Intervention de Jean Pisani-Ferry

Réunion du 17 décembre 2014 à 11h30
Commission des affaires européennes

Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie :

Le plan Juncker est l'opportunité de lancer une politique industrielle européenne, et il faut la saisir. Ceux qui s'y sont le plus fortement opposés jusqu'à maintenant, ce sont les Allemands, mais les temps changent : il ne faut pas sous-estimer le rôle qu'ont joué l'affaire Edward Snowden et les révélations sur l'espionnage par la National Security Agency – NSA. Les Français sont habitués à être espionnés par un État qui ne rend pas vraiment de comptes, et ils considèrent aussi souvent que les Américains sont des méchants. Mais, pour les Allemands, cette affaire a constitué un traumatisme important : ils sont sensibles aux questions d'espionnage par les États, puisqu'ils ont rencontré quelques ennuis dans le passé, et ils considéraient plutôt les Américains comme des amis et des alliés fiables. Ayant mesuré les conséquences de notre dépendance vis-à-vis des États-Unis, ils sont prêts à engager une politique industrielle dans le secteur du numérique. C'est une occasion qu'il faudrait vraiment saisir ! Mme Merkel était venue voir M. Hollande, il y a quelques mois, pour proposer la création d'un internet européen, afin d'éviter que les données échangées en Europe ne passent notamment par le Royaume-Uni et ne soient espionnées par la NSA – mais cette proposition n'a malheureusement eu aucun écho en France.

S'agissant de la transition énergétique, tout le monde est en apparence d'accord. Il faut mesurer le caractère dramatique de la situation actuelle : le pétrole pas cher, pour la transition énergétique, c'est mortel ! Si nous ne sommes pas capables de mettre beaucoup d'argent, et beaucoup d'argent public, sur la table, nous l'aurons tuée au lieu de l'accélérer. C'est un enjeu crucial : la dépendance énergétique est la principale faiblesse structurelle de l'Europe ; si nous nous laissons berner par la baisse du prix du pétrole et que nous attendons pour agir – par manque de moyens publics – nous irons dans le mur, car dès la reprise de l'économie mondiale, nous serons terriblement handicapés.

Il serait intéressant d'envisager – même si c'est sans doute trop tard politiquement – que le Fonds européen d'investissement puisse peut-être lui-même lever des fonds, ce qui n'est pas très clair aujourd'hui. Le plan Juncker pourrait ainsi servir à lancer enfin les fameux eurobonds : les financements complémentaires ne seraient ainsi pas seulement nationaux, mais aussi européens.

Il y a, je le souligne, une contradiction entre la volonté de faire démarrer les investissements rapidement – ce qui implique que les projets sont mûrs – et celle d'investir dans des projets vraiment nouveaux. J'ignore si la représentation nationale a eu connaissance des projets avant leur transmission à Bruxelles – et pour tout dire, j'estime que ce goût pour le secret constitue l'un des vrais problèmes français. Mais mes lectures m'ont montré qu'une partie de ces plans étaient transversaux, ce qui est plutôt réjouissant. Je partage en effet le souci de M. Alauzet : il faut apprendre à financer des millions de petits travaux, les petits ruisseaux faisant en l'occurrence les grandes rivières. C'est, ai-je cru comprendre, le cas.

Vous avez raison, derrière tout cela, des questions de gouvernance se posent, notamment sur les choix entre structure intergouvernementale et structure vraiment communautaire. J'avais, avec beaucoup d'autres comme Xavier Timbeau ou Thomas Piketty, signé l'an dernier un Manifeste pour une union politique de l'euro, qui appelait notamment à la création d'un parlement pour la zone euro. Ce ne serait certes pas une solution à court terme, mais cela permettrait d'amener progressivement les Allemands à sortir d'une logique de règles. La question démocratique en Europe est infiniment sérieuse pour les Allemands – l'histoire leur en a appris l'importance. C'est le caractère insuffisamment démocratique de l'Europe qui les retient de soutenir des politiques vraiment européennes. L'enjeu est donc majeur.

En matière de normes, il est exact que les Allemands dépassent, pour la deuxième année consécutive, la norme de 6 % d'excédent extérieur prévue par le six-pack – et cette norme était déjà très élevée, pour ne pas leur faire de peine. Il serait bon que la Commission européenne prenne des mesures, ou à tout le moins change d'attitude sur ce problème.

S'agissant de compétitivité enfin, je ne crois pas que les mesures prises aujourd'hui en France en matière de compétitivité-coût soient de nature à améliorer en quoi que ce soit la compétitivité de l'économie française vis-à-vis de la Roumanie, de la Pologne ou de la Chine. Nous menons en réalité une politique agressive vis-à-vis de nos voisins immédiats, en reprenant des parts de marché aux Belges, aux Italiens, aux Espagnols... En retour, ils vont eux-mêmes plus loin dans la course à l'échalote vers le moins-disant social. Cela ne résoudra pas les problèmes de compétitivité des entreprises françaises, et encore moins ceux de l'Europe dans son ensemble.

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