Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 9 décembre 2014 à 21h30
Réforme de l'asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteures, monsieur le rapporteur, l’asile est un des piliers de notre tradition républicaine et la France est perçue dans nombre de pays – et surtout par les combattants de la liberté – comme une terre d’asile.

Néanmoins, Robert Badinter a dit un jour que la France n’était pas tant le pays des droits de l’homme que celui de la déclaration des droits de l’homme, soulignant ainsi l’abîme qui sépare les principes et les représentations de la réalité. Combler cet abîme doit être notre objectif, notre boussole. Le texte soumis aujourd’hui à notre discussion est de ceux qui tissent un lien entre nous et le reste du monde, qui façonnent notre place dans le concert des nations, qui nourrissent le message universel que nous souhaitons toujours porter.

Monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, constatons que nombre des principes fondateurs de notre République, sont parfois mis à mal. La crise, la montée des populismes, partout en Europe, et dans notre pays en particulier, suscitent le repli, alimentent la xénophobie et expliquent que l’altérité est perçue comme un trouble et l’étranger comme un fraudeur.

De deux choses l’une. Soit, au nom des libertés, du respect de nos valeurs, de notre Constitution et des conventions signées et adoptées par la France, nous renforçons avec détermination notre législation, en tenant compte de la nécessité de rendre plus efficace l’application des directives européennes et de la convention de Genève. Soit, au nom d’une autre idée de la France, parfois exposée à cette tribune, on mêle l’immigration et le droit d’asile au discours sécuritaire, on pratique l’amalgame et, d’une certaine façon, on abîme notre histoire. C’est une question de principe.

Le projet de loi relatif à la réforme de l’asile a pour objectif d’améliorer l’accès à une protection de ceux qui craignent avec raison des persécutions en cas de retour dans leur pays. Une réforme était nécessaire, en raison de l’insuffisance de l’hébergement, des carences administratives et de la concentration géographique des demandes avec, comme résultats, un accueil défaillant et des délais excessivement longs, voire insupportables.

Sur l’asile comme sur l’immigration, il nous faut combattre les idées reçues et les discours démagogues, et rappeler que la France est au huitième rang des pays européens les plus condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme pour manquement à ses obligations. Il faut rappeler que la France est, parmi les cinq pays d’Europe rendant le plus grand nombre de décisions par an, celui qui accède le moins facilement aux demandes d’asile – celles-ci y ont reçu 17 % de réponses positives en 2013, contre plus de 26 % en Allemagne, plus de 38 % au Royaume-Uni et plus de 53 % en Suède.

Monsieur le ministre, il est difficile de croire que le pays des droits de l’homme attire si peu les vrais réfugiés politiques, moins que le Royaume-Uni, moins que l’Allemagne, sans parler de la Suède. Or, en indiquant que ce projet de loi permet d’écarter rapidement les demandes infondées et vise les personnes qui ont réellement besoin de protection, les « bons » demandeurs, on introduit cet esprit de suspicion funeste et l’idée que le détournement de la procédure d’asile serait aujourd’hui la règle. Ce n’est pas ma conviction et ce n’est pas la réalité. Comme vous l’avez rappelé, l’augmentation des demandes s’explique, pour l’essentiel, par la multiplication des conflits.

Ce projet de loi vise à transposer de nouvelles directives européennes, adoptées en juin 2013, avec, comme objectifs principaux, la possibilité de statuer rapidement sur les demandes d’asile – en parvenant à un délai moyen d’examen de neuf mois – et le renforcement des garanties des personnes ayant besoin d’une protection.

Le texte a pour ambition d’améliorer la protection de ces demandeurs d’asile. A cet égard, il faut reconnaître que vous apportez des améliorations : un enregistrement plus rapide des demandes, la possibilité de se faire assister d’un conseil lors de l’entretien avec l’officier de protection de l’OFPRA, la prise en compte du critère de vulnérabilité, l’introduction d’un recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile pour certaines procédures accélérées et l’attestation permettant aux demandeurs au titre du « règlement Dublin » de se maintenir sur le territoire et d’accéder au dispositif d’accueil.

Sur ce point, il est regrettable que, contrairement aux dispositions de la directive, l’OFPRA ne soit pas saisi de la demande d’asile et ne soit pas non plus compétent pour examiner la demande, le préfet restant seul compétent pour déterminer l’État responsable.

Des améliorations ont néanmoins été apportées par la commission et le débat parlementaire devrait permettre d’autres avancées nécessaires à mes yeux, notamment concernant le dispositif d’hébergement directif.

Ce dernier répond tout autant à une exigence de gestion des flux qu’à une exigence d’accès à un hébergement avec un accompagnement de qualité. Soulignons en effet qu’en cas de refus de l’hébergement proposé, le demandeur perdra son droit aux allocations et que, en cas d’absence injustifiée, sa demande sera examinée en procédure accélérée. Le caractère contraignant de ce dispositif est un point de débat, nous l’avons dit en commission et nous mènerons ce débat ici, dans l’hémicycle.

Les conditions d’accueil constituent un autre point en débat. Aujourd’hui, seule la moitié des demandeurs est prise en charge malgré les 24 689 places en CADA et un nombre quasi-équivalent de places d’hébergement d’urgence. Au 1erjanvier 2014, 45 319 personnes étaient en attente d’une place en CADA, les demandeurs d’asile étant plus nombreux dans les hébergements qui ne leur sont pas destinés que dans ceux créés à leur intention. Les choix budgétaires du Gouvernement, vous ne l’ignorez pas, ne garantissent pas que cet hébergement de qualité que vous semblez souhaiter puisse voir le jour dans des délais rapides.

Je voudrais également mettre l’accent sur l’accélération des procédures. Il faut pouvoir assurer une difficile conciliation entre la volonté de statuer rapidement, dans un délai moyen de neuf mois, sur les demandes d’asile, et l’impératif du respect des droits et d’une bonne justice, les décisions rapides pouvant parfois être expéditives.

Considérant qu’une décision rapide est un avantage certain pour le demandeur, la réforme s’attaque à la collégialité de la Cour nationale du droit d’asile, pourtant ô combien nécessaire pour juger des situations diverses et complexes et tenir compte de la dimension protéiforme de l’exil. La collégialité est essentielle en matière d’asile. Ainsi l’assesseur nommé par le Haut-Commissariat aux réfugiés apporte une connaissance fine du terrain, des conflits et des situations géopolitique.

Je rappelle par ailleurs que l’article 15 de la directive du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale dispose que « les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale lorsqu’aucune décision en première instance n’a été rendue par l’autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur. »

La question du travail des demandeurs d’asile mérite d’être débattue. L’idée que l’octroi du droit de travailler aux demandeurs d’asile agit comme un facteur d’attraction supplémentaire, un « appel d’air », n’est nullement démontrée. C’est en effet l’Allemagne qui enregistre le plus grand nombre de demandeurs d’asile aujourd’hui, mais ce sont la Finlande, l’Espagne et la Suède qui autorisent les demandeurs d’asile à travailler avant la fin du délai de neuf mois.

Le travail est un vecteur fort d’intégration et de dignité. C’est pourquoi je proposerai un amendement visant à permettre aux demandeurs d’asile d’accéder à une formation et de travailler sans que la situation de l’emploi leur soit opposable.

Monsieur le ministre, j’ai souligné les améliorations et les avancées qu’introduit ce projet de loi dès le début de mon intervention, mais je ne peux faire abstraction du fait qu’il contient également des articles préoccupants.

En effet, le texte prévoit le maintien en zone d’attente des mineurs non accompagnés à titre exceptionnel. Pour ma part, un mineur non accompagné ne doit pas faire l’objet d’une mesure de maintien en zone d’attente, et ce sans aucune exception.

Le texte multiplie les hypothèses dans lesquelles les procédures peuvent être accélérées, même à l’égard de mineurs, et renforce le rôle joué par le préfet dans le déclenchement d’une telle procédure. Ainsi, l’inscription d’un pays sur la liste des pays d’origine sûrs établie par l’OFPRA, qui compte désormais seize États, a pour conséquence la mise en oeuvre de la procédure accélérée à l’égard des demandeurs d’asile ressortissants de ces pays.

Je plaide comme d’autres pour la suppression de cette liste contestée et contestable, qui gère avant tout les flux, comme notre collègue Lellouche l’a rappelé. Il faut au moins renforcer les modalités d’établissement de cette liste mais aussi prévoir l’instauration d’un mécanisme permettant d’agir dans l’urgence. C’est l’objectif des amendements de repli que je proposerai, et des collègues socialistes proposeront des amendements similaires.

Les hypothèses relevant de la procédure accélérée sont nombreuses : réexamen de la demande à la suite d’un fait nouveau, refus de donner ses empreintes digitales en contradiction du règlement Eurodac, dissimulation d’identité, dépôt d’une demande après quatre-vingt-dix jours de séjour en France, demande déposée dans le but exclusif de faire obstacle à une mesure d’éloignement, menace grave à l’ordre public, demande sans pertinence ou manifestement infondée. En 2013, 25,6 % des demandes ont fait l’objet d’une procédure prioritaire, 17,3 % des premières demandes et 88 % des réexamens.

Monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, nous devons garantir un exercice plein du droit d’asile et renforcer celui-ci : cela doit être l’objectif de nos débats. Le visage de l’asile a changé. Le demandeur n’est plus simplement ou plus seulement un combattant de la liberté persécuté par l’État dont il est originaire. Il peut s’agir aujourd’hui d’une femme en danger simplement en raison de son genre, d’un membre d’une minorité ou même d’un réfugié climatique.

Ce projet de loi ne répond pas de manière satisfaisante aux préoccupations majeures exposées précédemment et dénoncées à coup de rapports et de recommandations formulées, non seulement par les associations de défense des droits de l’homme, mais aussi par le Défenseur des droits et par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui sont les institutions de promotion et de protection des droits de l’homme dans notre pays.

Notre groupe attend beaucoup des débats dans l’hémicycle et espère que la volonté de dialogue manifestée en commission par notre rapporteure, que je veux ici remercier, trouvera un très large écho au banc du Gouvernement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion