Intervention de Lamine Gharbi

Réunion du 27 novembre 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail

Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée :

Ces quinze dernières années, peu de lois auront impacté de manière aussi significative notre société que celles relatives à la réduction du temps de travail. Ces bouleversements, pour le meilleur comme pour le pire, ont affecté la sphère professionnelle comme la sphère personnelle. Ils ont aussi modifié nos représentations collectives et nos modes de fonctionnement. C'est pourquoi la démarche de cette commission d'enquête n'est pas seulement une heureuse initiative, mais un arrêt sur images indispensable sur un sujet majeur, y compris pour préparer l'avenir.

Cette commission contribuera aussi à lever des tabous. Combien les 35 heures coûtent-elles à la nation, de manière directe et indirecte ? Quel est le lien entre les 35 heures et la paupérisation des classes moyennes ? Nous ne savons pas collectivement répondre à ces questions, mais il est grand temps qu'on se les pose. C'est pourquoi je vous remercie de recevoir la Fédération hospitalière privée (FHP). Au regard des contraintes spécifiques du secteur, le sujet de la santé a très souvent été au coeur des débats quand on parle de réduction du temps de travail.

La FHP représente les 1 100 cliniques et hôpitaux privés. Nous soignons chaque année huit millions de patients, partout sur le territoire. Nous assurons 54 % de la chirurgie en France, 66 % de la chirurgie ambulatoire et 50 % de la cancérologie. 130 de nos services d'urgence accueillent chaque année 2 300 000 patients et nous faisons naître un bébé sur quatre. Nous assurons également près d'un tiers des soins de suite et de réadaptation et plus de 17 % des hospitalisations psychiatriques. Près de 42 000 médecins exercent dans le secteur hospitalier, dont 90 % sont des médecins libéraux.

Le secteur emploie 150 000 salariés, dont 78 % de personnels soignants : 45 000 infirmières, 35 000 aides-soignantes, 3 000 sages-femmes et 2 000 masseurs kinésithérapeutes. Nous sommes, avec nos amis du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (SYNERPA), la quinzième branche sociale du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), avec plus de 250 000 collaborateurs. Dans un contexte économique difficile, l'hospitalisation privée demeure une branche créatrice d'emplois non délocalisables ; 3 300 emplois y sont créés chaque année.

J'en viens à la question des 35 heures dans l'hospitalisation privée.

Le secteur de la santé privé est soumis à toutes les contraintes liées à l'activité de soins. Garant de la continuité des soins, les établissements de santé offrent une prise en charge sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les salariés, et plus particulièrement le personnel soignant, travaillent la nuit, les dimanches, les jours fériés, et sont assujettis aux astreintes. Les établissements de santé privés ont donc un fonctionnement atypique et exigeant, encadré par une législation sanitaire et sociale.

Ces contraintes impactent largement l'organisation du travail et demandent des aménagements dans nos établissements. À titre d'exemple, les transmissions entre le personnel de jour et le personnel de nuit relèvent à la fois du droit du travail, du fait de la réglementation en matière de durée quotidienne maximale du travail, et du droit sanitaire, en raison de la continuité des soins, qui est primordiale.

Les cliniques se sont trouvées confrontées à l'extrême complexité de la mise en oeuvre des 35 heures supposant de revoir toute l'organisation du temps de travail, tout en respectant la continuité des soins et en faisant face à des pénuries de personnels soignants. Il est en effet logique, pour garantir la continuité des soins sur vingt-quatre heures, de programmer l'intervention de trois salariés, avec une durée de travail de huit heures chacun. Une application de la durée du travail fondée sur sept heures ne permet pas et ne permettra jamais de résoudre cette équation.

Si l'on ajoute à cela un environnement de santé en perpétuelle mutation – pathologies chroniques, vieillissement de la population, nouvelles relations avec les patients, nouvelles technologies –, on mesure le décalage entre une contrainte qui arrive par le haut et la réalité du monde de la santé d'aujourd'hui, qui doit s'adapter, innover, être souple et réactif. Pour ce faire, les cliniques ont dû s'adapter à ces contraintes, en utilisant toutes les possibilités d'aménagement du temps de travail permettant au mieux l'adaptation de la durée du travail à l'activité.

Pour la filière soignante, il ressort de notre rapport de branche que 3 % du personnel bénéficie d'un système de jours de réduction du temps de travail, les RTT. 4 % du personnel travaille sur une base hebdomadaire de 35 heures et 93 % dans un cadre pluri-hebdomadaire, les cycles de travail. Ce mode de travail implique l'alternance de périodes courtes et longues de travail, par exemple, deux jours travaillés la première semaine, cinq jours la deuxième. C'est donc l'option d'un aménagement de la durée du travail dans un cadre supérieur à la semaine – cycles, annualisation – qui prévaut aujourd'hui dans les cliniques. Si, aujourd'hui, les modes d'aménagement de la durée du temps de travail répondent au mieux à la prise en charge des patients, il n'en demeure pas moins que la référence aux 35 heures hebdomadaires reste contraignante pour les cliniques et représente, souvent, une réelle difficulté concernant le service rendu aux malades.

J'en viens aux difficultés rencontrées par nos établissements.

Il s'agit d'abord de difficultés dans l'organisation des plannings et la gestion du personnel. Du fait du passage aux 35 heures, des journées de repos sont octroyées, soit sous la forme de journées de réduction du temps de travail, soit sous la forme de repos de remplacement ou de repos compensateurs obligatoires. Cela soulève automatiquement des difficultés de gestion de la permanence des soins. Dans un contexte de pénurie du personnel soignant, ces difficultés sont susceptibles de désorganiser profondément nos structures. Elles mettent la continuité des soins en contradiction avec la réglementation de la durée du travail.

Par ailleurs, nombreux sont les établissements où le personnel soignant travaille en douze heures. Or cette organisation du travail n'est en soi pas compatible avec les 35 heures. Dans les cliniques, l'activité est fluctuante, avec des pics et des creux. On ne peut pas organiser le temps de travail de façon linéaire. Là aussi, il y a un décalage flagrant entre la théorie et la réalité du terrain.

Pour ce qui est des solutions, vous l'aurez compris, je ne parlerai pas de 39 heures, mais de 40 heures.

Le premier scénario consiste, à législation constante, à permettre une durée légale du travail effectif pouvant varier entre 35 et 40 heures afin de s'adapter à un volume d'activité fluctuant. À la différence de la situation actuelle, les heures accomplies entre 35 et 40 heures ne seraient pas des heures supplémentaires. Elles seraient donc rémunérées au taux normal et ne relèveraient pas d'un contingent annuel. Par compenser la suppression de la majoration, ces heures ne seraient pas soumises à la part salariale de cotisations sociales. Au-delà de 40 heures s'appliquerait le régime actuel des heures supplémentaires, à savoir la majoration de 25 %. Le mode opératoire serait donc simple : il relèverait de la décision de l'employeur, après consultation des instances représentatives du personnel.

Le deuxième scénario consisterait à avoir une position claire qui s'applique de manière homogène sur tout le territoire et à toutes les entreprises, autrement dit, à rétablir la durée légale du temps de travail à 40 heures. Apparemment plus radicale, cette solution n'empêcherait pas que, par accord d'entreprise, on puisse déroger à cette durée légale pour prendre en compte les situations particulières, mais elle simplifierait considérablement le paysage normatif.

En tant que président de la FHP, j'ai la responsabilité du dialogue social de la branche de l'hospitalisation privée. Je considère que cette proposition respecte parfaitement les intérêts de nos salariés et permet d'ajuster le dialogue social aux situations. Elle permet notamment de répondre aux préoccupations suivantes.

Tout d'abord, il s'agit de réduire les situations de précarité, en recentrant sur nos salariés les activités jusqu'ici externalisées par nécessité : les contrats à durée déterminée (CDD) de courte durée, les intérims et ceux que l'on appelle vulgairement les « mercenaires ».

Cette proposition constitue également une opportunité de redynamiser le dialogue social afin que l'organisation du temps de travail se situe au croisement des attentes de l'entreprise et des salariés.

Enfin, notre proposition collective vise avant tout à garantir la qualité des soins prodigués aux patients. Elle se trouvera confortée par ces nouveaux modes d'organisation.

Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, je défends le second scénario.

Soyons lucides. Du MEDEF à la Fédération hospitalière de France (FHF), on demande de reposer la question des 35 heures. J'ai également entendu les propos du ministre Emmanuel Macron lui-même, qui veut « faire respirer les 35 heures ». Il faut croire à l'intelligence des acteurs et faire des propositions ambitieuses sur ce sujet. C'est ce que nous faisons aujourd'hui.

Présidence de M. Gérard Sebaoun

1 commentaire :

Le 07/12/2014 à 17:06, laïc a dit :

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"Le deuxième scénario consisterait à avoir une position claire qui s'applique de manière homogène sur tout le territoire et à toutes les entreprises, autrement dit, à rétablir la durée légale du temps de travail à 40 heures"

Il est hors de question de lâcher les 35h. Ceux qui bénéficient des 35h ne sont pas entendus en commission, on n'entend que les représentants du patronat pour lesquels le salarié ne travaille jamais assez, patronat qui n'a d'autre objectif que celui d'avoir un personnel corvéable à merci sur une durée plus longue. Il faut bien évidemment combattre cette position rétrograde qui n'apporte même pas de bénéfices supplémentaires à ceux la préconisent. Par ailleurs, je me demande quelle est l'utilité pour le gouvernement de garder M. Macron en son sein, car l'attachement de celui-ci aux valeurs capitalistes est une entrave évidente au progrès social.

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