Intervention de Jean Pisani-Ferry

Réunion du 17 décembre 2014 à 11h30
Commission des affaires européennes

Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie :

À la différence de Guillaume Duval, j'estime que la BCE doit être exclusivement chargée de la politique monétaire. Elle s'apprête aujourd'hui à franchir le Rubicon et à acheter des titres publics. Personne ne peut contester qu'une banque centrale ne soit parfois amenée à mener des politiques non conventionnelles de ce type, mais, dans le cas de la BCE, cela provoque de fortes réticences, en particulier en Allemagne. Pour que la BCE puisse avoir les mains libres et utiliser les instruments qu'elle maîtrise, j'estime donc – pour éviter les confusions – qu'elle doit se cantonner à la politique monétaire.

La BCE doit également être rassurée sur les politiques économiques et budgétaires. C'est elle qui, paradoxalement, appelle à une meilleure coordination : les gouvernements demandent à la BCE de prendre des initiatives, et donc des risques, tout en étant incapables de dessiner la moindre perspective à moyen terme... Nous sommes à front renversé par rapport à ce qui se passait il n'y a pas si longtemps, lorsqu'il n'était question que de préserver l'indépendance de la BCE et que la coordination était considérée comme une forme de cartel des États. Cela renvoie aux questions de gouvernance.

Ce qui compte finalement, c'est que l'impulsion budgétaire globale soit neutre ou positive. Aujourd'hui, nos prévisions montrent qu'elle est à peu près neutre, mais la distribution par pays pose problème : certains pays sont poussés à mener des politiques restrictives, sans que d'autres pays, comme l'Allemagne, ne soient invités à changer d'orientation. L'Allemagne cherche aujourd'hui à obtenir un équilibre, et même un excédent, budgétaire. Ce n'est pourtant pas la politique budgétaire qui serait souhaitable, au vu de la conjoncture économique européenne. C'est là le résultat d'une pure contrainte politique – ce n'est pas une conséquence du pacte de stabilité, ni des règles constitutionnelles dont l'Allemagne s'est dotée pour la dette, qui lui laisseraient aujourd'hui une marge de manoeuvre d'un point de PIB.

Il me semble donc qu'il faut laisser à la BCE la liberté de mener la politique monétaire qu'elle croit devoir mener, tout en progressant sur l'orientation des politiques budgétaires.

S'agissant du plan Juncker, son insuffisance a été largement soulignée. Je vous rejoins entièrement, madame Sas, sur le risque de substitution de financements européens à des financements français, ce qui n'aurait aucun effet macroéconomique. Il faut néanmoins, je crois, s'inscrire dans la perspective qu'ouvre ce plan, car c'est un moyen de faire évoluer les politiques européennes. Il y a une initiative de la Commission européenne, reconnue par tous comme positive : il faut lui donner du contenu, en insistant sur la priorité à donner à l'environnement et à la transition énergétique, et l'amplifier, en apportant des financements nationaux complémentaires. Mais le résultat, je le souligne, n'est absolument pas garanti : M. Muet a raison de rappeler les 120 milliards de l'été 2012, dont nul n'a jamais su ce qu'ils étaient exactement. La capacité des institutions comme la BEI à préférer accorder des crédits peu risqués plutôt que des crédits plus risqués ne doit jamais être sous-estimée : la vigilance reste de mise.

S'agissant de l'évolution des politiques nationales, il me semble que nous avons intérêt à nous inscrire dans la discussion européenne pour trouver un consensus. Le spectacle d'un affrontement entre les États sur les questions de politique économique n'impressionnerait sans doute pas favorablement les « agents d'ambiance » qui observent l'économie européenne... Cela risquerait en outre d'intimider la BCE.

Sur la France, enfin, je ne reprendrai pas à mon compte l'expression d' » homme malade de l'Europe », mais nous souffrons, je crois, d'un problème de compétitivité : il me semble que le diagnostic porté a été correct. Je partage bien sûr l'idée qu'un excédent important comme celui que connaît la zone euro n'est pas souhaitable dans les circonstances actuelles, et d'autant moins qu'il concourt à renforcer l'euro. Mais, pendant longtemps, notre croissance a été due au développement absolument insoutenable de certains de nos partenaires : nous avons ainsi beaucoup bénéficié de l'expansion espagnole. Mais aujourd'hui, la dette extérieure de l'Espagne s'élève à 100 % de son PIB ! Même si elle se redresse, et elle se redressera, il n'y aura pas de retour à l'état antérieur.

Nous devons donc résoudre nos problèmes de compétitivité, tant sur le plan des coûts que sur le plan de la qualité. Les efforts fiscaux que vous connaissez bien ne pourront pas être reproduits. C'est pourquoi Henrik Enderlein et moi-même avons voulu souligner que le CICE ou le pacte de responsabilité ne pouvaient pas avoir pour objet de financer des hausses de salaires. C'est une tendance qui existe, et elle est inquiétante ; il faut donc émettre sur ce point, je crois, des signaux forts. Mobiliser l'argent des contribuables pour augmenter les salaires des salariés déjà en place ne me paraît pas souhaitable.

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