Intervention de Philippe Kemel

Réunion du 25 novembre 2014 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Kemel, rapporteur :

Le texte que nous examinons pour avis vise à déconstitutionnaliser le principe de précaution au bénéfice d'un principe d'innovation responsable. Nous considérons que ce n'est pas une bonne solution : ce nouveau principe comporte des lacunes particulièrement importantes et n'a pas de pertinence juridique. C'est la raison pour laquelle j'ai émis un avis défavorable à l'adoption de cette proposition de loi.

J'ai la conviction qu'il faut réaffirmer notre attachement au principe de précaution, à condition qu'il soit judicieusement mis en oeuvre. Cela suppose donc, en corollaire, un véritable exercice de pédagogie, particulièrement à destination de l'opinion publique.

Une juste application du principe de précaution doit, bien sûr, éviter la paralysie de l'action publique face à l'incertitude scientifique. Cela suppose de prendre des mesures adaptées, le temps que la recherche scientifique évalue et maîtrise les risques. D'autre part, il doit permettre aux perspectives d'innovation les plus prometteuses de se développer.

Le principe de précaution n'a pas vocation à s'appliquer au stade de la recherche fondamentale ou en amont du processus d'innovation, sans quoi, de principe d'action il deviendrait principe d'interdiction. Il intervient, non pas au moment où l'innovation est encore au stade de l'idée, mais au moment où elle est mise en oeuvre et où elle peut effectivement comporter des risques. C'est là que réside toute la nuance.

Dans la pratique, nous avons parfois pu assister à des dérives dans l'utilisation du principe de précaution, que ce soit dans les médias, la société civile ou même chez les responsables politiques. Le refus de principe opposé à la recherche sur les risques encourus par les technologies concernées relève d'une interprétation qu'il faut rejeter. Je crois cependant que cet exercice de pédagogie, pour être nécessaire, n'est pas suffisant. Il faut créer les conditions d'un meilleur équilibre entre précaution et innovation, par exemple, en reconnaissant juridiquement un principe d'innovation, complémentaire du principe constitutionnel.

Cette reconnaissance aurait plusieurs vertus. D'abord, elle apporterait un indispensable contrepoids au principe de précaution afin de circonscrire ses potentielles dérives. Il s'agirait alors de définir une politique plus stable dans laquelle l'innovation ne s'affranchirait pas des règles de précaution et où la précaution s'appliquerait en respectant la liberté et la créativité de l'innovation. Ensuite, au même titre que le principe de précaution, la reconnaissance d'un principe d'innovation enverrait un signal fort aux entrepreneurs, aux investisseurs, aux citoyens sur l'importance de l'innovation dans la conduite de l'action publique. Enfin, elle pourrait avoir des effets juridiques utiles, non seulement dans la conception des politiques publiques, mais aussi dans l'application de la réglementation par les services ministériels et les services déconcentrés, gage de souplesse et de réactivité dans le soutien apporté aux initiatives innovantes.

Néanmoins, je sais que cette définition du principe d'innovation reste diffuse, voire confuse. Des questions se posent : quelle serait sa portée juridique ? À qui s'appliquerait-il ? L'innovation ne doit-elle pas être d'abord l'affaire des individus ?

Esquissons-en les contours.

Il s'agirait d'abord d'un principe d'orientation. Il devrait pouvoir être invoqué par les responsables publics pour guider l'action publique, par exemple pour inclure un volet consacré à l'innovation dans l'ensemble des politiques publiques, tout en reconnaissant la primeur de l'initiative individuelle qui ne doit pas être inutilement contrainte.

Il pourrait être un principe opposable, et contenir un droit à expérimenter et être opposable à l'administration afin d'encourager la souplesse en matière de réglementation et d'expérimentation.

Il constituerait un principe de protection. Il devrait pouvoir être mis à profit pour garantir l'indépendance des chercheurs et l'encouragement donné à la recherche fondamentale, dont les aboutissements économiques ne se traduisent qu'à long terme, et à la recherche sur les risques pesant sur les secteurs innovants, afin de donner au principe de précaution toute sa cohérence.

À ces conditions, le principe d'innovation ne serait pas incantatoire et se traduirait par la mise en place d'un meilleur écosystème pour l'innovation dans notre pays.

Pour construire à côté du principe constitutionnel de précaution une règle d'innovation responsable qui serait une véritable pédagogie de la précaution, nous pourrions constituer un groupe de travail, par exemple avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), afin d'élaborer une proposition visant à inscrire ce principe d'innovation dans la loi.

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