Intervention de Laurent Cytermann

Réunion du 16 octobre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Laurent Cytermann, rapporteur général adjoint (présentation de l'étude du Conseil d'État sur le /« numérique et les droits fondamentaux/ » :

M. Aigrain nous a interrogés sur la neutralité des réseaux. Nous sommes bien conscients de l'intensité des débats suscités par le vote du Parlement européen sur cette question, mais je ne partage pas l'idée selon laquelle nous viderions de sa substance le principe de neutralité. Il faut en effet distinguer deux choses : d'une part, le principe, qui est pour la première fois affirmé dans le droit positif et qui est bien de nature à garantir plusieurs libertés fondamentales – la définition qu'en donne le Parlement européen, plus précise que celle de la Commission, nous paraît d'ailleurs plus satisfaisante – et, d'autre part, l'étendue des exceptions à ce principe. C'est sur ce point que porte le débat, lequel est certes important mais subalterne.

Les services spécialisés relèvent de la liberté contractuelle entre un fournisseur de contenus et un opérateur de réseau, qui peut proposer un niveau de qualité garantie. Nous préconisons que cette liberté ne soit pas trop restreinte a priori par le législateur européen mais qu'en contrepartie, elle ne puisse s'exercer au détriment de la qualité de l'internet généraliste. Ainsi nous proposons des avancées qui ne figurent pas dans le texte de la Commission européenne, notamment en matière de contrôle par les autorités de régulation nationales, l'ARCEP en France. Nous estimons en effet qu'un contrôle doit être exercé a priori – l'autorité doit pouvoir examiner le projet de convention afin de juger s'il est de nature à porter atteinte à la qualité de l'internet généraliste – et a posteriori, car elle doit pouvoir prendre des mesures correctrices s'il s'avère que ce service spécialisé prend une place trop importante.

S'agissant de l'anonymisation des données personnelles dans le cadre du big data – qui fait l'objet de la proposition n° 12 –, nous estimons que le principe de finalité déterminée, qui figure dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et qui fonde la confiance des individus dans la société numérique, ne saurait être remis en cause : chacun doit savoir dans quel but ses données sont collectées et traitées. Nous ne partageons donc pas l'opinion de ceux qui estiment, et leurs arguments sont parfois forts, qu'il faut recueillir le plus de données possible et voir ensuite ce qu'on en fait. Cependant, la directive de 1995 tempère le principe de finalité déterminée par celui de liberté de réutilisation statistique, estimant que l'exploitation statistique d'une base de données est réputée compatible avec les finalités initiales du traitement. Nous avons souhaité réaffirmer également ce principe, car il nous paraît très important de préserver la liberté de réutilisation statistique – utile pour certaines applications du big data, notamment en matière économique ou de fonctionnement des services publics – dès lors qu'elle n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des individus. Bien entendu, le secret statistique doit être garanti, voire renforcé pour être adapté aux progrès des techniques de ré-identification.

En ce qui concerne les modalités de mise en oeuvre du dialogue tripartite sur le droit au déréférencement, sur lesquelles Mme de la Raudière nous a interrogés, le rapport n'entre pas dans le détail. Il ne peut s'agir toutefois que d'une obligation de moyens mise à la charge du responsable du traitement de données. Avant de prendre sa décision, il doit solliciter l'éditeur auquel est adressée la demande de déréférencement. Mais si celui-ci est introuvable ou ne répond pas dans un délai raisonnable, le processus doit suivre son cours. Bien entendu, si une décision de justice intervient, l'autorité de la chose jugée s'impose, mais ce ne peut être un préalable systématique à la demande de déréférencement.

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