Intervention de Sylviane Bulteau

Séance en hémicycle du 21 octobre 2014 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylviane Bulteau :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mesdames les rapporteures, monsieur le rapporteur, chers collègues, l’un de nos illustres prédécesseurs sur ces bancs, Léon Bourgeois, affirmait déjà avec force, en 1904, que « l’organisation de l’assurance solidaire de tous les citoyens contre l’ensemble des risques de la vie commune – maladies, accidents, chômage et vieillesse – apparaît comme la condition nécessaire du développement pacifique de toute société, comme l’objet nécessaire du devoir social ». De l’élaboration progressive, jusqu’au début du siècle dernier, d’un système d’assistance publique et de libre prévoyance à la mise en place, à partir de 1946, d’une Sécurité sociale unifiant et généralisant un régime d’assurances sociales complet mais fragile, c’est l’histoire d’une longue conquête dont nous sommes tous ici les héritiers. Soyons toutefois conscients, à plus d’un siècle de distance, que rien n’est jamais acquis, que rien n’est jamais définitif.

Il est toujours fondamental – et je dirais même que cela est aujourd’hui encore plus impératif qu’hier – de rappeler la nécessité de conserver un modèle social puissant, ciment de l’identité de la France. La sévère crise économique que nous connaissons l’impose, et cela d’autant plus énergiquement que, de façon d’ailleurs tout à fait paradoxale, elle suscite, chez ceux-là mêmes qui devraient, pour cette raison, être profondément attachés à notre système de protection sociale, une hostilité croissante.

Mes chers collègues, une enquête publiée au mois de septembre par le CREDOC le démontre : les Français portent un regard de plus en plus dur sur la pauvreté. De fait, 37 % de nos concitoyens pensent que les personnes en situation de pauvreté n’ont pas fait d’effort pour en sortir, quand ils n’étaient que 29 % en 2009. L’idée que la société, notamment ceux qui disposent de davantage de moyens, doivent être solidaires des plus modestes perd du terrain. C’est donc le coeur de notre modèle, le principe de fraternité inscrit aux frontons de nos mairies, qui semble être aujourd’hui contesté.

Contre cette tendance lourde qui voit nos concitoyens indéniablement se replier sur eux-mêmes, il faut se battre sur des principes, défendre les valeurs qui fondent notre pays et qui irriguent la République. La Sécurité sociale, au même titre que notre drapeau, notre devise ou notre hymne national, est un beau symbole, un symbole vivant de la France et de ce qu’elle incarne. Sans une juste redistribution, il n’y a pas de solidarité ; sans solidarité, il n’y a pas de lien d’engagement ; sans lien d’engagement, il n’y a plus de communauté nationale : il n’y a tout simplement plus de nation. Une société doit faire sens. C’est pourquoi, au-delà de la nécessité d’assurer à chacun selon ses besoins, c’est aussi cela qui guide notre ambition commune. La société du chacun pour soi – tout du moins sur les bancs sur lesquels je siège –, nous n’en voulons pas, nous n’en voulons plus !

Mes chers collègues, j’ose le dire ici fortement : ce consumérisme scolaire, électoral et social que nous rencontrons quotidiennement dans nos permanences parlementaires est le fruit de principes, la conséquence d’une politique et enfin le résultat d’un bilan, celui de dix années de droite.

Ce procès en légitimité et en efficacité des aides sociales a été et demeure celui qu’intentent les forces conservatrices à l’oeuvre dans notre pays. Ces forces avaient certes pu, dans la vigueur de la Ve République, faire leur pour un temps la fameuse maxime de William Beveridge selon laquelle il faut libérer l’homme du besoin et du risque. Mais ce masque est tombé en même temps que ces forces, alors en charge des affaires de l’État, abaissaient la fonction présidentielle. Il est tombé lorsque ces mêmes forces ont sciemment travaillé à éloigner les Français d’un système de protection sociale auxquels ils étaient jusqu’ici particulièrement attachés. Pour combler le déficit de la Sécurité sociale, l’ancienne majorité a ainsi rogné sur certaines dispositions : instauration d’une franchise sur les actes médicaux, déremboursement de médicaments, dérégulation du système hospitalier public.

C’est donc en somme une offensive idéologique à laquelle la droite s’est livrée depuis dix années. Cette offensive visait à instiller dans les esprits l’idée selon laquelle – pour reprendre les termes du sociologue Robert Castel – le pauvre doit manifester beaucoup d’humilité et exhiber des preuves convaincantes de sa condition malheureuse pour ne pas être soupçonné d’être un mauvais pauvre.

Ce faisant, elle a oublié la belle leçon que nous enseigne ce même sociologue selon laquelle la protection sociale n’est pas seulement l’octroi de secours en faveur des plus démunis, mais qu’elle est la condition de base pour continuer à appartenir à une société de semblables.

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