Intervention de Olivier Falorni

Séance en hémicycle du 22 janvier 2015 à 9h30
Convention de l'organisation internationale du travail relative aux agences d'emploi privées — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Falorni :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, avec les taux élevés de chômage que nous connaissons en Europe depuis des décennies, l’accompagnement des demandeurs d’emploi est au coeur des politiques actives du marché du travail. En effet, sans un accompagnement renforcé, il ne peut y avoir de réduction significative de la durée de chômage, de meilleure qualité de l’emploi trouvé et des épisodes moins fréquents de non-emploi.

Depuis quelques années, cet accompagnement est de plus en plus assuré, en complément de l’action des opérateurs publics – Pôle emploi, pour la France –, par des opérateurs privés : les agences d’emploi privées. En plus de proposer des services de rapprochement entre l’offre et la demande d’emploi, elles peuvent également mettre des salariés à la disposition d’une entreprise avec laquelle elles concluent un contrat de travail temporaire ou d’intérim.

Différentes considérations peuvent motiver le recours à ces agences. Cela peut être la couverture de zones géographiques dans lesquelles le service public de l’emploi est peu présent, comme cela peut être aussi la mise en oeuvre de prestations spécifiques à destination de publics ciblés pour lesquels le service public ne dispose pas, ou pas suffisamment, des compétences nécessaires compte tenu, notamment, de la faiblesse relative des besoins – par exemple, l’accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprise.

En 1994, l’Organisation internationale du travail prenait acte du fait que les principes qui sous-tendaient la convention no 96, qu’elle avait adoptée en 1946, ne correspondaient plus à la réalité des marchés du travail modernes. En effet, cette convention interdisait le recours aux agences d’emploi privées alors que de nouvelles formes d’accompagnement des demandeurs d’emploi sur le marché du travail se révélaient indispensables.

L’OIT lançait donc, en 1994, une conférence sur le rôle des agences d’emploi privées dans le fonctionnement du marché du travail. Trois ans plus tard, au mois de juin 1997, l’Organisation adoptait, à Genève, la convention no 181. Quel est son contenu ?

Cette convention autorise la création d’agences d’emploi privées mais elle exige la détermination d’un cadre juridique et des conditions d’exercice de leurs activités qui garantissent une protection adéquate aux travailleurs faisant usage de leurs services. Elle énonce ainsi un principe de non-discrimination des travailleurs dans l’accès aux services des agences d’emploi privées, tout en prévoyant la possibilité pour ces agences de se spécialiser ou d’offrir des services spécifiques aux plus défavorisés d’entre eux. À ce titre, elle garantit une protection adéquate pour les travailleurs migrants.

Chaque État doit faire en sorte que ces personnes recrutées ou placées sur son territoire par des agences d’emploi privées bénéficient d’une protection adéquate et prendre des mesures pour empêcher que des abus ne soient commis à leur encontre. Ces mesures doivent comprendre des lois ou règlements prévoyant des sanctions, y compris l’interdiction des agences d’emploi privées qui se livrent à des abus ou à des pratiques frauduleuses. La convention précise notamment que tout pays membre doit prendre des mesures pour s’assurer que le travail des enfants ne soit ni utilisé ni fourni par des agences d’emploi privées. Par ailleurs, elle garantit aux travailleurs recrutés par celles-ci leur droit à la liberté syndicale et à la négociation collective.

La convention énonce également un principe d’interdiction de mise à la charge des travailleurs des frais des services fournis, en prévoyant des dérogations nationales pour des catégories de services spécifiquement identifiés et dès lors que ces dérogations sont motivées par l’intérêt des travailleurs concernés.

Enfin, la convention oblige à définir des conditions de nature à promouvoir la coopération entre le service public de l’emploi et les agences d’emploi privées. Dans ce cadre, les autorités publiques conservent la compétence de décider en dernier ressort de la formulation d’une politique du marché du travail comme de l’utilisation et du contrôle des fonds publics destinés à cette politique. Elle définit également une obligation statistique qui incombe aux agences privées : celles-ci doivent fournir de façon régulière aux autorités publiques compétentes des informations sur leurs structures et leurs activités, informations qui seront mises à intervalles réguliers à la disposition du public.

De ce dispositif conventionnel découle toute une série d’avancées significatives.

Tout d’abord, en instaurant un cadre clair pour la réglementation, la convention no 181 constitue un gage de fiabilité et elle assure la protection effective des travailleurs contre des pratiques abusives en matière de rémunération, de santé ou de sécurité de la part d’agences intérimaires ou d’entreprises utilisatrices peu scrupuleuses. Ensuite, la libéralisation de l’activité de placement doit avoir des effets positifs sur l’emploi, en créant une dynamique favorable à la création d’emplois, en favorisant une meilleure adéquation entre l’offre et la demande de main-d’oeuvre et en permettant de développer des compétences nouvelles et innovantes. Notons que cette libéralisation permet aux agences d’emplois privées de jouer un rôle complémentaire par rapport au service public de l’emploi. Pôle emploi peut ainsi y avoir recours pour mobiliser les compétences spécialisées dont il ne dispose pas en interne – en particulier en matière d’évaluation des compétences et de formation – ou pour augmenter ses capacités d’action et confronter ses méthodes et résultats à ceux d’autres opérateurs.

Par ailleurs, l’adoption de la convention de l’OIT n’entraîne pas de conséquences juridiques en droit français puisque l’activité privée de placement est conforme aux dispositions de ladite convention.

Enfin, toujours conformément à celle-ci, les services de placement reposent sur les principes inscrits dans la loi, à savoir : le principe de la gratuité pour le demandeur d’emploi, selon lequel aucune rétribution, directe ou indirecte, ne peut être exigée des personnes à la recherche d’un emploi en contrepartie de la fourniture de services de placement ; le principe de la non-discrimination des services et offres d’emploi proposés. C’est d’autant plus vrai que Pôle emploi, il faut le rappeler, continue de détenir les prérogatives régaliennes telles que l’inscription et la gestion de la liste de demandeurs d’emploi, le contrôle de la recherche d’emploi, l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi.

En effet, aujourd’hui les agences d’emploi privées n’interviennent sur le marché du placement que dans le cadre des appels d’offres de l’opérateur de l’État, et cela pour deux raisons. D’une part, les services de Pôle emploi étant gratuits pour les entreprises, celles-ci n’ont pas un intérêt économique à avoir recours directement aux agences d’emploi privées, dont les services sont payants. D’autre part, le marché du placement n’est pas encore très développé, en raison de l’ouverture relativement récente aux agences d’emploi privées.

La convention no 181, entrée en vigueur le 10 mai 2000, a été ratifiée par vingt-sept pays, parmi lesquels figurent douze États membres de l’Union européenne. La France manque jusqu’à présent à l’appel. À l’époque, elle n’était pas en mesure de ratifier la convention en raison du monopole du placement détenu par l’Agence nationale pour l’emploi, devenu Pôle emploi, mais la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 a ouvert le marché du placement à des organismes de placement privés et ainsi mis fin à un monopole qui n’était plus respecté dans les faits. Il ne subsiste donc aujourd’hui plus aucun obstacle de nature législative à la ratification de la convention.

Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera donc le projet de loi autorisant cette ratification, d’une part, parce que la convention no 181 promeut la libéralisation des activités des agences d’emploi privées et prend acte de l’importance de la flexibilité dans le fonctionnement des marchés du travail et, d’autre part, parce qu’elle offre un équilibre entre le besoin de flexibilité des entreprises et les besoins des travailleurs dans un environnement de travail sûr et dans des conditions de travail décentes.

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