Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 28 janvier 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je vous remercie tous les intervenants pour cet état d'esprit et pour ces échanges extrêmement constructifs. C'est une excellente façon de travailler que de pouvoir s'entendre sur un diagnostic commun. Et, en dépit des questions soulevées, il me semble que tous les bancs partagent ce diagnostic de fragilité, non pas des enseignants eux-mêmes et de leur dévouement quotidien, mais de l'institution scolaire, qui doit trouver des réponses à la fois en elle-même et dans son environnement.

Eu égard à cet état des lieux, mais aussi à la nécessité, pour notre pays, de continuer à investir pour élever le niveau de connaissances des nouvelles générations, ce que l'on peut relever en premier est qu'avoir remis des moyens dans l'éducation nationale était une bonne chose. La loi pour la refondation de l'école a préparé le terrain. Pour autant, nous n'avons pas épuisé tous les sujets.

Ainsi la contestation des règles dans l'enceinte scolaire : ce n'est pas la première fois que l'on a à déplorer le non-respect d'une minute de silence, mais nous n'avions pas traité ce sujet autant qu'il aurait fallu le faire. Aussi le sursaut qui nous est demandé dans la foulée du 11 janvier est-il bienvenu : nous allons maintenant prendre à bras-le-corps une série de questions délicates.

Quelques mots sur le financement du plan, d'un montant global de 250 millions d'euros. La montée en charge sera progressive. Pour l'année qui vient, nous prévoyons un peu plus de 70 millions. Il s'agira d'abord, pour 40 %, de financer la formation : non seulement celle des mille formateurs, mais aussi celle des enseignants, pour lesquels il faudra prévoir des remplacements lorsqu'ils seront en formation. Il s'agira aussi de financer nos partenariats, notamment avec les associations d'éducation populaire. Nous destinons par ailleurs 20 % des montants à l'action sociale – augmentation des fonds sociaux, dispositifs pour mieux ouvrir l'école aux parents. Enfin, nous financerons des matériaux pédagogiques, notamment les outils audiovisuels.

Vous avez raison d'insister sur l'évaluation de ces dispositions. Nous disposons d'outils internes pour le faire : l'inspection générale, bien entendu, mais aussi la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, travaillent à identifier clairement les objectifs que nous nous fixons et à les évaluer. Nous avons aussi un outil externe que vous avez contribué à créer, le CNESCO (Conseil national d'évaluation du système scolaire), dont le rôle est central dans notre dispositif.

Pour ce qui est maintenant des enseignements, notamment du français, les apprentissages commencent dès le plus jeune âge. C'est pourquoi nous développons la préscolarisation, en concentrant nos efforts dans les zones d'éducation prioritaire où elle est particulièrement essentielle. Cela suppose d'être proactif afin de convaincre les familles de préscolariser leurs enfants. Des parents au chômage ou au foyer, par exemple, ne sont pas forcément favorables à cette idée.

Par ailleurs, les nouveaux programmes de maternelle, qui sont en cours de parachèvement, visent particulièrement l'acquisition de la « conscience phonologique », c'est-à-dire du lien entre phonème et graphème, afin d'améliorer l'apprentissage de la lecture et de l'écriture en grande section. Ensuite, l'évaluation menée à la fin du cycle composé de la grande section, du CP et du CE1, doit permettre d'apprécier les acquis de l'élève pour proposer des adaptations individualisées lui permettant de maîtriser véritablement la lecture et l'écriture avant son entrée au collège. Aujourd'hui, vous le savez, près de 20 % des élèves ne possèdent pas totalement ces compétences à leur entrée en sixième.

Il faut donc développer des outils pédagogiques adaptés, permettant aux enseignants de répondre aux besoins des enfants qui mettent plus de temps que les autres à acquérir ces compétences. Cela nous renvoie à notre plan de lutte contre le décrochage scolaire présenté à l'automne et visant notamment à former les enseignants à pratiquer une pédagogie différenciée d'un élève à l'autre et à détecter les signaux du décrochage. Dans ce travail au long cours, nous nous appuierons sur différentes expérimentations, par exemple celles du programme « Paris santé réussite », menées par la neuropédiatre Catherine Billard, ou celles de l'association Agir pour l'école. Nous ne sommes pas assez appuyés, ces dernières années, sur les expériences d'innovation pédagogique en matière d'apprentissage de la lecture et de l'écriture et vous avez raison, madame Pompili, de nous inciter à les étendre. Nous avons décidé qu'un conseil scientifique placé auprès la direction générale de l'enseignement scolaire analysera chacune d'entre elles pour en faciliter le déploiement dans les établissements désireux d'y recourir. Enfin, la réforme du collège permettra de consolider les fondamentaux.

Quant à l'enseignement laïc du fait religieux, madame Buffet, il doit être transversal. Les programmes le prévoient déjà. Il s'agit d'en renforcer le contenu et non de créer un cours de toutes pièces. Ce qui nous remonte de la part des enseignants, c'est non seulement que leur formation est insuffisante dans ce domaine, mais aussi que les programmes sont très centrés sur l'histoire et qu'un besoin se fait sentir de parler du fait religieux en étant plus en phase avec l'actualité. J'ai saisi le Conseil supérieur des programmes pour qu'il travaille cette question en lien avec l'Institut européen en sciences des religions, tant il est vrai que la recherche peut alimenter l'éducation sur de tels sujets.

Il en est de même pour l'éducation aux médias : elle doit être transversale et non relever d'un cours à part entière. À cet égard, je ne suis pas sûre de bien comprendre l'opposition que l'on a voulu faire entre éducation aux médias et éducation au numérique. Les deux vont de pair : dans l'un et l'autre cas, les élèves doivent apprendre à décrypter les informations et les images. Le plan pour le numérique à l'école que nous avons annoncé nous sera d'une grande utilité pour permettre aux enfants de travailler très tôt à la maîtrise des usages du numérique. Le numérique, ce n'est pas que de l'équipement : on doit aussi apprendre à se construire une citoyenneté numérique, à ne pas faire de l'internet, sous couvert d'anonymat, un espace de brutalité, à préserver sa vie privée, etc.

Il faut donc former l'ensemble des enseignants à l'éducation au numérique, sachant que les documentalistes recevront une préparation toute particulière. La démarche, on le voit, est interdisciplinaire. Nous souhaitons renforcer le CLEMI (Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information), qui rassemble des acteurs de l'éducation et des médias, en désignant notamment dans chaque académie un référent de l'éducation aux médias et à l'internet. De même que les référents « mémoire et citoyenneté » conduisent des actions sur la mémoire, ces référents organiseront dans les établissements des actions dans leur domaine.

Vous craignez, madame Buffet, que le temps manque pour aborder tous ces sujets alors que les programmes sont déjà très contraints. Permettez-moi tout d'abord de rappeler que nous sommes en train de réformer ces programmes, notamment le socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui remonte à la loi Fillon. Nous souhaitons nous orienter vers un enseignement plus « curriculaire », avec des programmes moins détaillés qui offriront aux enseignants une plus grande liberté pédagogique. Seront bien entendues indiquées les grandes têtes de chapitre dont les enfants devront absolument avoir la maîtrise à la fin de leur scolarité obligatoire, mais en organisant le temps de façon plus libre. Une plus grande place sera laissée au travail en commun, au travail par projets, à l'interdisciplinarité. La réforme des collèges donnera à cet effet une grande autonomie aux établissements et une grande liberté pédagogique aux équipes enseignantes, avec l'introduction d'enseignements complémentaires où plusieurs disciplines pourront se croiser afin d'être plus parlantes pour les élèves, de les amener à comprendre des concepts à partir d'un projet concret sur lequel ils auront travaillé avec plusieurs enseignants.

S'agissant de l'enseignement de l'histoire, la réforme des programmes visera notamment à remettre de la chronologie. C'est, là aussi, un diagnostic partagé : certaines périodes sont abordées plusieurs fois au cours de la scolarité, avec parfois plus de redondance que de cohérence. A contrario, le temps manque pour aborder d'autres sujets tout aussi essentiels, par exemple l'enseignement laïc du fait religieux. Le Conseil supérieur des programmes a la volonté de remettre de l'ordre et de la cohérence tout au long du parcours scolaire.

Concernant les partenariats, il ne s'agit évidemment pas d'ouvrir l'école à tous les vents. La réserve citoyenne que nous proposons de mettre en place sera soumise à un contrôle. Dans chaque académie, un dispositif vérifiera au préalable ce que les citoyens en question peuvent apporter. Mais, permettez-moi d'y insister, l'école ne doit pas être déconnectée du monde qui l'entoure, elle ne doit pas vivre en « mode avion », comme si les turbulences et les questionnements du monde extérieur restaient à sa porte. Mieux vaut, parfois, qu'ils passent la porte pour être analysés en bonne et due forme. Plutôt que de chercher à protéger les enfants au point de les couper du monde réel, mieux vaut être à l'écoute. Cette façon construite de procéder avec les partenaires me semble être la bonne.

Il a été suggéré que les comités départementaux d'éducation à la santé et à la citoyenneté s'ouvrent aux acteurs de l'éducation populaire. C'est une bonne idée à laquelle nous allons travailler.

Certains ont évoqué la notion d'« école des parents ». Il doit être clair que je ne confonds pas les enseignants et les parents. Chacun a son identité, et l'on n'attend d'ailleurs pas des uns et des autres qu'ils respectent les mêmes règles. Pour répondre à votre question sur les accompagnatrices des sorties scolaires, madame Duby-Muller, on n'exige pas la même chose des enseignants ou des élèves à l'intérieur de l'enceinte scolaire et des parents, qui, eux, ne sont pas tenus à la même neutralité. Il est important de garder un contact avec les parents tels qu'ils sont, et non tels qu'on voudrait qu'ils soient.

1 commentaire :

Le 17/02/2015 à 10:52, laïc a dit :

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"Quant à l'enseignement laïc du fait religieux, madame Buffet, il doit être transversal."

Quelle différence Mme la ministre fait-elle entre un cours de "fait religieux" et un cours de "théologie pour débutants" ? La laïcité, c'est la neutralité, et rien de mieux pour enfreindre la laïcité que d'enseigner la religion d'une manière ou d'une autre.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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