Intervention de Audrey Linkenheld

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAudrey Linkenheld, rapporteure :

Nous procéderons à une présentation à deux voix de ce rapport d'application de la loi dite « Duflot », réalisé dans le cadre défini par l'article 145-7 du Règlement de l'Assemblée nationale. Comme vous pouvez le constater, nous avons attendu plus de six mois après la promulgation de la loi, c'est-à-dire le délai prévu par notre Règlement, afin de ne pas nous contenter de contrôler la prise des décrets d'application, mais de tenter de procéder à une première évaluation de cette législation. Par ailleurs, il nous semblait important d'attendre la fin du débat sur la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) afin d'échanger plus sereinement avec les acteurs du secteur du logement. Nous avons auditionné une dizaine d'interlocuteurs et mené plusieurs déplacements, dans le Nord, en Île-de-France, à Caen, Bordeaux et Marseille.

Malgré un certain retard, notamment s'agissant du volet relatif à la mobilisation du foncier public, et l'installation très tardive de la commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier (CNAUF), créée par le législateur, nous avons constaté que l'ensemble des services de l'État est fortement mobilisé pour appliquer cette loi.

Je me concentrerai sur le premier volet de cette loi – la mobilisation du foncier public – tandis que M. Tetart évoquera le second volet – la refonte de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) ayant trait aux obligations de production de logement social.

S'agissant donc de la mobilisation du foncier public, tous les outils réglementaires nécessaires à l'application des dispositifs législatifs sont en place. Les trois décrets d'application prévus ont été publiés assez rapidement et sont fidèles à l'esprit de la loi. Le premier d'entre eux, le décret n° 2013-315 relatif aux conditions d'aliénation des terrains du domaine privé de l'État a été publié le 15 avril 2013. Le deuxième, le décret n° 2013-936 relatif aux conditions d'aliénation des terrains du domaine privé des établissements publics de l'État, a été publié le 18 octobre 2013. Le troisième, publié le même jour, établit la liste des établissements publics concernés, c'est-à-dire les acteurs ferroviaires – la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), Réseau ferré de France (RFF) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP) – et Voies navigables de France (VNF). Les décrets du mois d'octobre, publiés six mois après le premier, auraient pu être pris plus tôt puisque leur rédaction est quasiment identique à celle du premier décret. Notons néanmoins que s'agissant des établissements publics, le taux de décote est plafonné à 30 % de la valeur vénale du terrain pour RFF, ce qui n'avait jamais été évoqué dans le débat parlementaire et n'est pas le cas pour les terrains de l'État.

Concernant la part de logements nécessaire à l'obtention de la décote, le législateur avait simplement indiqué son caractère essentiel, ce que le pouvoir réglementaire a traduit par un taux de 75 % de logements. Ceci nous paraît cohérent. Le décret fixe neuf fourchettes de taux de décote selon la zone géographique concernée : C, B2, A et B1. De même, le taux de décote varie selon la nature du logement social concerné, conformément à la volonté du législateur. Ainsi, en zone très tendue, et dans le cas d'un programme de logements très sociaux (PLAI), le taux de décote est tel qu'il pourrait permettre la cession du terrain à titre gratuit. Par ailleurs, le décret prend en compte les conditions locales, le législateur ayant souhaité que soient prises en compte la capacité de financement de l'acquéreur et la situation financière de la commune. De plus, le décret prévoit aussi que le taux de décote puisse s'appliquer sur les équipements publics. En l'espèce, le pouvoir réglementaire s'est montré assez généreux puisque la liste des équipements concernés est plus large que ce qui avait été envisagé lors du débat parlementaire. Sont ainsi concernés les équipements nécessaires à la petite enfance, notamment les crèches et les garderies, les équipements nécessaires à l'enseignement scolaire et les équipements à caractère social, sportif ou culturel. Néanmoins, le décret est plus restrictif que le souhait du législateur s'agissant de la partie de l'équipement à laquelle s'applique la décote, ce que nous regrettons.

Le pouvoir réglementaire a également défini quatre étapes nécessaires à l'identification d'un terrain et à sa cession. Première étape, la prospection et l'établissement des listes régionales – la procédure est relativement conforme à ce que nous avions envisagé. Deuxième étape, la programmation – cette étape correspond à la volonté du législateur de mener les discussions en amont mais nous avons constaté quelques difficultés sur le terrain ; certaines questions se posent notamment sur la manière dont la vente doit être réalisée : l'État doit-il vendre directement à un bailleur, auquel cas il doit recourir à un appel d'offres susceptible de rallonger les délais, ou doit-il vendre à une collectivité qui elle-même procédera par la suite à une seconde vente, l'enchaînement des ventes conduisant également à rallonger les délais ? Il s'agit là de questions très concrètes que nous avons constatés sur le terrain et que devra gérer la CNAUF, présidée par M. Repentin et malheureusement créée un an et demi après la promulgation de la loi. Troisième étape, le calcul de la décote – nous avons identifié un certain nombre de blocage : le calcul de la décote fait en effet intervenir le préfet de région, le préfet de département, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), la direction départementale des finances publiques (DDFIP). La multiplication des acteurs, l'absence de pouvoir hiérarchique entre eux et la relative autonomie de France Domaine, que les élus locaux connaissent bien, ne permet pas toujours une pleine efficacité. Certes, la loi a permis de réunir tous ces acteurs autour d'une même table – et ils nous remercient de cette transversalité – mais nous regrettons que les blocages que nous avons identifiés n'aient pu être levés. En effet, dès les auditions que j'avais menées en tant que rapporteure, j'avais pu constater que telles difficultés de dialogue existaient depuis les premières tentatives de mobilisation du foncier public, lancées par M. Benoît Apparu sous la précédente législature. L'un des objectifs de l'amendement ayant créé la CNAUF était justement de répondre à ces difficultés. Si la création de la CNAUF permet de résoudre en partie ces problèmes, force est de constater que nous avons perdu dix-huit mois. Nous espérons que le pouvoir exécutif dotera la CNAUF des moyens nécessaires à la réalisation de ses missions. Quatrième étape, la procédure de cession, qui nécessite une convention d'acquisition et un acte d'aliénation – sur ce point, des attitudes plus pragmatiques de certains acteurs seraient d'ailleurs utiles.

J'ai déjà évoqué la situation particulière des terrains des établissements publics, pour lesquels le taux de décote est fixé à 30 %, mais n'ai pas mentionné l'absence de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Au cours des débats parlementaires, il avait été établi que l'AP-HP serait concernée par cette réglementation. Ce n'est pour l'heure pas le cas même si l'on nous a promis la publication imminente d'un décret.

Malgré mes propos parfois nuancés, je tiens à souligner que la mobilisation des services de l'État a été relativement rapide, le Premier ministre ayant pris une circulaire dès le 2 avril 2013, ce qui a permis de rassembler les administrations et les préfets autour de cet objectif. La plupart des préfets ont, dès 2013, publiés par arrêté des listes de terrains pouvant donner lieu à des décotes de droit. Si les listes ont été prises rapidement, leur contenu est quelque peu décevant : sur les vingt-deux listes publiées, on compte 264 terrains appartenant à l'État, pour un total de 5 millions de mètres carrés, soit 500 hectares. L'Île-de-France, avec 61 terrains, le Nord Pas-de-Calais avec 26 terrains, Midi-Pyrénées avec 20 terrains et Provence-Alpes-Côte d'Azur avec 19 terrains sont les quatre régions ayant recensé le plus grand nombre de terrains. Ces chiffres sont plutôt satisfaisants puisque, pour rappel, l'objectif était de se concentrer sur les zones tendues où les besoins sont les plus importants. Néanmoins, même si des arrêtés préfectoraux ont été publiés, il y a eu peu de concertation avec les acteurs du logement ni, parfois, avec les collectivités territoriales, que ce soit en amont ou en aval. On regrette également un manque de publicité autour de ces listes. Or, l'intérêt du dispositif ne consiste pas en la publication de listes mais en la construction de logements. Pour ce faire, il est nécessaire d'associer davantage les acteurs du logement et nous pensons qu'il existe sur ce point de fortes marges de progression. À mes yeux, la création tardive de la CNAUF explique aussi l'absence de concertation, les services administratifs ayant été quelque peu laissés à eux-mêmes.

Par ailleurs, ces listes doivent être vivantes, c'est-à-dire évoluer au fil des années, comme en témoigne d'ailleurs l'inscription de terrains dits ferroviaires en 2014. De plus, on regrette que les acteurs se soient concentrés sur la décote de droit, alors qu'il est tout à fait envisageable de prévoir une décote sur n'importe quel terrain public dès lors que l'acquéreur et le vendeur s'entendent sur le prix et le programme. De même, la décote n'est pas obligatoire et si les deux parties s'accordent, il n'est nul besoin de recourir à la procédure exposée précédemment. Nous avons été confrontés à un cas emblématique à Marseille : l'État, la ville de Marseille ainsi que la communauté urbaine étaient parvenues à un accord sur un programme de construction de logement mais tout le processus a été stoppé afin de se conformer à cette nouvelle procédure ! Il est donc nécessaire de poursuivre l'information et de partager davantage les bonnes pratiques, de sorte que toutes les régions travaillent efficacement.

Par ailleurs, il a fallu attendre longtemps – c'est-à-dire octobre 2014 - pour comprendre la méthode de calcul de France Domaine. Il s'agit de la méthode dite du « compte à rebours » qui comporte des inconvénients mais a le mérite d'être claire. Elle fonctionne car elle permet de tenir compte des « circonstances locales » pour le calcul en recettes et en dépenses, selon les dispositions de la loi et du décret. L'approche est pragmatique et pourra aboutir à un arbitrage de la CNAUF si nécessaire.

Quelques autres difficultés ont été relevées et renvoient aux efforts nécessaires pour une meilleure gouvernance et davantage d'échanges de bonnes pratiques. Tout d'abord, certains ministères sont plus réticents que d'autres. Par exemple, le ministère de la défense est pris en étau entre son obligation de céder des terrains et sa nécessité de récupérer les produits de ces cessions pour renflouer son propre budget. Ce n'est pas nouveau, nous l'avions pressenti lors de l'élaboration de la loi. Des arbitrages, notamment à la CNAUF, seront donc nécessaires au plus haut niveau. Des curiosités existent aussi : à certains endroits, la décote vient se substituer à d'autres aides publiques. Or ce n'est pas l'objectif. Il ne s'agit pas de compenser la diminution des aides à la pierre par exemple. Le dispositif a été mis en place pour débloquer des opérations et accélérer les cessions. Dans cet esprit, un prix de cession moindre ne doit pas se substituer à d'autres aides. Or à Caen, il a été indiqué que la décote ne pouvait pas s'additionner avec les subventions de l'ANRU.

De la même manière, aujourd'hui des opérations sont bloquées car des casernes, qui sont des logements et qui n'ont plus d'utilité, et dont la réhabilitation suffirait à les transformer en logements sociaux, ne peuvent pas bénéficier de la décote. En effet, comme la loi s'applique à « des opérations de démolition ou de restructuration », certains considèrent qu'elle ne peut pas s'appliquer à une simple réhabilitation. Ce serait dommage de devoir légiférer à nouveau pour préciser que la réhabilitation fait partie de la restructuration, alors qu'il y a plutôt consensus sur cette question.

Tout cela explique un bilan quantitatif assez inégal et limité. Il faudra attendre 2015 pour que le dispositif connaisse son rythme de croisière sur les terrains que nous sommes en train d'identifier. Aujourd'hui, 8 cessions ont été conclues avec décote : 7 terrains de l'État et un de RFF représentant près de 1000 logements dont la moitié environ de logements sociaux, avec des décotes allant de 15 % à 84 %. 8 autres cessions sont à venir très prochainement.

On peut citer deux exemples de réussites. À Caen, le prix de cession initial de 5M€ est passé à 3,2M€ grâce à la loi, ce qui a permis une augmentation des logements sociaux dans le projet et l'intégration d'une crèche non prévue à l'origine. À Bordeaux, le prix de la cession fut de 12M€ contre 18M€ à l'origine et la part des logements sociaux est passée de 35 % à 45 %.

En conclusion sur la partie dédiée à la mobilisation du foncier public, voici quelques recommandations :

– conforter le rôle des préfets dans la gouvernance, améliorer la coordination entre les préfets à l'échelle nationale et entre les ministères, et renforcer les arbitrages de la CNAUF ;

– rappeler que la mobilisation du foncier public n'est qu'un outil au sein d'une politique d'ensemble du logement et pas une solution miracle. Il faut que les administrations centrales regardent la quantité globale de logements produits in fine sur un territoire donné ;

– encourager encore les échanges de bonnes pratiques : produire des documents types, éviter les excès de formalisme et mieux communiquer avec les élus locaux, éviter le phénomène de stop and go et rappeler toutes les possibilités de la loi. Le bail emphytéotique est par exemple une solution dans certains cas et la décote peut s'appliquer sur la redevance.

La mobilisation du foncier ferroviaire doit être encouragée sachant qu'une charte entre l'État, RFF et la SNCF vient d'être signée en juin 2014. Elle concerne 150 sites potentiels. Mais ces engagements doivent désormais être concrétisés en 2015. Enfin, les services de France Domaine font en ce moment une enquête qualitative très intéressante sur l'ensemble de l'inventaire physique de l'État. Ces services doivent être encouragés à poursuivre cette analyse précise des biens de l'État qui peut permettre, à terme, d'élargir les listes régionales de terrains cessibles et favoriser la production de logements.

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