Intervention de Général Pierre Renault

Réunion du 2 décembre 2014 à 16h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Général Pierre Renault, chef de l'Inspection générale de la gendarmerie nationale :

Mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de prendre la parole devant vous pour vous restituer le contenu du rapport qui m'a été demandé par le ministre de l'Intérieur et que je lui ai remis ce matin. C'est la première fois, sauf erreur de ma part, que l'inspecteur général de la gendarmerie nationale est amené à se livrer à un tel exercice.

Permettez-moi en quelques mots de me présenter. J'ai cinquante-sept ans et je sers en gendarmerie depuis trente-quatre années, dont la moitié dans des exercices de commandement, en gendarmerie départementale et gendarmerie mobile. Je suis saint-cyrien. Jusqu'à la fin du mois de juillet dernier, j'exerçais les fonctions de directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale. Le directeur général et le conseil des ministres m'ont nommé à mon poste actuel à compter du 1er août.

L'Inspection générale de la gendarmerie nationale est un service particulier qui relève du directeur général de la gendarmerie mais n'est pas un élément organique de l'état-major central. Les textes l'ont voulu ainsi, afin que l'IGGN conduise son action de façon autonome et impartiale.

L'Inspection générale peut être saisie par le ministre de l'Intérieur – comme dans le cas présent –, par le directeur général, par tous les personnels militaires et civils servant en gendarmerie, et par les particuliers. Pour ce faire, différents modes sont possibles : par écrit, téléphone, internet. En tant qu'inspecteur général, je peux soit être saisi, soit me saisir de cas dont j'ai connaissance.

Les attributions et l'organisation de l'IGGN ressortent de deux textes réglementaires, indépendants des textes fixant l'organisation de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Ces textes indiquent que l'IGGN est à la disposition du directeur général de la gendarmerie nationale et s'assure de la mise en oeuvre des instructions du ministre de l'Intérieur et du directeur général. Elle remplit les missions d'inspection ainsi que les missions spécifiques qui lui sont confiées, et veille au respect des règles de déontologie par les personnels de la gendarmerie nationale. Elle veille à préserver la légitimité de l'action de la gendarmerie. Par le contrôle de l'application des directives données, elle s'assure de l'adhésion interne aux orientations fixées. Elle est associée aux réflexions relatives à la sécurité intérieure. Elle peut agir en complémentarité ou en partenariat avec les autres inspections générales des administrations de l'État.

L'Inspection générale est organisée en trois pôles. Le pôle déontologie, sous mon autorité directe, dispose de tous les instruments lui permettant d'identifier les actes contraires à l'éthique, tels que le harcèlement ou la discrimination, et veille à ce que les poursuites nécessaires soient engagées.

Le pôle audit, études et inspection informe le directeur général du degré de maîtrise des risques par les formations, services et unités. L'Inspection générale est à cet égard compétente pour visiter l'ensemble des structures de la gendarmerie, identifier si les règles administratives sont appliquées, et faire des recommandations.

Enfin, le pôle enquête se compose de deux bureaux, le bureau des enquêtes judiciaires et le bureau des enquêtes administratives, placés sous l'autorité du général Betton, ici présent, officier adjoint chargé de la coordination des enquêtes. Les enquêtes concernent l'ensemble des personnels de la gendarmerie nationale, y compris ceux relevant des formations spécialisées, qu'il s'agisse des militaires, d'active ou de réserve, ou des personnels civils, sur et hors le territoire national. Les conditions de mise en oeuvre de l'IGGN diffèrent selon que l'enquête est conduite dans le domaine administratif ou judiciaire. Le bureau des enquêtes administratives, que dirige le colonel Anin, ici présent, m'a secondé pour l'enquête qui a conduit à la rédaction du rapport.

La commission rogatoire délivrée par les juges d'instruction de Toulouse est confiée au bureau des enquêtes judiciaires, dans une co-saisine avec la section de recherche de Toulouse. Ainsi, la co-saisine des deux inspections générales par le ministre relative à l'emploi des grenades a été traitée, au sein de l'IGGN, par un chargé de mission du pôle audit, l'enquête administrative a été traitée par le bureau des enquêtes administratives, et l'enquête judiciaire est en cours de traitement par le bureau des enquêtes judiciaires. Ce dispositif repose sur la totale confiance que les plus hautes autorités doivent avoir dans l'autonomie et l'impartialité de l'IGGN.

J'en viens au rapport. Les travaux de construction de la retenue d'eau de Sivens, dans le Tarn, ont débuté fin août 2014. Avant cette date, l'opposition au projet n'a pas nécessité de recourir à l'emploi de la force. À partir de cette date, la situation évolue défavorablement, de nouvelles formes de résistance apparaissent, et des affrontements d'une rare violence entre forces de l'ordre et opposants ont lieu. Au cours des événements du 26 octobre, un manifestant, Rémi Fraisse, trouve la mort. À cette occasion, l'action de l'État a été mise en cause.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, les conclusions de l'enquête technique ont été remises au ministre de l'Intérieur il y a quelques jours. S'agissant de l'enquête administrative, le ministre a demandé que soient précisées les conditions dans lesquelles les opérations ont été conçues, conduites et réalisées, afin de déterminer si les règles de procédure ont été respectées. Le rapport que j'ai remis ce matin n'aborde pas le volet doctrinal, traité dans le rapport sur l'emploi des grenades ; la DGGN et la direction générale de la police nationale (DGPN) ont déjà mis sur pied le groupe de travail mixte qui doit se pencher sur les propositions du rapport technique.

Une information judiciaire est ouverte depuis le 26 octobre au matin. C'est le parquet spécialisé aux affaires militaires de Toulouse qui est en charge du dossier, et deux juges d'instruction ont été saisis. Une commission rogatoire générale a donc été délivrée, en saisine conjointe, pour l'Inspection générale et la section de recherche de Toulouse. Cette enquête judiciaire est prioritaire dans les investigations par rapport à l'enquête administrative.

Un certain nombre de documents ainsi que les vidéos prises par les unités de gendarmerie ont été saisis dans le cadre de l'information judiciaire, mais, avec l'accord des deux juges d'instruction, l'IGGN a pu travailler sur des copies d'enregistrement. Nous avons également pu travailler sur une grande quantité d'écrits, de documents et de vidéos circulant sur internet. Nous n'avons évidemment pas travaillé sur les auditions judiciaires ; l'IGGN a dû entendre les protagonistes et se faire son intime conviction à partir des informations recueillies au cours de ces auditions.

Le rapport remis aujourd'hui au ministre de l'Intérieur présente, dans une première partie, la situation générale d'ordre public liée au projet de retenue d'eau à Sivens, et illustre la montée en puissance et la radicalisation d'une frange des opposants au projet ; il relate avec le maximum de précision les événements survenus sur le site de Sivens du 24 octobre au soir au 26 octobre. Dans une seconde partie, les faits survenus au cours de la nuit du 25 au 26 octobre sont analysés dans le cadre juridique de l'emploi de la force et de l'usage des armes. Les conditions de la remontée d'informations du terrain vers les plus hautes autorités font également l'objet de développements. Enfin, comme cela était demandé, les comportements individuels des membres des forces de l'ordre susceptibles de porter atteinte à la déontologie ont été analysés. Deux incidents filmés le 7 octobre ont retenu mon attention et font l'objet d'analyses particulières.

La première question portait sur les conditions dans lesquelles les opérations ont été conçues, conduites et exécutées.

L'actuel préfet du Tarn a pris ses fonctions le 1er septembre 2014, soit le premier jour du chantier de déboisement. Le commandant de groupement de gendarmerie du Tarn et le commandant de la compagnie de Gaillac ont été affectés le 1er août. Ces trois responsables ont pu s'appuyer d'emblée sur l'expérience de leurs proches collaborateurs. Pour assurer l'ordre public dans le département en lien avec le projet de retenue d'eau à Sivens, le préfet s'est appuyé sur l'expérience de son directeur de cabinet et sur l'expertise tactique du commandant du groupement 81. Il avait par ailleurs suivi une sorte de stage préparatoire au printemps. La répartition classique des rôles entre l'autorité administrative et le commandant de groupement de gendarmerie s'est mise en place. En particulier, le commandant du groupement ou son second rend compte à l'autorité préfectorale des opérations en cours par échange téléphonique ou SMS.

Dès le 23 août, et jusqu'à la veille de la manifestation du 25 octobre, le directeur de cabinet anime une audioconférence chaque soir vers dix-neuf heures avec les responsables du conseil général, le maître d'ouvrage délégué, la mairie de Lisle-sur-Tarn et le commandant du groupement du Tarn, afin de dresser un bilan quotidien et de décider des opérations du lendemain.

Le collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet a été créé en 2011 par Ben Lefetey et le couple Pince. Les premières occupations du site et des actions en justice apparaissent à compter d'octobre 2013. La situation est gérée par les autorités départementales et locales sans grande difficulté.

Sur le terrain, les premiers affrontements entre gendarmes et contestataires ont lieu, à l'occasion d'expulsions judiciaires, le 27 février et le 16 mai 2014. D'octobre 2013 à l'été 2014, l'opposition au projet est le fait de quelques dizaines de militants écologistes non violents plaçant leur action essentiellement sur le plan juridique, pour obtenir des ordonnances d'expulsion. Les heurts avec les forces de l'ordre se résument à une résistance symbolique qui ne nécessite pas l'emploi de la force ou des munitions spécifiques au maintien de l'ordre.

Une poignée de radicaux regroupés dans un collectif baptisé « Tant qu'il y aura des bouilles » se démarque de la contestation classique. Sous l'impulsion d'anciens « zadistes » de Notre-Dame-des-Landes, ces radicaux créent une « zone à défendre » (ZAD) à la Métairie Neuve.

L'échéance du 1er septembre marque le début du déboisement. Le 25 août, des affrontements violents se déroulent à l'occasion des opérations préalables de prélèvement de la faune et de la flore.

Il apparaît très rapidement aux unités de gendarmerie et aux services de renseignement que les opposants violents ont adopté une stratégie de harcèlement quotidien des forces de l'ordre, des élus locaux, des fonctionnaires et des entreprises. Cette radicalisation impose d'engager quotidiennement, au cours du mois de septembre, une à deux unités mobiles, renforcées par des moyens spécialisés pour déloger les manifestants installés dans les arbres. Cette contestation se traduit également par une augmentation du nombre d'opposants interpellés pour des faits de violences, dégradations ou vols : d'août à octobre, soixante-deux interpellations ont lieu.

La tactique des radicaux chevronnés est rapidement mise en évidence : les plus violents viennent au contact des gendarmes mobiles et les harcèlent, puis, dès que ceux-ci réagissent pour sécuriser le chantier et ses ouvriers, les meneurs se retirent et mettent en avant les « non-violents » – écologistes, clowns, badauds... –, qui s'interposent entre les forces de l'ordre et les radicaux.

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