Intervention de Pascal Cherki

Séance en hémicycle du 4 février 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 17

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Cherki :

Je voudrais apporter mon soutien – avec, toutefois, quelques nuances – aux propos de notre rapporteure thématique, en indiquant pourquoi il ne faut pas revenir sur ce petit pas en avant.

La profession d’avocat aux conseils concerne un nombre très restreint de personnes – il s’agit d’un oligopole – disposant de revenus conséquents – 700 000 euros annuels, en moyenne, contre 39 000 euros, en moyenne, pour un avocat. Les notaires, qui gagnent beaucoup moins que les avocats aux conseils, ont fait l’objet, de la part du Gouvernement, d’une attention beaucoup plus soutenue que ces derniers, qui entretiennent une telle proximité avec un certain nombre de conseillers d’État ou d’énarques – je ne m’étonne pas que l’Inspection générale des finances ait jeté un voile pudique sur ce qui constituait l’une des rares conclusions intéressantes du rapport Attali – qu’ils ont réussi à échapper, dans un premier temps, au tir nourri qu’aurait dû entraîner cette réforme. Je vois que cette situation n’a pas échappé à la sagacité des rapporteurs et de la commission spéciale, et je m’en réjouis.

Cela dit, madame la rapporteure thématique, j’apporterai quelques nuances à vos propos. La libéralisation contrôlée que vous proposez revient à ne pas toucher à la spécificité du statut des avocats aux conseils, tout en permettant d’accroître leur nombre.

Vous avancez deux arguments pour justifier cette mesure. Premier argument : ces avocats ont une connaissance technique très particulière. De quoi ? De la procédure devant la Cour de cassation et le Conseil d’État. Mais cela s’apprend dans toutes les facultés de droit. Ainsi, la technicité de la procédure devant la cour d’appel justifiait le monopole des avoués. Leur concours était d’ailleurs très utile dans les mises en état. Cela n’a pas empêché que cette profession disparaisse en tant que telle et soit fusionnée avec la profession d’avocat. De ce point de vue, votre argument est tout à fait réversible et l’on pourrait très bien considérer que le critère de la connaissance et de la technicité de la procédure n’est pas suffisant pour justifier le maintien de cet oligopole.

Vous expliquez aussi que ce sont des officiers publics ministériels. Mais il y a une vraie différence avec les notaires. Les notaires collectent en partie l’impôt, ce qui n’est pas le cas des avocats à la Cour ou au Conseil. Les notaires dressent des actes authentiques, monopole qui est d’ailleurs l’une des spécificités du notariat, mais pas les avocats à la Cour ou au Conseil. Les mémoires sont des constructions intellectuelles intéressantes, peuvent contribuer à amener la Cour à suivre les conclusions des avocats à la Cour ou au Conseil, mais ils n’ont pas valeur d’acte authentique.

Enfin, les tarifs ne sont pas réglementés.

Tout ce qui plaide pour la spécificité du maintien de la profession de notaire ne milite pas pour celle d’avocat à la Cour ou au Conseil.

J’avais proposé, et je regrette que mon amendement n’ait pas été accepté, que l’on libéralise beaucoup plus largement et qu’à partir du moment où les avocats à la Cour et au Conseil sont sortis de leur lit naturel pour aller braconner sur les terres des 60 000 avocats, en allant même plaider devant l’ensemble des juridictions administratives, on permette aux avocats de le faire.

Si vous voulez une condition de technicité, créons une spécialisation haute juridiction pour que les 60 000 avocats ne se mettent pas à plaider mais que celles et ceux qui le souhaitent puissent le faire, comme il existe, par exemple, des spécialisations en propriété industrielle : n’importe quel avocat ne va pas se mettre à travailler sur le droit des brevets, qui est assez spécifique.

Ma proposition n’a pas été retenue.

Fondamentalement, quelle est la raison pour laquelle on n’ouvre pas l’accès à la profession d’avocat au Conseil ou à la Cour à l’ensemble des avocats ? C’est le risque de l’indemnisation. Il faut le dire. Si nous, assemblée républicaine, ne cassons pas un monopole public qui date de 1814, des temps peu glorieux de la Restauration, et conservons les vestiges de la monarchie les moins égalitaires qui soient, c’est pour des basses raisons de finances publiques. Si nous cassions un tel oligopole, il faudrait à un moment donné indemniser ces personnes qui ont acheté fort cher leur charge et qui ne manqueraient pas de faire valoir leur position soit devant le Conseil constitutionnel, soit devant la Cour de cassation, soit devant le Conseil d’État.

Franchement, je regrette que l’on n’ait pas le même élan pour les avocats à la Cour ou au Conseil que celui qu’on a pu avoir s’agissant des notaires. Mais cela dit, mieux vaut un petit quelque chose que rien du tout. Mon amendement représentait une avancée substantielle mais, à défaut de grives, on se contentera de merles et je soutiendrai les propositions des rapporteurs, qui ont tout de même le mérite d’ouvrir pour la première fois une brèche dans ce qui est l’un des sanctuaires pas toujours très glorieux de notre système judiciaire, non pour la qualité intellectuelle des productions mais pour son fonctionnement.

Il m’est arrivé d’être d’accord avec vous, mes chers collègues, mais, là, supprimer de telles dispositions, ce serait vraiment une mauvaise cause. Créons les conditions pour faire un petit pas en avant.

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