Intervention de Bruno Le Roux

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Le Roux :

Le groupe de travail a mené ses travaux dans un contexte social délicat que beaucoup ont rappelé, mais il a procédé sans retard. Je note d'ailleurs que la publication du rapport a donné lieu à un communiqué de presse commun des organisations syndicales et patronales concernées. Je ne veux pas laisser penser que ce consensus découle de mesures non finançables. Les préconisations formulées n'ont rien de révolutionnaires : ce sont des mesures a minima et urgentes, qui ne suffisent pas à rétablir durablement le secteur, mais qui s'imposent pour sauver la situation à court terme. La solution de facilité aurait consisté à prôner, par exemple sur la question de la sûreté, une reprise intégrale de la mission par l'État ou la création d'un établissement public ad hoc… Ma mission s'inscrivait dans une courte durée, car il revient aux compagnies elles-mêmes et non à l'État de gagner en compétitivité.

L'évolution du monde impose un changement de modèle. La question de Transavia a été posée. Je considère que les pilotes ne sont pas seulement aux manettes des aéronefs : au vu de leur place au sein des compagnies, ils détiennent également un rôle de pilotage stratégique. Leur arrêt de travail équivaut à un blocage complet de l'entreprise, ce qui n'est pas très fréquent dans l'économie actuelle : leur responsabilité est donc grande. À l'aune de cette considération, ce qui s'est passé en septembre n'était pas responsable. Exiger le statu quo, voire un retour en arrière, a des effets délétères sur la situation de la compagnie aujourd'hui. Je suis heureux que ce rapport contribue, dans sa faible mesure, à restaurer l'idée d'une nécessaire adaptation aux conditions de la concurrence pour permettre à l'entreprise d'attaquer de nouveaux marchés. Il ne s'agit ni de délocaliser ni de convertir l'existant en offre à bas prix. Air France doit monter en gamme et conquérir de nouveaux segments à partir de nouveaux points d'appui. D'autres opérateurs européens l'ont fait ; ils jouissent désormais d'une avance considérable.

L'État doit adopter une stratégie incitative, soutenir les acteurs dans leur marche vers le changement. Je n'ignore pas le contexte budgétaire que beaucoup ont rappelé. J'estime la charge nette au budget de l'État à un peu moins de 100 millions d'euros, c'est-à-dire au report intégral de la TAC. Cette somme suffit à mettre en oeuvre l'exonération des passagers en correspondance – la durée de 24 heures correspondant à une définition internationale.

Aéroports de Paris craignait une remise en cause de son système de « double caisse ». Je comprends que le statut conduise à adresser des signaux à destination des investisseurs. On a dit que les propositions de rééquilibrage entraîneraient une perte de valeur de 3,5 milliards d'euros. Je réponds par une question : que vaudrait Aéroports de Paris si Air France venait à disparaître ? La survie du hub de Paris suppose celle de la compagnie nationale. Un rééquilibrage de la chaîne de valeur répond à l'intérêt des deux entités. D'ailleurs, l'exonération de taxe pour les passagers en transit est plébiscitée par l'un comme par l'autre.

Je suis très prudent devant les perspectives de privatisation d'infrastructures stratégiques. Les aéroports constituent des éléments fondamentaux du développement territorial et humain. Je pense que les questions soulevées aujourd'hui sur la privatisation passée des autoroutes doivent nous inciter à la circonspection devant des hypothèses de privatisation future des aéroports. (Approbations sur divers bancs)

Air France doit poursuivre son développement sur les offres à bas prix, à partir de l'expérience et de la qualité qui est la sienne. C'est une étape essentielle de la pérennité de la compagnie.

Notre collègue Yves Blein a considéré, dans son rapport sur le CICE, que ce dispositif ne pouvait pas être ciblé au bénéfice du secteur aérien. J'en prends acte. J'admets que le droit européen s'oppose à cela. Mais je ne renonce pas à considérer que l'engagement par l'État de plusieurs dizaines de milliards d'euros en faveur de la compétitivité de notre économie devrait concerner au premier les chefs les secteurs exposés à la concurrence internationale. Quand il s'appliquera à plein, le CICE bénéficiera à la grande distribution à hauteur de 3 milliards d'euros, pour un retour au consommateur discutable en termes de pouvoir d'achat, alors que les 210 millions d'euros que je sollicite auraient un effet considérable. Si j'ai proposé un report de taxe vers la grande distribution, c'est que l'impact serait infinitésimal, inférieur à 0,1 % du chiffre d'affaires. Je ne dis pas qu'il faille absolument viser ce secteur, mais ce serait assurément plus supportable qu'assujettir des compagnies aériennes aujourd'hui en difficulté.

Je ne suis pas hostile à une modulation de taxation en fonction des performances environnementales des avions. Le sujet n'a pas été abordé dans le groupe de travail, mais nous suivons nos propositions et nous ne manquerons pas d'expertiser celle-ci. Les flottes françaises sont modernes ; il pourrait donc en découler un effet compétitif favorable.

Les aéroports régionaux souhaitent l'ouverture des droits de trafic pour répondre favorablement aux offres de desserte de compagnies étrangères. Une enquête est menée à Bruxelles sur les conditions de concurrence, notamment avec les pays du Golfe persique. Ces lignes bénéficieraient sans doute aux populations locales, mais elles affaibliraient la liaison vers Paris et, par conséquent, le pavillon français.

Je suis tenté de ne pas répondre sur Notre-Dame-des-Landes… (Murmures) mais je vais me livrer à l'exercice. Un aéroport représente un outil de développement d'un territoire. À l'évidence, les infrastructures nantaises ne sont pas suffisantes pour accompagner le dynamisme de la région. Je m'en tiendrai là, sans ignorer que d'autres dimensions existent, mais en affirmant combien celle-ci doit primer à mes yeux. (Approbations sur divers bancs)

Nous avons commencé la mise en oeuvre des propositions. Dans les prochains jours, je soumettrai à l'Assemblée nationale des amendements sur le reversement intégral de la TAC. Ce sera un débat difficile avec le Gouvernement, mais je continue à juger mes préconisations urgentes et impératives, sauf à vouloir affronter sous peu un contexte toujours plus dégradé.

Les médias ont évoqué la situation à Florange au cours des derniers jours. Il est bon de vouloir protéger et perpétuer l'identité industrielle d'une région, ici la sidérurgie, même s'ils nécessitent des restructurations profondes. Il serait tout aussi bon, et même meilleur encore, de venir au chevet d'un secteur dont le grand public pense, à tort, qu'il va forcément bien et qu'il est privilégié. Compte tenu de ce qui est en jeu, nous devons nous mobiliser sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, car ce secteur est un domino : s'il chute, d'autres chuteront avec lui – aéroports, constructeurs, etc. Ce rapport est donc alarmiste, certes, mais je crois à bon escient.

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