Intervention de Philippe Noguès

Réunion du 21 janvier 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Noguès :

Comme membre de la Plateforme RSE, je peux vous assurer que nous ne nous attaquons pas aux entreprises. Aussi voudrais-je insister sur la portée économique de cette proposition de loi. Car la responsabilité des entreprises transnationales, ce n'est pas qu'une question morale, c'est aussi une question de compétitivité de notre économie et de nos entreprises, et c'est important de l'avoir en tête.

Outre son coût humain et environnemental inacceptable dans les pays où il est pratiqué, le moins-disant généralisé pénalise en effet notre compétitivité. Tout comme il existe un dumping social, il existe un dumping sur les droits de l'homme et sur les normes environnementales avec derrière, toujours en filigrane, une dilution organisée de la responsabilité.

Aujourd'hui, rien n'empêche une entreprise d'aller choisir une PME à l'étranger, avec tous les risques extra-financiers que cela comporte en matière environnementale et de droits de l'homme, plutôt qu'une PME française engagée dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale. Les chaînes de production deviennent de plus en plus complexes et de moins en moins lisibles tant pour le consommateur que pour les autorités. Certaines entreprises peuvent alors être tentées de contourner des contraintes qu'elles jugent trop lourdes. Mais elles sont victimes d'un trompe-l'oeil, car elles s'exposent ainsi à d'autres risques tels que la concurrence sauvage, le risque pesant sur leur réputation ou le risque d'une indemnisation.

Le jour où la maison-mère pourra être tenue juridiquement responsable en France pour les atteintes aux droits de l'homme commises par l'une de ses filiales à l'étranger, elle sera obligée de prendre en compte et de chiffrer le risque juridique et financier que cela implique. Et on se rendra compte, alors, que les PME françaises sont finalement assez compétitives dès lors qu'on a une approche globale du risque financier et extra-financier, et donc du ratio coûtavantage.

Ce que je dis n'a rien d'utopique. Regardez les dernières grandes crises d'entreprise. Liées à des risques extra-financiers, elles se traduisent par des conséquences matérielles pour l'entreprise, en pièces sonnantes et trébuchantes. Le risque financier et extra-financier doit donc faire l'objet d'une approche globale. Les dernières crises d'entreprise sont nées de risques extra-financiers, tel le naufrage de l'Erika en Bretagne.

C'est pourquoi j'estime que la non-responsabilité des maisons-mères est une anomalie, un non-sens moral, politique et économique qui va à l'encontre aussi bien des intérêts des populations que des intérêts français et européens.

Si je reviens à notre proposition de loi, elle a pour objet de transposer dans notre droit national les principes édictés au niveau de l'OCDE et de l'ONU. La France a approuvé ces textes élaborés au niveau international, qui ont pour objectif de créer un devoir de vigilance des entreprises, idée selon laquelle les entreprises ont la responsabilité de prévenir toute atteinte aux droits de l'homme dans le cadre de leurs activités économiques et de mettre en oeuvre le cas échéant des mesures de réparation. Je rappelle au passage que ce devoir de vigilance, s'il n'est pas encore étendu à l'ensemble de nos entreprises, existe déjà par exemple pour les banquiers.

Sans entrer dans le débat entre hard law et soft law, il faut d'abord rappeler que les États signataires de ces textes sur le devoir de vigilance sont normalement tenus d'exercer leurs fonctions réglementaires. Quand il s'agit de respect des droits de l'homme sur les chaînes de production, on peut dire clairement et sans ambiguïté que le tout incitatif ne marche pas. Au vu de l'ampleur des conséquences humaines, environnementales et économiques de la situation, l'État a sur ce point la responsabilité d'agir, et c'est l'objet de ce texte.

Il se positionne, me semble-t-il, de manière très équilibrée dans le débat entre soft law et hard law. Je le vois comme une manière de mettre tout simplement les entreprises face à leurs engagements, car l'écrasante majorité des grandes entreprises ont déjà adhéré aux initiatives internationales en matière de RSE et conduisent déjà des audits sociaux. Celles qui ont adopté les meilleures pratiques seront donc valorisées par rapport aux autres.

Autrement dit, ce texte est un juste milieu entre le tout incitatif et le tout coercitif ; il place le curseur au bon endroit. Cette proposition de loi est l'opportunité pour les entreprises françaises de se positionner, d'organiser ce devoir de vigilance qui, heureusement, s'imposera inexorablement dans les années à venir.

Outre le fait que des législations comparables existent déjà dans un certain de nombre de pays occidentaux, comme le Canada ou les États-Unis, le phénomène se développe à grande vitesse sur toute la planète. Bien qu'elle soit encore en voie de développement, l'Inde vient ainsi d'imposer aux entreprises de consacrer 2 % de leur résultat imposable aux activités de RSE.

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