Intervention de Bruno Le Roux

Réunion du 26 novembre 2014 à 9h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Le Roux :

Je vous remercie. C'est avec grand plaisir que je viens aujourd'hui devant votre commission présenter le travail mené par notre groupe de travail.

J'aimerais d'abord rappeler le cadre qui a conduit à sa mise en place. Il a été lancé en juin dernier pour répondre aux pressions exercées depuis longtemps par le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) qui souhaitait qu'une réflexion soit engagée sur la compétitivité du transport aérien français. Il devait déboucher sur une série de propositions de mesures à mettre en oeuvre.

La mission, qui m'a été confiée par Frédéric Cuvillier et le Premier ministre, s'est déroulée dans des délais contraints puisque l'objectif était que les premières mesures puissent être adoptées dans le projet de loi de finances initiale pour 2015. J'ai présidé un groupe de travail dont la composition avait d'ores et déjà été arrêtée. Il était constitué des compagnies aériennes représentées au sein des deux principaux syndicats – la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM) et le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (SCARA) –, des représentants du personnel, de l'Union des aéroports français (UAF) avec un représentant d'Aéroports de Paris et de diverses administrations de l'État. Le secrétariat administratif du groupe de travail a été assuré par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Le parti pris a été celui de tenir les délais impartis. Nous nous sommes également efforcés de respecter la lettre de mission et donc, de faire des propositions pour améliorer la compétitivité du secteur. Le rapport a été remis dans les temps.

Le diagnostic que nous avons établi est synthétique et très alarmiste ; il rejoint les conclusions d'autres rapports comme celui rendu par M. Claude Abraham1 et qui avait établi plusieurs scénarii : je pense que, dans le contexte actuel, celui qui prédit la disparition des compagnies aériennes françaises dans un horizon proche est le plus susceptible de se réaliser si n'était pas prise en compte leur situation. Je suis conscient qu'aucune action de l'État ne permettra de restaurer la situation financière et la compétitivité des compagnies aériennes. Mais je crois que nous avons un rôle à jouer en matière d'incitation à la mise en place de réformes profondes.

Je ne vais pas m'appesantir sur le diagnostic, connu de tous, mais simplement revenir sur quelques chiffres clés. L'image que nous avons du secteur aérien ne reflète pas sa contribution réelle à l'économie française. Il représente plus de 2 % du produit intérieur brut (PIB) français et emploie 78 000 personnes, 150 000 même si on inclut dans le périmètre les fournisseurs de premier rang.

Bien que les compagnies soient majoritairement privées, le transport aérien a une incidence sur la souveraineté d'un pays. La disparition d'une compagnie nationale se traduit par une perte d'attractivité et de souveraineté. En effet, un pays n'est pas desservi de la même façon s'il dispose d'une compagnie nationale ancrée sur son territoire, avec une identité forte et ménageant des circuits de décision permettant de tenir compte des intérêts nationaux ou s'il dépend entièrement du secteur marchand. Dans cette dernière situation, la dimension d'attachement disparaît et, petit à petit, la capacité à fournir le meilleur service au pays se délite.

Il faut donc être vigilant. Il est certain que le nom d'Air France ne disparaîtra jamais. En revanche, une modification dans la répartition du capital pourrait avoir des incidences fortes sur la stratégie de la compagnie. Aujourd'hui, Air France est sous-capitalisé et éprouve de ce fait des difficultés à envisager l'avenir et à effectuer des investissements. Si la composition actuelle du capital venait à être modifiée, le hub de Charles de Gaulle, l'aéroport d'Orly ou la présence dans les régions pourraient être remis en cause.

Le pavillon français, en plus de représenter un élément de souveraineté, est indispensable à l'excellence et au dynamisme de la France. Nous avons constaté, au cours de nos travaux, qu'il profite peu de la croissance globale du trafic aérien de ces dernières années. En effet, la part du transport assuré par les compagnies françaises se rétracte particulièrement depuis 2008. Parallèlement, le fret, autrefois générateur de profit, diminue, ce qui met les transporteurs en difficulté.

Nous sommes un pays où il y a peu de création de nouvelles compagnies aériennes. J'ai discuté avec l'une d'entre elles, « La Compagnie », spécialisée dans les trajets de point à point en classe affaire entre Paris et New York, qui reprend l'activité de L'Avion, une compagnie désormais intégrée à OpenSkies. La création d'une nouvelle entreprise est un événement en France alors que d'autres pays européens connaissent, en ce domaine, une grande vivacité. Ils disposent généralement de deux ou trois acteurs de taille majeure alors qu'il n'en existe qu'un seul en France, Air France, et que nos autres compagnies sont plus petites.

La chaîne de valeurs est aujourd'hui déséquilibrée. Dans le rapport, nous nous interrogeons sur la coexistence entre, d'une part, des aéroports qui, dans l'ensemble, se portent bien, et, d'autre part, des compagnies aériennes en grande difficulté. Cette question nous a invités à travailler avec Aéroports de Paris. À cette occasion, j'ai découvert, non sans surprise, le système, d'ailleurs tout à fait légal, de la « double caisse ». Une première caisse concerne le périmètre régulé et sert de base au calcul de la redevance demandée aux compagnies dans le cadre de contrats de régulation. Une seconde caisse, bénéficiaire mais exclue du périmètre de calcul des redevances, regroupe l'ensemble des services marchands. Je crois nécessaire d'organiser, à terme, une porosité entre ces deux caisses, car il y a un lien évident entre les services marchands et les clients apportés par les compagnies aériennes.

Alors que compagnies aériennes françaises perdent des emplois, font face à des charges importantes et connaissent une baisse des recettes, certaines compagnies concurrentes, notamment les compagnies issues des pays du Golfe, sont soutenues par leurs États d'origine. Il y a là, je le dis, une concurrence peu loyale. Quand les compagnies françaises ont, permettez-moi l'expression, « les fers aux pieds », leurs concurrentes bénéficient d'un appui important de leurs gouvernements pour devenir des acteurs majeurs et développer des infrastructures. Le but est de profiter des atouts géographiques évidents de la région pour faire naître des hubs, appelés à devenir des points de passage obligés, afin que l'industrie du tourisme se substitue progressivement à la rente pétrolière. La chaîne de valeurs des compagnies est donc, dans ces pays, parfaitement calibrée (pétrole à prix préférentiel, taxes allégées etc). Certains résultats sont déjà visibles : il est rare qu'un moteur de recherche ne propose pas un trajet avec une escale à l'aéroport de Dubaï.

La deuxième partie du rapport, très intéressante, reflète les propositions faites au sein du groupe de travail par chacun des acteurs différents qui y étaient représentés. Elles y figurent toutes et ne sont pas hiérarchisées. C'est pourquoi un certain nombre d'entre elles n'ont pas été retenues dans la troisième partie, consacrée à un catalogue de propositions très précises.

La première proposition consiste à simplifier les procédures. Une séance de travail est prévue avec M. Thierry Mandon, secrétaire d'État à la Réforme de l'État et à la simplification, et Gilles Savary, président du Conseil supérieur de l'aviation civile qui y a engagé le même travail. Nous souhaitons que l'ensemble des administrations de l'État concernées soient mises autour de la table afin d'avancer rapidement sur ce sujet de la simplification. Il nous incombe également de veiller à ce que la demande de simplification soit assumée par tout le monde. Lorsque l'on s'intéresse, par exemple, à la transposition des directives européennes, on s'aperçoit qu'il existe des différences importantes entre pays. La France, soucieuse d'assurer une sécurité juridique maximale, aboutit parfois à des textes lourds, avec un rapport qui peut aller du simple au centuple entre notre pays et le Royaume Uni.

La deuxième proposition porte sur la taxe de l'aviation civile. Les transporteurs aériens font observer qu'une part croissante du montant de la TAC abonde le budget général de l'État, alors que des besoins importants en matière de compétitivité demeurent insatisfaits. Le constat n'est pas inexact et il me semble que se joue là une question de crédibilité pour l'État : on ne peut en effet demander aux compagnies de se réformer et de se moderniser et d'affronter la concurrence, d'une part, et les priver d'une partie des moyens destinés à les y aider, d'autre part. Au cours de la discussion sur la première partie du projet de loi de finances pour 2015, j'ai présenté avec nos collègues Gilles Savary et Jean-Claude Fruteau un amendement destiné à restituer l'intégralité du montant de la taxe au secteur aérien ; la mesure a été votée, contre l'avis du ministère des finances, et je compte proposer une mesure similaire, d'application immédiate, à l'occasion du débat sur le projet de loi de finances rectificative pour 2014.

Une telle mesure doit permettre à chacun des acteurs d'assumer ses responsabilités, notamment à la DGAC de se désendetter et d'engager une série d'actions en attente. La plus grande partie des 60 millions d'euros réaffectés au budget annexe pourrait surtout permettre de financer l'exonération de taxe pour les passagers en correspondance. La situation actuelle crée en effet un profond déséquilibre, y compris entre hubs européens, qui est préjudiciable aux infrastructures aéroportuaires françaises.

Troisième proposition pour ce qui concerne les investissements à réaliser. Je renvoie à l'excellent rapport du Conseil général du développement durable sur la sûreté du transport aérien, publié il y a quelques semaines. Il faut notamment s'interroger sur le paradoxe de la situation française, où il est considéré que la sûreté relève du domaine régalien, mais où l'État ne finance rien. Or les compagnies, les aéroports et l'ensemble des acteurs du transport aérien auront à faire face, dans les années à venir, à des investissements colossaux pour se mettre au niveau des nouvelles exigences et réglementations en matière de sûreté : sur ce sujet, l'État ne peut se montrer absent, sous peine de graves difficultés.

Quant à l'évolution du périmètre régulé d'Aéroports de Paris, le sujet est effectivement en débat, mais il doit être abordé avec une extrême prudence compte tenu de ses enjeux financiers.

S'agissant, en dernier lieu, de la taxe de solidarité, dite « taxe Chirac », je déplore la lecture caricaturale du rapport faite par certains mouvements activistes, selon laquelle la suppression de cette taxe y serait prônée. À la lumière des débats tenus jadis devant cette Assemblée à l'occasion de l'instauration de la taxe, il ne me semble pas illégitime d'observer qu'elle n'a pas répondu aux objectifs alors fixés : seuls neuf pays ont décidé de l'instaurer et elle est donc devenue un facteur de distorsion concurrentielle, entre pays et entre compagnies. Sans revenir sur le principe même d'une telle taxe, qui porte sur environ 210 millions d'euros, ne serait-il pas possible d'en faire évoluer l'assiette – par exemple, en la faisant peser sur la consommation quotidienne qui a une assiette très large plutôt que sur un voyage occasionnel ? Si cette idée ne remplit certes pas d'enthousiasme le secteur de la grande distribution que j'ai reçu, celui-ci est néanmoins conscient des gains en termes d'image qu'il est susceptible de réaliser auprès de ses clients.

J'ai conscience de n'avoir pas eu le temps de rentrer dans le détail des propositions.

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