Intervention de Philippe Aigrain

Réunion du 16 octobre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Philippe Aigrain :

L'étude du Conseil d'État a suscité de la part des associations citoyennes qui travaillent sur le droit d'internet un grand intérêt et des réactions extrêmement contrastées.

Certaines de vos propositions sont particulièrement convaincantes, notamment celles relatives à l'autodétermination informationnelle parfaitement adaptée à l'internet. Vous avez également accompli un véritable travail de pionnier concernant les algorithmes prédictifs, question que seuls les philosophes et les sociologues avaient abordée jusque-là. Si ce sujet se trouve au coeur des nouvelles pratiques de l'exploitation des données, il risque cependant d'être exploité par des intérêts divers. Et j'ai précisément eu le sentiment que vos propositions relatives à la diversité culturelle des contenus audiovisuels et musicaux faisaient écho aux propositions de certains des acteurs sans prendre en compte celles de certains autres. En recommandant le recours au droit souple ou aux conventions conclues par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), vous prenez par exemple partie dans un débat très vif et non encore tranché sur le rôle de ce dernier.

Nous sommes en revanche beaucoup moins enthousiastes lorsque l'étude prend position sur des sujets qui font actuellement l'objet d'un travail législatif comme la neutralité des opérateurs de réseau, et l'anonymisation concernant le big data.

Si l'étude refuse à juste titre de valider le concept de neutralité des plateformes, il me semble qu'elle utilise un procédé rhétorique qui, pour être classique n'en pose pas moins quelques problèmes. En effet, après avoir proclamé la nécessité d'affirmer la neutralité du net dans les termes énoncés par le Parlement, vous videz l'approche parlementaire de sa substance en proposant d'y soustraire les deux éléments qui fondent sa spécificité : la définition étroite et exigeante des services spécialisés, et celle des pratiques de gestion de trafic acceptable pour ces services. Pouvez-vous expliquer le choix d'une telle position ?

En matière d'anonymisation et de big data, vous épousez le point de vue selon lequel les données constitueraient l'or noir du XXIe siècle et le futur économique du numérique. Les économistes spécialisés ne sont pourtant pas unanimes sur ce point : nombreux sont ceux qui estiment que l'économie de l'exploitation des données demeurera un secteur de taille réduite. Vous considérez par ailleurs que l'anonymisation des données devrait permettre qu'il en soit fait un usage très libre, et favoriser le développement de leur exploitation commerciale. Cette fois encore, vous négligez le fait que les avis sont très partagés sur la portée de l'anonymisation dans un univers dans lequel les données circulent et se croisent. Comment anonymiser un seul jeu de données alors que les acteurs sont multiples ? Dans un tel contexte, il paraît impossible de s'affranchir, comme vous semblez le faire, de l'exigence de protection des droits.

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