à une très large majorité, ce dont le Gouvernement se félicite.

Le Président de la République et le Premier ministre ont rappelé, à l'issue du démantèlement de la cellule terroriste qui avait agi contre une épicerie casher à Sarcelles, notre détermination à lutter contre tous ceux qui veulent s'en prendre à nos valeurs. L'esprit de ce texte, vous l'aurez compris, est celui du rassemblement, car il s'agit de défendre les fondements mêmes de nos institutions, de notre société. La République doit être unie contre les ennemis de la République.

Oui, la France fait face à une menace terroriste élevée. Elle doit donc, logiquement, impérativement, se défendre. Il lui faut pour cela adapter ses moyens de détection, d'identification et aussi de répression. Il lui faut renforcer ses dispositifs législatifs. Il lui faut également mieux armer son bras.

Les tragédies de Montauban et de Toulouse ont été les révélateurs des menaces nouvelles qui pèsent sur notre pays et qui viennent de notre sol. Ces menaces, nous devons les affronter avec lucidité, en nommant bien les choses, sans tomber bien évidemment dans le piège des raccourcis, sans stigmatiser. Les menaces nouvelles sont liées au djihadisme, à l'embrigadement d'individus souvent jeunes, parfois convertis de fraîche date à un islam radical, souvent lié aux dérives du salafisme, en totale contradiction – j'y insiste – avec le message que portent les musulmans dans notre pays. Ces individus habitant généralement des quartiers populaires passent à l'acte à l'issue de parcours plus ou moins longs, à l'issue d'un processus où peuvent se mêler antisémitisme virulent, instrumentalisation des conflits du Proche et du Moyen-Orient, passage en prison et séjour à l'étranger dans des camps d'entraînement. Ces individus, véritables ennemis de l'intérieur, représentent une menace diffuse qui réclame un travail de surveillance constant et approfondi.

Je ne veux établir aucune hiérarchie entre les menaces. Il n'y en a pas une qui serait moins condamnable qu'une autre. La République ne peut se résoudre à une telle éventualité. Ce serait renier ses fondements. Le terrorisme doit être combattu dans sa globalité. Combattu pour ce qu'il est : une attaque portée délibérément contre ce que nous sommes collectivement.

Notre pays, je le disais à l'instant, fait face à une montée des menaces liées avant tout au djihadisme global. Elles viennent simultanément de l'extérieur et de l'intérieur de notre pays. Les liens intenses qui existent entre un extérieur et un intérieur – ce qui est propre d'ailleurs à notre monde globalisé – constituent une caractéristique nouvelle, aggravante. Nous devons en prendre toute la dimension.

La zone afghano-pakistanaise demeure un territoire où des candidats au djihad viennent se former. Dans des camps, des combattants volontaires, souvent venus d'Europe ou du Maghreb, reçoivent une formation paramilitaire et idéologique. Elle leur donne les moyens d'une action violente à leur retour dans leur pays. C'est précisément ce que fit Mohamed Merah. Ce qu'il fit avec un passeport français, avec la ferme intention d'attaquer la France.

La justice, saisie par les familles de victimes, doit éclairer le processus qui l'a conduit à cette folie meurtrière. Les victimes et leurs familles ont droit à la vérité. Nous ne devons pas la craindre. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur s'est tenu et se tient toujours à la disposition de la justice.

Le passage à l'acte de Mohamed Merah a révélé des failles incontestables dans notre système de renseignement, des failles qu'il convenait de regarder en face, avec lucidité, afin d'y remédier. Le 19 octobre, un rapport que j'avais commandé, réalisé par MM. Leonnet et Desprats, respectivement inspecteur général et contrôleur général de la police nationale, m'a été remis. Je l'ai alors rendu public et transmis d'abord aux commissions des lois du Parlement afin de permettre un débat objectif qui prenne en compte les faits, rien que les faits. C'était une exigence démocratique.

Ce rapport, fondé sur un retour d'expérience approfondi, établit un diagnostic et émet des propositions d'évolution concrètes pour renforcer l'efficacité de nos services de renseignements. Je dis bien pour renforcer, car nous devons être en même temps responsables, prudents. Nous ne devons pas, à travers l'indispensable recherche de la vérité, mettre en cause ceux qui travaillent pour la défense de nos intérêts.

J'entends mettre en oeuvre certaines de ces évolutions dans les meilleurs délais.

La création en 2008 de la direction centrale du renseignement intérieur, la DRCI, répondait à la nécessité de créer un service unique de renseignement et de sécurité intérieure. Ce choix se justifiait ; il n'y a pas à le remettre en cause, même si je suis toujours ouvert au débat. La DCRI a fait la démonstration et de sa cohérence, et de sa capacité d'action. Son organisation actuelle a également, pourquoi ne pas le dire, montré des limites qu'il convient de corriger.

Trois grandes évolutions doivent être mises en oeuvre. Il est primordial de s'assurer qu'au sein de la DCRI le dialogue entre le niveau central et les niveaux locaux se déroule dans les meilleures conditions. Ce dialogue permet la réactivité dans le suivi d'un individu ou d'un groupe d'individus. Une structure de coordination dédiée sera donc créée.

Le renforcement de la coordination entre le renseignement intérieur et l'information générale est également nécessaire. L'information générale constitue souvent un premier niveau d'alerte, et joue un rôle déterminant pour détecter les signaux faibles d'une menace. Des structures de liaison permanentes entre les services de la DCRI et de l'information générale seront mises en place.

Enfin, la coordination doit être renforcée entre les services territoriaux de la DCRI et les services locaux de la police et de la gendarmerie. Le maillage du territoire qu'ils assurent constitue, à condition qu'il soit exploité, une opportunité incomparable de collecte d'information et de détection.

Ces réformes à venir visent, par le renforcement de la coordination, à développer la capacité d'action territoriale. C'est essentiel pour mieux agir au contact du terrain, là où naît la menace terroriste intérieure et où s'organisent les actions radicales. La menace intérieure demande donc un travail de surveillance lourd et méticuleux, d'autant plus méticuleux que le processus de radicalisation des individus peut s'accomplir de façon très rapide, parfois en à peine quelques mois.

Les leçons tirées des crimes commis par Mohamed Merah permettront, j'en suis convaincu, de renforcer notre renseignement. La mission d'information créée à l'initiative de la commission des lois réfléchit au renforcement du contrôle parlementaire de l'activité du renseignement, et sans doute au-delà. Lors des questions au Gouvernement, cet après-midi, j'ai rappelé à M. Alain Marsaud, qui connaît bien ces sujets, que le renseignement agit pour la défense de notre démocratie. Il doit donc pouvoir disposer d'une totale légitimité démocratique.

Mais au-delà, soyons lucides : la lutte contre le terrorisme réclame une mobilisation de la société dans son ensemble. C'est essentiel pour déjouer les idéologies de haine qui veulent s'y propager. Elle doit mobiliser la communauté nationale, tous les Français, notamment les Français de confession musulmane qui, je les entends, condamnent à l'unisson les actes commis au nom de l'islam. Tous ceux qui font l'apologie du terrorisme, qui se rendent coupables de provocation à la haine religieuse et raciale, seront combattus de manière implacable par tous les moyens légaux, administratifs ou judiciaires.

Je n'ignore rien de l'activisme sectaire de groupes salafistes sur notre sol. Aussi n'hésiterai-je pas, comme je l'ai déjà fait, à procéder à des expulsions de prétendus prédicateurs qui tiennent des discours contraires à nos valeurs.

La menace extérieure vient d'autres zones géographiques que la zone afghano-pakistanaise. Elle vient notamment de la péninsule arabique, où l'organisation Al Qaïda a désigné la France comme une cible prioritaire, après les États-unis. Cette organisation en veut à la France pour, selon ses propres déclarations, les pratiques non islamiques qui caractériseraient notre pays.

La Syrie en guerre fournit également un terrain propice au développement du djihad, permettant de motiver mais aussi de préparer des combattants. Nous l'avons ainsi constaté lors du démantèlement de la cellule que j'évoquais il y a un instant, et qui préparait sans doute, si ce n'était pas déjà réalisé, le passage en Syrie d'un certain nombre d'individus pour le djihad.

En Égypte, en Libye, en Tunisie, les printemps arabes ont représenté des avancées dont il faut se féliciter. Ils ont été porteurs de liberté pour les peuples, et à tout le moins d'espoir démocratique. Ces printemps ont cependant introduit des facteurs incontestables d'instabilité. Dans ces pays, des groupes ultra radicaux – certains se revendiquant ouvertement du djihad – agissent. Leurs actions peuvent alors viser directement ou indirectement notre pays. Il nous faut donc impérativement renforcer notre coopération en matière de lutte anti-terroriste avec les autorités de ces pays. ; ce n'est pas toujours facile.

Le Mali traverse une crise qui dépasse ses frontières. Dans la zone sahélienne, des groupes terroristes, qui soumettent les populations, commettent des actes barbares et font peser une menace sur nos ressortissants – je pense ici évidemment à nos otages –, sur notre pays et sur ses intérêts. Al Qaïda au Maghreb islamique et le Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest ont ainsi désigné la France comme un ennemi.

Il faut agir avec détermination, comme le fait le Président de la République, pour que le Sahel ne devienne pas l'Afghanistan de l'Afrique, pour éviter la sanctuarisation de groupes terroristes dans cette région, et pour que le Mali retrouve son intégrité territoriale. La responsabilité de la communauté internationale est engagée. Elle doit se mobiliser – et elle se mobilise, à l'initiative de la France. Cette responsabilité, vous le savez, repose tout particulièrement sur les États africains.

Le terrorisme qui menace sur notre sol est lié au djihad, mais pas seulement. Il existe d'autres manifestations violentes, plus anciennes, qui doivent tout autant être enrayées.

L'organisation terroriste basque ETA doit ainsi faire l'objet d'une action déterminée, en coopération parfaite avec les autorités espagnoles. Samedi dernier, ETA a fait part une nouvelle fois de sa volonté d'abandonner la lutte armée et d'entamer un dialogue. Nous en prenons acte. C'est la conséquence, à n'en pas douter, de l'action menée, efficacement et sur le long terme, par les services français et espagnols.

Que les choses soient claires cependant : aucun dialogue ne pourra se faire, et aucun dialogue ne se fera, tant qu'ETA n'aura pas prononcé sa dissolution et rendu les armes qui sont en sa possession. L'interpellation de dirigeants importants de l'ETA il y a encore quelques semaines sur notre sol, en possession d'armes, est bien la démonstration de la nécessité de rester vigilant. La République ne peut pas composer avec ceux qui prônent la lutte armée, ceux qui opposent la logique de la violence aux choix démocratiques des citoyens.

La situation en Corse, complexe, où le recours à la violence terroriste reste une tentation prégnante, appelle évidemment la même fermeté. Mais ne soyons pas dupes : beaucoup de ceux qui se réclament de la cause indépendantiste cachent bien mal leurs intentions et leurs liens avec le grand banditisme et la criminalité organisée, et ce depuis longtemps. La détermination de l'État est donc totale. Je l'ai rappelé dimanche et lundi, lors d'un déplacement en Corse avec la garde des sceaux.

Ceux qui ont recours à la violence font mal à la Corse, font mal aux Corses. L'île a besoin d'apaisement pour assurer son développement, pour faire face à la crise, pour préparer son avenir.

La Corse, c'est la France. La Corse, c'est la République. Et on ne transige pas avec les valeurs de la République. Jamais l'action politique ne doit frayer avec la violence. Et le Gouvernement sait pouvoir compter sur le soutien d'une très large majorité des Corses, qui sont attachés à la place et à l'identité de la Corse – c'est légitime – au sein de la nation.

Aux menaces terroristes il faut enfin ajouter les risques liés à l'ultra-droite identitaire, ou à l'ultra-gauche anarchiste ou autonome, qui peuvent mener des actions violentes. Je ne les oublie pas.

La menace terroriste, nous l'avons vu, vient de zones géographiques identifiées ; mais elle se déploie aussi au travers du cyberespace. Aux quatre coins de la planète, des individus peuvent faire vivre ensemble par leurs interactions instantanées une idéologie de haine.

Internet est également devenu un outil de propagande, de recrutement, d'endoctrinement et d'action ; un outil de formation pour les apprentis terroristes ; un outil, enfin, de mise en relation à des fins logistiques entre individus et groupes agissants. Ce phénomène nécessite de prendre les mesures adaptées. J'y reviendrai.

Cet éventail de la menace, que j'ai voulu tracer devant vous, en montre le caractère mouvant. Ce constat souligne la nécessité permanente d'une adaptation de nos dispositifs pour garantir la sécurité des Français. Le présent projet de loi vise donc à garantir une constance dans l'efficacité de notre lutte anti-terroriste. Il se veut utile à la République, aux Français ; utile aux services de sécurité et aux magistrats qui, au quotidien, luttent contre le terrorisme.

Le 11 avril 2012, à la suite des attentats de Montauban et de Toulouse, un projet avait été déposé par le gouvernement précédent et adopté en conseil des ministres. Nous l'avons intégré dans notre réflexion ; le Premier ministre de l'époque, M. François Fillon, avait du reste indiqué que ce texte devrait être débattu quel que soit le résultat de l'élection présidentielle et des élections législatives.

Certaines dispositions ont été approfondies, renforcées – elles sont utiles, monsieur Marsaud –, contrairement à ce que vous avez dit cet après-midi. C'est le cas de la pénalisation des actes terroristes commis à l'étranger.

D'autres, à l'inverse, ont été abandonnées, soit pour des questions de constitutionnalité, comme pour le projet de pénalisation de la consultation habituelle de sites internet à caractère terroriste – nous y reviendrons –, soit parce qu'elles étaient redondantes avec des dispositions existant déjà dans notre droit, soit enfin parce qu'elles ne répondaient pas aux besoins des services anti-terroristes. Les besoins exprimés par les praticiens ont en effet guidé notre réflexion. Nous devons légiférer pour être utile dans l'action.

Le dispositif français de prévention et de répression du terrorisme est le fruit d'une expérience de 25 ans. Dès 1986, la pratique administrative, la loi et la jurisprudence ont forgé des instruments performants. La France s'est dotée d'un dispositif judiciaire spécifique, à forte composante préventive, dont le pivot est la répression de l'association de malfaiteurs à caractère terroriste – je m'exprime ici devant des parlementaires dont certains ont été juges, l'un d'entre eux est même un ancien ministre de l'intérieur : ils savent bien de quoi je parle.

Ce dispositif maintient le juge au coeur de la lutte anti-terroriste, tout en instaurant un équilibre entre l'efficacité de la lutte contre ce phénomène et les libertés publiques. La France a progressivement fait évoluer ce dispositif, en l'adaptant sans cesse à l'émergence de nouvelles menaces. Aujourd'hui, il faut donc à la fois préserver cet acquis et consolider son efficacité d'ensemble.

Le travail a été mené en étroite coopération avec la garde des sceaux. Je suis convaincu que la lutte contre le terrorisme ne peut être efficace que si elle associe pleinement les ministères de la justice et de l'intérieur ; que si elle s'appuie sur la complémentarité entre les services de renseignement, la police et les juridictions spécialisées, qui fait la force du modèle français.

Le présent projet de loi, fruit de ce travail commun, vise un équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et nécessaire préservation des libertés publiques. C'est aussi l'expérience d'autres pays qui m'amène à vous dire combien il est important de préserver cet équilibre.

Ce texte vise la cohésion ; il entend, par le consensus, par le rassemblement, parachever les textes précédents. Cet état d'esprit qui a guidé son élaboration, son examen puis son vote au Sénat, guidera également, je n'en doute pas, son examen par l'Assemblée.

Permettez-moi de saluer le travail très constructif mené par Mme la rapporteure, Marie-Françoise Bechtel. Je veux également remercier Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois, pour la réflexion conduite en son sein : elle a permis d'enrichir ce texte, de le rendre encore plus en phase avec les exigences de la lutte antiterroriste.

Votre commission a adopté trois amendements du Gouvernement permettant de renforcer l'efficacité des mesures de gel des avoirs financiers. Il s'agit notamment de les étendre aux personnes qui incitent au terrorisme. Jusqu'à présent, ce gel des avoirs ne concernait que les personnes commettant, ou tentant de commettre, des actes de terrorisme. Il était logique que les propos, parce qu'ils sont annonciateurs du pire, soient visés autant que les actes.

Votre commission a en outre voté la ratification de l'ordonnance relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure, ce dont je me félicite et vous remercie

Ce projet de loi, qui se veut pragmatique, s'appuie sur deux volets. Le premier consiste à proroger les dispositions de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, qui, au fil du temps, ont apporté la preuve de leur utilité en matière de détection et d'identification. Un second volet, répressif, permet de sanctionner plus efficacement les activités terroristes.

Les contrôles d'identité préventifs dans des gares routières ou ferroviaires ainsi que sur des portions de lignes, notamment dans les trains à grande vitesse transfrontaliers, doivent être favorisés. Pour cela, l'action de contrôle des services de police ne doit pas être enfermée dans un délai trop court. Les dispositions en vigueur ont été un gage d'efficacité opérationnelle ; elles ont notamment permis l'augmentation du nombre de patrouilles mixtes à bord des trains internationaux sur les liaisons ferroviaires avec l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Suisse et l'Italie. Cela a représenté une avancée positive, car certaines lignes ferroviaires, par leur caractère symbolique, ont pu constituer, ou constituent encore, des cibles d'action pour certains réseaux terroristes.

Le cyberespace, nous l'avons vu, est devenu un domaine permettant aux terroristes de communiquer entre eux, de recruter et de s'organiser. L'accès préventif des services de renseignement aux données techniques recueillies dans les communications électroniques ou lors de la consultation de sites internet est par conséquent un outil fondamental. Il permet notamment de vérifier ou recouper, de manière continue, y compris dans l'urgence, les informations recueillies à titre préventif. Cela constitue la base de toute activité de renseignement. Ainsi sont accumulés et étayés, ou au contraire écartés, les soupçons portant sur des personnes ou des réseaux potentiellement dangereux. Cette activité s'effectue sous le contrôle préalable d'une personnalité qualifiée directement subordonnée à une autorité administrative indépendante, la CNCIS. Ce modèle garantit la fluidité et la judiciarisation des informations accumulées dès que les faits détectés justifient l'ouverture d'un cadre d'enquête.

Le Gouvernement propose de proroger une dernière fois les dispositions de l'article 6 de la loi de 2006. Ce débat a eu lieu au Sénat mais aussi au sein de la commission des lois de votre assemblée. Il convient, dans une perspective de réunification, de repenser leur articulation avec les dispositions de la loi du 10 juillet 1991, chère à Michel Rocard. Je m'engage à ce que le Parlement soit étroitement associé à cette démarche qui s'inscrira à la suite du Livre blanc, définira les priorités stratégiques et opérationnelles propres à assurer la sécurité des Français et donnera toute sa place au renseignement intérieur. C'est dans ce cadre renouvelé qu'il faut mener une réflexion sereine et approfondie.

L'accès à certains traitements automatisés administratifs, cartes nationales d'identité, passeports ou encore permis de conduire, permet aux services spécialisés de procéder à de multiples vérifications et de contrôler, par exemple, si un titre d'identité saisi est vrai ou faux. Il permet également, dans une démarche d'anticipation, de suivre les déplacements internationaux d'individus, notamment ceux suspectés d'islamisme radical. D'une manière plus générale, ces consultations de fichiers participent de l'activité permanente de documentation des services habilités.

Le volet détection et identification vise donc, dans la continuité, à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste. Il propose de prolonger jusqu'à la fin de 2015 des dispositions qui ont fait la complète démonstration de leur utilité. À ce volet s'ajoute donc un volet répressif.

La législation française en matière de lutte contre le terrorisme est particulièrement complète. Elle comporte toutefois une insuffisance à laquelle seule la loi pouvait répondre. Il s'agit de poursuivre et de condamner les personnes résidant en France et qui participent à l'étranger à un acte terroriste ou à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste mais qui n'ont encore commis aucun acte délictueux en France. Concrètement, même si elle ne concerne que quelques individus, cette évolution permettra de poursuivre pénalement – et nous en avons vu toute la nécessité – des individus qui se rendraient à l'étranger pour y suivre des travaux d'endoctrinement ou pour intégrer des camps d'entraînement.

La commission des lois, et c'est une bonne chose, a souhaité substituer la notion de résident habituel à celle de personne titulaire d'un titre autorisant le séjour en France, mention qui figurait dans le texte issu du Sénat. Il est nécessaire en effet de rendre possibles les poursuites contre deux catégories de personnes étrangères pouvant vivre en France : les citoyens européens, qui, depuis 2006, sont dispensés de l'obligation de détenir un titre de séjour, et les personnes en situation irrégulière, qui, par définition, n'ont pas de titre de séjour.

Cette pénalisation des actes terroristes commis à l'étranger est une avancée importante. La neutralisation judiciaire des djihadistes revenant ou tentant de revenir sur notre sol est en effet un impératif. Il y a une continuité territoriale de la menace ; il faut une continuité territoriale des poursuites.

En matière de répression, ce projet de loi propose, dans son article 3, d'améliorer nos procédures d'expulsion visant les ressortissants étrangers qui, sur notre sol, soutiennent le terrorisme ou constituent une menace grave pour l'ordre public. Tous ceux qui se trouvent sur le territoire de la République avec l'intention de lui nuire doivent être expulsés sans ménagement.

Ce projet de loi entend également donner des moyens renouvelés aux services de lutte antiterroriste et aux magistrats. Tous font état d'une préoccupation récurrente. C'est également celle des parlementaires. J'ai pu m'en rendre compte lors des débats au Sénat – je pense à l'intervention de l'ancien garde des sceaux, Michel Mercier, et à celle de l'ancien ministre de la défense, Alain Richard – et au sein de votre commission des lois. Cette préoccupation, c'est la rencontre néfaste d'internet et du terrorisme, c'est-à-dire le cyberterrorisme. Les liens immédiats, directs et protégés que permettent les technologies de l'information ont amplifié les risques.

Certains ont pu exprimer leur volonté d'inscrire dans le code pénal, au chapitre consacré au terrorisme, le délit de provocation et d'apologie des actes de terrorisme, actuellement prévu par l'alinéa 6 de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. J'entends cette logique et je la comprends, mais nous ne pouvions légiférer sur ce texte fondamental qu'est la loi de 1881 sans un consensus véritable. En la matière, le droit français repose sur un équilibre fragile, construit autour de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Une « exfiltration » du délit d'apologie vers le code pénal pourrait remettre en cause cet équilibre.

Nous devons construire les conditions d'un débat éclairé et apaisé autour de la loi sur la liberté de la presse de 1881 à l'heure de l'internet, un débat qui dépasse le seul domaine de la lutte contre le terrorisme et qui s'inscrive dans le cadre plus large de la lutte contre la cybercriminalité. Ce débat est utile, nous le sentons bien.

En matière de lutte contre le cyberterrorisme, ce texte permet de trouver un équilibre entre l'exigence d'une plus grande efficacité et la garantie toujours nécessaire de la liberté d'expression. La prescription allongée à un an et la détention provisoire donnent des moyens procéduraux renforcés pour appréhender celles ou ceux qui se rendent coupables d'apologie ou de provocation au terrorisme sur internet.

Cette avancée s'inscrit dans le cadre d'une législation nationale qui dispose déjà de moyens importants pour détecter les infractions en lien avec le terrorisme. Aller plus loin nécessite d'abord d'évaluer dans quelle mesure et selon quelles modalités les services opérationnels se sont emparés de ces nouveaux outils de lutte contre le cyberterrorisme.

Je note que les spécialistes, les experts, les praticiens soulignent eux aussi la nécessité d'une réflexion sur les moyens mis à la disposition des services enquêteurs, mais aussi des magistrats, pour appréhender les mutations liées aux nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ce débat sur les moyens n'est pas mince. Il ne suffit pas de proclamer, de vouloir, encore faut-il pouvoir suivre et être efficace.

Il m'apparaît donc nécessaire de réfléchir à l'organisation, au plan national, d'une véritable stratégie de lutte contre la cybercriminalité. De ce point de vue, les sites internet posent un problème aux services antiterroristes car ils associent ou mélangent contenus éditoriaux et moyens de correspondance interindividuels.

C'est pourquoi, à l'heure d'internet, l'encadrement de la liberté d'expression, telle qu'elle a été conçue en 1881 par la loi sur la liberté de la presse, mérite sans doute de nouvelles approches. Je serai très attentif, mesdames, messieurs de la majorité et de l'opposition, aux arguments que vous avancerez lors de la discussion des amendements. Il y a sans doute là de vrais enjeux de réflexion et d'évaluation parlementaires, à l'heure où l'activité des services de renseignement suscite un fort regain d'intérêt.

Mesdames, messieurs les députés, la menace terroriste est là. Elle est diverse, en constante mutation. Nous l'avons combattue par le passé, sans jamais céder à la crainte, sans jamais céder sur nos principes.

Cette lutte, nous devons la poursuivre quotidiennement. Elle est nécessairement discrète, secrète, mais elle se fait sous le contrôle de la représentation nationale. Les Français doivent savoir que tout est mis en oeuvre pour garantir leur sécurité. Avant le 19 mars dernier, il y avait quinze ans que notre sol n'avait pas été atteint par des actes terroristes. Nous devons la vérité à nos concitoyens – la menace est là, extérieure ou intérieure –, aux victimes du terrorisme, à leurs familles, à leurs proches. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, a annoncé la création de la mention « mort pour le service de la nation » qui devrait être notamment, mais pas seulement, attribuée aux trois militaires tués en mars dernier par Mohamed Merah. Nous leur devons cette reconnaissance. C'est pourquoi nous présenterons un amendement qui va dans ce sens. C'est le souhait du Président de la République, chef des armées.

Je l'ai dit au Sénat et je le répète ici, je présente ce projet de loi dans un esprit de rassemblement. Au-delà de nos sensibilités, je vous invite à donner à la France une entière capacité d'action. Seule cette action permanente et résolue permet et permettra de défendre ce que nous sommes, donc nos valeurs et notre démocratie. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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