Intervention de Christophe Caresche

Séance en hémicycle du 27 novembre 2012 à 15h00
Ancrage démocratique du gouvernement économique européen — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Caresche, rapporteur de la commission des affaires européennes :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise économique et financière qui met à l'épreuve l'Europe conduit à s'interroger, sur le rôle et la place des Parlements, européen et nationaux, dans le processus d'élaboration et de contrôle des décisions qui sont prises au niveau européen.

On ne peut que s'alarmer – et cela a été fait à l'instant – du déficit démocratique qui caractérise aujourd'hui le fonctionnement de l'Union européenne. S'il était déjà sensible avant la crise, le traité constitutionnel étant une tentative, au demeurant malheureuse, d'y répondre, ce déficit s'est accentué avec la crise, sous l'effet d'un double mouvement.

C'est d'abord autour des États et de leurs gouvernements que s'est organisée la réponse à la crise. Le Conseil européen, institution qui a été renforcée par le traité simplifié de Lisbonne avec la désignation d'un président permanent renouvelable tous les deux ans, a vu son poids s'accroître fortement comme instance décisionnelle mais aussi comme instance d'impulsion. La succession des sommets européens a pu, certes, témoigner d'une certaine impuissance, mais elle a aussi donné clairement à voir où se situait la capacité d'agir.

Dans ce contexte, les autres instances européennes – à commencer par la Commission européenne qui semble s'en être accommodée – ont été reléguées au second plan, dans un rôle d'accompagnement ou d'expertise. Les pouvoirs du Parlement européen ont certes progressé avec le traité de Lisbonne, mais la coordination économique et budgétaire lui échappe. En outre, sa configuration géographique ne lui permet pas d'intervenir dans un format zone euro.

Il est manifeste que la gestion de la crise a accentué la dimension interétatique du fonctionnement de l'Europe. Certains le regretteront, mais il faut bien reconnaître que l'Europe, dans sa composante fédérale, n'était pas suffisamment achevée pour offrir un cadre convaincant à la résolution de la crise.

Cette évolution s'est accompagnée d'un renforcement très sensible de la gouvernance économique et budgétaire qui concerne directement les compétences des Parlements nationaux. La mise en oeuvre du semestre européen, d'une part, et du traité budgétaire, d'autre part, se traduit par un double encadrement de la procédure budgétaire.

Si les Parlements nationaux restent souverains, l'exercice budgétaire est désormais très balisé. Il y a tout lieu de penser que cette évolution vers un cadre budgétaire intégré à part entière va se poursuivre, notamment dans l'hypothèse où serait adoptée une mutualisation intégrale des dettes, par exemple sous la forme d'eurobonds. Le rapport Van Rompuy évoque très explicitement cette perspective.

Le paquet législatif relatif à la surveillance budgétaire, dit two-pack, actuellement en discussion, constitue un pas de plus dans cette direction avec le renforcement du pouvoir de contrôle de la Commission sur les budgets nationaux. Si cette évolution se confirmait, avec l'octroi à la Commission et au Conseil d'un véritable droit de vetosur les budgets nationaux, ce ne serait plus tenable.

Comme le dit de manière abrupte Jean Pisani-Ferry « conférer durablement pareille autorité à un comité de technocrates ou à un conclave de ministres ne serait naturellement pas envisageable. Cela contreviendrait aux principes fondamentaux de la démocratie parlementaire. Des décisions de ce type ne pourraient être prises que par une instance capable d'opposer à la décision d'un Parlement national celle d'une autre instance également légitime et reconnue comme telle par les États et par les peuples européens. »

Nous n'en sommes pas là, mais la nécessité d'associer le Parlement européen comme les Parlements nationaux au processus d'élaboration des orientations budgétaires décidées à Bruxelles est devenue une exigence.

C'est fort de cette conviction, que j'ai proposé à votre commission des affaires européennes, dès les débats relatifs à la ratification du traité sur la stabilité, de se saisir du gage démocratique prometteur que les rédacteurs du traité, sous l'influence déterminante de notre commission et de son ancien président Pierre Lequiller, que je salue même s'il n'est pas là, ont eu la sagesse d'intégrer en prévoyant la création d'une Conférence interparlementaire consacrée à la gouvernance économique et budgétaire européenne.

Animé de la volonté d'encourager sa rapide concrétisation, j'ai estimé utile de vous soumettre des recommandations précises et détaillées, aptes à lancer sans attendre un vaste débat avec nos vingt-six partenaires et le Parlement européen pour que cet organe puisse, dès 2013, jouer son rôle irremplaçable.

Certes, une Conférence interparlementaire ne saurait, à elle seule, combler les longs déficits accumulés d'une légitimité démocratique défaillante – à l'instant, Élisabeth Guigou a montré combien cette question était posée – mais elle constitue un premier pas, en nous poussant à nous approprier la nouvelle gouvernance européenne et en faisant poindre à Bruxelles l'indispensable voix des Parlements, c'est-à-dire celle des peuples.

Pour que cette Conférence assume cette mission, comme l'ont rappelé Mmes les présidentes, quelques conditions nous semblent devoir être réunies.

La première touche bien sûr à sa vocation. Le pire danger serait de sombrer dans de stériles et fastidieux débats généraux, sans prise sur le réel, qui parfois ont pu miner la crédibilité d'autres fora du même type dont nous avons tous des exemples en tête. C'est pourquoi il est indispensable que les représentants des Parlements débattent des vrais sujets, et je pense bien sûr en particulier aux recommandations que l'Europe émet sur les politiques économiques et budgétaires nationales au travers de l'examen des programmes de stabilité et de réforme.

La Commission européenne déposant fin mai ou début juin ses propositions de recommandations sur ces programmes avant que le Conseil ne les adopte définitivement en juillet, il serait cohérent que les parlementaires, qui concrétiseront ces engagements dans leurs budgets nationaux à l'automne, puissent présenter leurs observations collectives en juin chaque année.

Une seconde réunion permettant de discuter des futures grandes lignes directrices des politiques économiques nationales et européennes, par exemple à l'automne, viendrait opportunément compléter ce dispositif tourné vers l'efficacité.

Toutefois, la Conférence ne saurait se limiter à ces sujets. En perfectionnant son intégration, la zone euro ne manquera pas d'étendre son emprise à de nouveaux domaines décisifs, au plus près de nos compétences traditionnelles. Je pense évidemment à la fiscalité, qu'elle concerne de nouvelles ressources comme la taxe sur les transactions financières ou qu'elle recouvre l'impérieuse lutte contre le dumping fiscal, mais aussi à l'harmonisation sociale dont les faiblesses participent de ce sourd combat déloyal qui entame la cohésion de notre Union.

En parallèle, il serait à tout le moins naturel que les parlementaires nationaux puissent débattre entre eux et contrôler collectivement l'usage des mécanismes européens de stabilité financière qui prennent une place croissante dans les engagements financiers assumés par nos États, comme nous avons pu le constater hier encore pour la Grèce. Or ces coopérations se nouent aujourd'hui entre un nombre restreint d'États membres. Il est donc indispensable que seuls les parlementaires directement concernés aient la possibilité d'en débattre entre eux.

C'est ainsi que nous proposons que la Conférence se dote d'une commission spéciale, en format plus resserré donc plus réactif, limité aux Parlements de la zone euro et au Parlement européen.

Quelques questions ne sont volontairement pas abordées dans la résolution, afin de laisser de la place aux négociations avec nos partenaires. Rappelons que la Conférence ne verra le jour qu'après que tous les Parlements nationaux et le Parlement européen se seront entendus unanimement sur son format et ses missions. C'est dire le chemin qu'il reste à parcourir.

Ainsi en est-il des modalités concrètes d'organisation de ses travaux. Nous souhaitons que la Conférence puisse s'exprimer, c'est bien le moins, en adoptant des conclusions adressées aux institutions européennes. Mais nous ne proposons pas de prédéfinir ses règles de vote, par consensus ou à la majorité, dont il nous paraît essentiel de préserver le fait qu'elles puissent évoluer si l'expérience rencontre un succès en recueillant l'attention des médias et, partant, de nos concitoyens.

Dans un même esprit, la composition précise de la Conférence fera l'objet d'intenses négociations, nous le savons. La coutume veut que les fora de coopération interparlementaire reposent sur une représentation égalitaire de chaque pays, aussi resserrée que possible afin de préserver la fluidité des débats. C'est le cas notamment de la COSAC, la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'Union, où chaque pays est représenté par six parlementaires, ce qui garantit la représentation de l'opposition dans le cas de Parlements bicaméraux.

Laissons la porte ouverte, là encore, en veillant simplement à ce qu'à tout le moins participent aux travaux de la Conférence les députés les plus concernés par l'enjeu. De même, la représentation du Parlement européen fera l'objet de discussions dont il n'apparaît guère utile de préempter les résultats. Nous aurons probablement cette discussion à Bruxelles où nous nous rendrons la semaine prochaine.

En dernier lieu, la résolution se conclut en tirant les conséquences cohérentes de nos ambitions européennes sur la conduite de nos travaux ici même, à l'Assemblée.

Nous devons bien convenir que, si beaucoup a été accompli, nous pouvons faire mieux encore pour nous approprier la dimension européenne dans chacun de nos travaux quotidiens. Je partage ainsi les suggestions avisées faites par Mme la présidente de la commission des affaires étrangères et Mme la présidente de la commission des affaires européennes, en me contentant de renouveler, monsieur le ministre, mon souhait qu'à l'avenir nos travaux nationaux, qui fondent et légitiment nos engagements européens, en particulier la loi de programmation triennale, soient examinés au plus près des textes transmis à Bruxelles qui les concrétisent, à savoir les programmes de stabilité.

En formant un dispositif cohérent et aussi complet que possible d'appropriation parlementaire de la nouvelle gouvernance économique européenne, la résolution qui vous est soumise participe de notre ambition déterminée de réorienter l'Europe et de renouer son lien dangereusement distendu avec ses peuples.

Étayée par la disponibilité de notre Assemblée, annoncée par notre Président, à organiser, si nos partenaires en sont d'accord, la première Conférence à Paris dès l'année prochaine, confortée par une large approbation dans tous nos rangs, inspirée du consensus avec lequel elle a été adoptée en commissions, elle manifestera avec force notre volonté d'affermir sans tarder l'ancrage démocratique de l'Union.

C'est pourquoi je vous demande, au nom de la commission des affaires européennes, de l'approuver. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.)

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