Intervention de Philippe Aigrain

Réunion du 16 octobre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Philippe Aigrain :

Votre présentation du débat sur la neutralité du net ne me paraît pas tout à fait exacte, car vous avez évoqué le risque de concentrations et de distorsions de concurrence par abus de position dominante, mais vous n'avez rien dit du « must carry » qui est l'obligation de transmettre équitablement des contenus produits, par exemple, par l'audiovisuel public. D'une certaine façon, la neutralité du net, c'est une exigence à l'égard des acteurs de transmettre équitablement les contenus de tout un chacun (citoyen fournisseurs de services et d'applications, producteurs de contenus) et pas seulement de l'audiovisuel public. Parce qu'il y a un continuum, on ne peut prétendre aujourd'hui fixer des règles qui s'appliqueraient uniquement aux grands fournisseurs de services audiovisuels, laissant de côté ceux que l'on appellerait les utilisateurs de contenus produits par des utilisateurs. Cette expression a été trouvée précisément par les opérateurs de plateformes, pour nier aux usagers le statut de producteur et d'auteur et pouvoir ainsi utiliser leurs contenus sans entrer dans le type de relations qu'ils doivent avoir à l'égard de ceux à qui ce statut est reconnu.

Si, donc, le scepticisme s'exprime à l'idée que le CSA joue un rôle de régulation sur les contenus audiovisuels diffusés sur le net, c'est que l'audiovisuel n'est plus la même chose mais un continuum de types de productions. Comme l'a dit Edwy Plenel, le bien le plus précieux, ce sont les productions qui émanent des citoyens et des petits acteurs. Or, les analystes qui s'intéressent à la situation des petits producteurs de contenus considèrent que porter atteinte à la neutralité du net pour imposer à Netflix de payer une redevance aux opérateurs d'internet, c'est lui faire un merveilleux cadeau ; de telles mesures, loin de prévenir les positions dominantes, les renforceront.

Voilà qui donne une idée de la difficulté qu'il y a à prendre en compte cette révolution. L'approche réglementaire adoptée lors de la création du CSA tenait à la fois à la rareté du spectre hertzien et à la relative rareté des sources d'émission – 150 télédiffuseurs environ. Lors de la campagne pour l'élection présidentielle, en 2002, le CSA, n'ayant pas les moyens de vérifier le respect de l'équité entre les candidats sur ces chaînes, avait demandé aux radios associatives de s'abstenir de diffuser des sujets politiques. À l'époque, la France comptait quelques centaines de radios associatives au grand maximum ; considérant qu'il y a à présent 40 millions d'internautes, quelques principes demandent à être révisés.

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