Intervention de Paul Molac

Réunion du 21 janvier 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac :

Cette proposition de loi transpose en droit des engagements de la France et clarifie le paysage juridique actuel, avec l'objectif d'oeuvrer au respect des droits humains et des normes environnementales dans les échanges commerciaux. Madame Levy, cette proposition de loi ne va pas provoquer des délocalisations ; ce sont plutôt les délocalisations déjà bien réelles qui nous obligent à légiférer parce que des entreprises font produire ailleurs que sur le territoire national dans les conditions que nous dénonçons. Il s'agit d'instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre à l'égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs.

Ce texte vise, en effet, à reconnaître à toute société un devoir de vigilance, qui induit qu'elle doit veiller aux impacts que son activité peut générer. Il s'agit de responsabiliser ainsi les sociétés transnationales afin d'empêcher la survenance de drames en France et à l'étranger, et d'obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l'environnement.

Or, aux yeux du droit, chaque entité qui compose un groupe multinational est aujourd'hui considérée comme autonome et sans lien juridique avec la maison mère, ce qui empêche les victimes de saisir les juges français ou européens, alors même que ce sont parfois les décisions de la société mère ou donneuse d'ordre qui sont à l'origine du dommage. En effet, trop souvent, les sociétés mères, lorsqu'elles sont mises devant le fait accompli se retranchent derrière le caractère purement incitatif des principes directeurs internationaux de l'ONU, de l'OCDE, ou de la Commission européenne.

Pour y remédier, le devoir de vigilance que compte créer cette proposition de loi consiste en une obligation de moyens et non de résultat : une société est exonérée de responsabilité, à ce titre, si elle apporte la preuve qu'elle a mis en place des mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir les dommages. Cela permet de prendre en compte les investissements de moyens, qu'ils soient humains, matériels ou financiers, actuellement réalisés par la majorité des entreprises. Il s'agit de créer un devoir de vigilance et de sécurité, et de laisser les entreprises libres dans leurs choix pour répondre à cette obligation.

J'ajoute que l'obligation de vigilance aujourd'hui discutée répond au principe constitutionnel de précaution. Une telle obligation existe d'ailleurs déjà pour les banquiers, pour les médecins, ou en droit de l'environnement. Il s'agirait donc d'une simple extension aux multinationales.

L'adoption de cette proposition de loi permettrait de combattre l'insécurité juridique. Aussi forte que soit la jurisprudence issue de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012 reconnaissant la société mère responsable pour les agissements de l'un de ses sous-traitants dans l'affaire Erika, elle a porté sur les engagements volontaires pris par l'entreprise. Les motifs retenus pour cette condamnation ont donc surpris les entreprises à l'époque car elles n'étaient soumises à aucune obligation juridique en la matière. Après l'adoption de la proposition de loi, leur responsabilité sera mieux encadrée : les entreprises sauront que cette dernière pourra être engagée sur les mesures mises en oeuvre pour lutter contre la survenance de dommages.

Cette proposition de loi est donc solide juridiquement, comme le reconnaissent d'éminents juristes et professeurs de droit, dont M. Olivier De Schutter, rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme à l'ONU, ou le professeur Antoine Lyon-Caen, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Cela ne doit bien évidemment pas empêcher le dialogue au sein de notre Commission, et en séance publique, en vue de l'améliorer par voie d'amendement.

L'idée selon laquelle un cadre légal pour le devoir de vigilance ne pourrait exister qu'au niveau international est fausse. Si les États qui abritent les sièges des multinationales ne prennent pas les devants, rien ne suivra, car c'est dans ces pays que le droit est le plus protecteur et qu'il est à même de réparer les dommages graves faits aux victimes.

En adoptant la proposition de loi, la France renforcerait son rayonnement économique et démocratique, comme l'ont déjà fait d'autres États membres de l'OCDE tels que les États-Unis, le Canada ou encore le Royaume-Uni et l'Italie qui disposent d'un mécanisme similaire de responsabilité pour lutter contre la corruption.

Cette proposition de loi reçoit d'ailleurs le soutien de l'ensemble des ONG impliquées sur le sujet et de nombreux juristes spécialisés. Je rappelle qu'elle a été déposée par les quatre groupes de gauche de l'Assemblée nationale, et je salue la présence parmi nous de Dominique Potier et Philippe Noguès qui ont largement participé à sa rédaction. Si nous ne commençons pas aujourd'hui à mettre un dispositif en place en votant ce texte, je crains que nous n'ayons pas le temps d'y revenir avant la fin de la législature et qu'il demeure dans les limbes. Au contraire, son adoption, devrait être perçue comme un marqueur important de notre législature.

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