Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du 13 janvier 2015 à 15h00
Hommage aux victimes des attentats

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

Les terroristes n’ont pas choisi de frapper au hasard. Ils ont décimé une rédaction : la rédaction d’un journal symbole de la liberté d’expression et d’impertinence, un journal symbole du droit à l’outrance. Parce que l’outrance est une forme d’humour.

Un journal, enfin, adepte d’un anticléricalisme militant, qu’il ne faut pas confondre avec l’insulte aux religions, mais bien ramener à ce qu’il est : le refus de toute tentative d’imposer, par un clergé, par des clergés, quels qu’ils soient, des règles sociales autres que celles décidées démocratiquement.

Ils ont aussi froidement abattu des représentants des forces de l’ordre, des représentants d’un État laïc, dont ils refusent les règles.

Ils ont enfin tué des juifs, parce qu’ils étaient juifs.

Leurs victimes étaient la France, son identité : la liberté de création, la laïcité, l’ordre fondé sur la loi des hommes et notre capacité séculaire à voir des croyances différentes cohabiter en une seule et même nation. Une nation diverse. Une nation composée, non de communautés juxtaposées, dotées de règles spécifiques, mais de citoyens : des citoyens libres de respecter les préceptes de leur choix, mais des citoyens respectueux, mutuellement, des convictions et de la liberté d’autrui.

Ces citoyens ont marché ce week-end, innombrables, indénombrables. Rarement un silence aura eu une signification aussi claire. Ce silence nous disait : « Nous sommes la France. »

Cette clameur muette a été partagée bien au-delà de notre territoire, par la présence de chefs d’États à Paris – y compris par la présence apparemment incongrue de responsables politiques qui ne se distinguent pas par leurs pratiques démocratiques, mais dont nous pouvons nous réjouir qu’ils se soient considérés comme tenus de venir exprimer leur respect ; partagée aussi par les manifestations citoyennes et des messages bouleversants venus du monde entier.

C’est le même message qui nous est parvenu : « Soyez la France. »

Mes chers collègues, être la France, dans de telles circonstances, qu’est-ce que c’est ?

Être la France, c’est tenir bon. C’est tenir bon sur le principe de laïcité, c’est ne jamais – ne plus jamais – accepter qu’en République, puissent être invoquées des lois supérieures, baptisées divines ou de nature, qui viendraient s’imposer aux lois des hommes.

Être la France, c’est ne pas renoncer à voir la République tenir sa promesse d’égalité. Car les fascismes empruntent toujours le même lit des mêmes rivières : elles ont pour nom l’ignorance, la pauvreté, le chômage, le désespoir social et le sentiment d’injustice.

Rien n’excuse les pensées et les actes terroristes. Rien n’absout la haine, mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue que c’est en tarissant les sources des fascismes qu’on les combat le plus efficacement.

Le fascisme fait son nid dans toutes les idéologies, tous les courants de pensée, toutes les religions. C’est une idéologie politique qui prend l’apparence de la foi.

Être la France, c’est faire preuve de lucidité, regarder en face des situations que nous connaissons, sur lesquelles nous travaillons ici depuis des mois : la question de l’éducation et de l’absence de repères, la question de notre univers carcéral, qui constitue trop souvent une école du terrorisme, la question des nouveaux canaux d’expression et de diffusion de messages mortifères.

Être la France, c’est faire preuve d’humilité : le terrorisme auquel nous sommes confrontés n’est malheureusement pas un phénomène inédit. C’est même un terrorisme mondialisé, qui appelle des réponses globales, ce qui ne nous soustrait pas à nos responsabilités. D’autres pays ont eu à y faire face et ont adapté leurs législations. Sachons tirer les leçons de leurs expériences. Retenons de l’expérience américaine post-11 septembre que la restriction des libertés publiques ne s’est pas accompagnée d’un renforcement de la sécurité. À l’inverse, sachons nous inspirer de la réaction digne du Premier ministre norvégien qui, au lendemain d’un drame terrible, déclarait : « Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. Mais jamais de naïveté. C’est quelque chose que nous devons aux victimes et à leurs familles. »

Être la France, enfin, c’est tenir un rang et des obligations au sein de la communauté internationale, dans le respect du droit international.

À la suite de cette séance, nous serons amenés à nous prononcer sur le prolongement de notre intervention en Irak : mon collègue François de Rugy exprimera le point de vue de notre groupe sur ce sujet.

Mes chers collègues, voici le message que je porte aujourd’hui, au nom de mes collègues écologistes : après le temps de l’hommage aux victimes, après le temps du recueillement commun, ouvrons le temps du diagnostic partagé. Sans arrières-pensées ni anathème. Et lorsque viendra le temps des décisions communes, gardons chevillé à l’esprit ce message, cette belle ambition qui marche : soyons dignes de la France, soyons la France et restons la France.

1 commentaire :

Le 14/01/2015 à 09:03, laïc a dit :

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"Être la France, c’est tenir bon. C’est tenir bon sur le principe de laïcité, c’est ne jamais – ne plus jamais – accepter qu’en République, puissent être invoquées des lois supérieures, baptisées divines ou de nature, qui viendraient s’imposer aux lois des hommes"

Tout à fait, la laïcité ne saurait être transgressée, et c'est pourquoi j'appelle une nouvelle fois à ce qu'il n'y ait plus de menus séparés dans les cantines de la République. Les préférences religieuses n'ont pas à être prises en compte par l'Etat républicain : égalité pour tous, laïcité pour tous, même loi pour tous, un seul type de citoyen devant la loi.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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