Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 14 octobre 2014 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Je vous remercie de votre invitation à venir m'exprimer devant votre commission pour la première fois dans le cadre de mes nouvelles fonctions et de me permettre de vous présenter les grandes priorités qui guideront mon action à la tête de mon ministère pour porter le projet culturel du Gouvernement.

Dans notre contexte actuel de crise économique, sociale mais aussi morale, alors que notre société est traversée par des courants antagonistes qui éloignent les Français les uns des autres et fragmentent notre corps social, nous avons un besoin vital de retisser du lien, de favoriser la rencontre entre nos concitoyens. Alors que la tentation est au pessimisme et au repli sur soi, nous avons aussi besoin d'insuffler un esprit de conquête, à rebours du défaitisme ambiant. Alors que l'avenir inquiète, que nous sommes comme crispés, cramponnés à ce que nous considérons comme nos acquis, nous devons nous tourner vers l'innovation et écouter les nouvelles générations.

C'est la responsabilité des femmes et des hommes politiques de montrer aux Français ce qu'ils ont en commun et de leur redonner confiance. La culture est une force sur laquelle nous pouvons – et devons – compter pour mettre notre société en mouvement. Pour recréer du lien social, pour créer un désir de France, ici et partout dans le monde, pour favoriser le renouvellement des générations et nous tourner résolument vers la jeunesse et l'avenir. C'est tout le sens du projet culturel que je veux porter et des priorités que je suis venue vous présenter aujourd'hui. Si ces priorités ne couvrent pas l'ensemble du champ de mon ministère, elles visent à tracer une voie et à définir un horizon politique pour engager l'ensemble des acteurs et de nos partenaires.

La première de mes priorités est de repenser l'accès à la culture pour les nouvelles générations. Il ne s'agit pas seulement de lancer une initiative de plus, mais de revisiter la conception même de nos politiques culturelles et donc de notre action à tous au quotidien.

Je veux partir des pratiques culturelles des Français, notamment des jeunes. Les nouvelles générations, en particulier ceux qu'on appelle les natifs du numérique, ont de nouvelles manières de lire, d'écouter, de regarder, d'aimer et d'admirer. La culture est pour les jeunes une expérience et un moyen d'expression qui sont étroitement liés aux nouveaux modes de sociabilité, tels les réseaux sociaux et les valeurs coopératives. Je souhaite que nous prenions mieux en compte ces pratiques pour mieux les accompagner.

Cela passe par bien sûr par l'éducation artistique et culturelle, dont le Président de la République a fait une priorité et pour laquelle le Premier ministre a rappelé l'ambition du Gouvernement. Elle est au coeur de ma mission. J'ai demandé à cet effet aux directeurs régionaux des affaires culturelles de faire un inventaire des actions pédagogiques mises en oeuvre par les institutions culturelles, les collectivités territoriales et les acteurs de la culture à destination des publics jeunes, scolaires, en vue d'identifier, de valoriser et d'étendre les bonnes pratiques.

Par ailleurs, la réforme des rythmes scolaires nous donne l'opportunité d'une ambition plus vaste pour tous les enfants. Nous travaillons étroitement avec la ministre de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, Najat Vallaud-Belkacem. Nous sommes ainsi en train d'élaborer une feuille de route interministérielle pour consolider notre partenariat et nous aurons très prochainement l'occasion de faire une communication conjointe en Conseil des ministres sur le sujet. Nous serons d'ailleurs demain ensemble à Radio France pour signer une convention commune sur l'éducation artistique et culturelle.

Cette priorité passe aussi par l'accompagnement des nouveaux usages et des nouvelles pratiques pour favoriser l'accès des jeunes à la culture. Nous devons nous saisir de l'incroyable énergie créative qui, autour par exemple du jeu vidéo, permet d'explorer de nouvelles formes de récit et de nouveaux exercices d'écriture, à la croisée de la littérature et du code, ou autour des hackathon, véritables marathons de projets collectifs où les données culturelles publiques sont réutilisées au service d'applications ou de services numériques innovants. Sans oublier le mash-up – le mixage –, où les imaginations s'emparent des oeuvres du domaine public pour les transformer – j'ai, par exemple, vu récemment une démonstration de table de montage très intuitive permettant aux enfants d'élaborer de petits films et d'exercer leur créativité.

Je souhaite que cette énergie collective et collaborative irrigue tous les secteurs culturels au service d'une culture partagée et participative, et non plus verticale et élitiste. Une véritable appropriation de la culture par les jeunes est aujourd'hui nécessaire pour que chacun devienne acteur des pratiques culturelles.

Ma deuxième priorité est de renforcer l'excellence française pour en faire un instrument au service du rayonnement culturel de notre pays.

Nous avons en France de formidables atouts, qu'il nous faut mieux valoriser. Notre littérature, par exemple, qui vient d'être consacrée par la plus prestigieuse distinction : le Prix Nobel. Patrick Modiano, Prix Nobel de littérature, constitue une grande fierté pour notre pays, car au-delà de l'oeuvre d'un immense écrivain, c'est la vitalité et le rayonnement de notre littérature qui sont ainsi célébrés. Je rappelle que c'est grâce à sa langue, et ceux qui la manient avec talent, que la France est en tête du palmarès des Prix Nobel de littérature : 15 depuis la création du Prix, dont 3 ces dix dernières années, ce qui est assez remarquable.

Notre littérature n'est pas notre seule force. Je pense au succès de nos oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, de nos jeux vidéo, de notre musique ou de notre animation : au-delà du rayonnement du cinéma français dans le monde, il faut rappeler la réussite musicale de chanteurs francophones comme Zaz, Stromae ou Phoenix, la consécration des séries françaises comme Les Revenants ou Braquo, ou le succès de jeux vidéos comme Just dance, développé à Montreuil, ou Criminal Case, élu meilleur jeu au monde sur Facebook en 2013. Nous devons miser sur ces atouts et renforcer l'exportation de nos industries culturelles. C'est dans cette perspective que je veux faire de la France une championne de la fiction. J'ai eu l'occasion de le dire aux professionnels rassemblés à La Rochelle pour le Festival de la Fiction TV : faire de la France une championne de la fiction, c'est porter l'ambition du rayonnement de la création française dans le monde, pour que nous soyons l'une des premières nations du cinéma, mais aussi en France, car nous sommes un des rares grands pays européens dont la production nationale ne dépasse pas en audience la production américaine. En Allemagne ou au Royaume-Uni, la fiction locale est beaucoup plus regardée qu'ici. Or j'ai pu me rendre compte de nos atouts lorsque j'ai visité le tournage de la série Versailles. Nous devons créer les conditions pour mieux accompagner la prise de risque éditoriale, pour encourager les nouvelles formes de création, les nouveaux talents, pour mieux aligner les intérêts des auteurs, des producteurs et des diffuseurs, avec en perspective une création indépendante et innovante et des chaînes capables de fédérer largement autour d'une oeuvre clairement identifiée par les téléspectateurs.

Nous devons aussi continuer à faire rayonner et à exporter nos savoir-faire et notre excellence patrimoniale : je pense par exemple aux musées, aux conservateurs, aux formateurs, aux restaurateurs du patrimoine et aux archéologues. Beaucoup de pays, comme le Maroc, nous font d'ailleurs connaître leur intérêt pour des coopérations en matière de patrimoine, de gestion des musées ou de collections. J'annoncerai prochainement des initiatives dans ce domaine.

Ma troisième priorité est d'encourager le renouveau créatif.

Cela passe par une politique ambitieuse en faveur de nos écoles de l'enseignement supérieur culturel. Avec 101 établissements et plus de 36 000 étudiants répartis sur tout le territoire, le réseau de nos écoles est un formidable vivier de talents. Je l'ai dit aux directeurs d'école lorsque je les ai rencontrés, ce sont nos écoles qui posent les bases du rayonnement durable de ce qui est l'une des singularités et l'une des forces de notre pays : la créativité, l'innovation et la qualité artistique. Ce sont elles qui contribuent au renouveau de la création dans notre pays par la singularité de leur approche pédagogique et de leur formation, par la qualité des débouchés qu'elles offrent à leurs diplômés et par leur capacité à développer une recherche de premier plan.

Je voudrais faire en sorte que tous les talents puissent être accompagnés, que l'on puisse travailler sur de nouveaux grands projets de résidence et que les futurs grands noms de la création française de demain puissent ne pas être laissés au bord du chemin par notre système de formation.

Soutenir le renouveau créatif passe par la formation des créateurs et des artistes, mais aussi par leur accompagnement tout au long de leur parcours professionnel. Donc par la prise en compte de la discontinuité spécifique de l'emploi des artistes et des professionnels de la création. À ce titre, je tiens à rappeler que la richesse et la diversité de l'offre de spectacle vivant, mais aussi de notre production audiovisuelle et de notre cinéma, reposent pour une part sur le régime de l'assurance chômage des artistes et des techniciens du spectacle. Je pourrai revenir plus en détail sur la refondation de ce régime et sa pérennité dont je sais qu'elles vous tiennent autant à coeur qu'à moi.

Je souhaite aussi ouvrir plus largement le ministère de la culture et de la communication aux nouvelles formes de création : les nouvelles esthétiques liées à l'essor de l'hybridation et du numérique, non plus comme seul outil de diffusion, mais comme processus de création, ou bien les nouveaux modèles culturels, comme l'entreprenariat. Je souhaite que ce ministère soit porteur d'un esprit d'audace créative et d'innovation.

Plus largement, l'État doit continuer d'être garant de la liberté de création et de son ouverture à toutes les formes d'expression artistique. C'est un des enjeux du projet de loi que je présenterai au Parlement au premier semestre de l'année 2015. Le débat auquel il donnera lieu sera l'occasion pour le Gouvernement d'affirmer son attachement aux principes fondateurs de l'identité de notre pays en matière de culture : la liberté de création, mais aussi le soutien aux créateurs et la protection de leur statut, l'accessibilité la plus large des oeuvres de l'esprit.

Ce projet de loi comportera aussi d'importantes dispositions relatives à l'architecture et au patrimoine, qui permettront, d'une part, de clarifier le droit des espaces protégés dans un souci d'efficacité et d'intelligibilité pour nos concitoyens – sans pour autant renoncer au niveau de protection – et, d'autre part, de mettre en oeuvre certaines recommandations du rapport de Patrick Bloche sur la création architecturale. Mon objectif sera de libérer les énergies créatives au service du dynamisme de notre pays et de valoriser la création d'hier, qui est le patrimoine d'aujourd'hui, et la création d'aujourd'hui, qui sera le patrimoine de demain.

Pour mettre en oeuvre ces priorités, le ministère bénéficie, dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons, d'un budget sanctuarisé pour les années 2015 à 2017, et même en très légère hausse. Nous avons fait des choix et opéré des redéploiements dans le sens de l'action que je souhaite mener, en veillant à ce que l'État puisse ouvrir un dialogue fructueux avec les collectivités territoriales s'agissant de la compétence culturelle, partagée et partenariale.

D'abord, la priorité en faveur de la jeunesse et de l'éducation artistique et culturelle est marquée par la mise en place de 10 millions d'euros de crédits nouveaux hors investissement, dont 2,5 millions d'euros pour l'éducation artistique et culturelle et 7 millions d'euros pour l'enseignement supérieur culturel.

Ensuite, l'engagement du Gouvernement en faveur de la création est réaffirmé, puisque les crédits augmenteront de 2 % par rapport à 2014, pour permettre de financer le réseau dense des lieux dédiés au spectacle vivant ou aux arts plastiques, donner aux opérateurs les moyens de contribuer au renouvellement de l'offre culturelle et à l'ouverture aux nouvelles formes de création, et lancer des projets d'investissement tournés vers les territoires.

Enfin, la part de financement par subvention budgétaire des sociétés de l'audiovisuel public est réduite à 160 millions d'euros. Comme vous le savez, elle a vocation à disparaître entièrement en 2017. Le financement des grandes institutions audiovisuelles sera donc à terme totalement indépendant du budget de l'État et reposera, hors ressources propres, sur la seule contribution à l'audiovisuel public.

Après avoir présenté mes priorités et les moyens pour les mettre en oeuvre, je voudrais évoquer ma méthode de travail. Je refuse une approche essentiellement gestionnaire de la culture. Bien sûr, le budget est important et je le défendrai toujours avec force et engagement. Comme je me battrai pour défendre les moyens et les acteurs de la culture. Mais ce qui compte est le sens que l'on donne à nos politiques culturelles et aux réformes que nous engageons.

Ce sens, il nous faut le construire avec tous les acteurs de la culture sur l'ensemble de notre territoire. J'ai eu l'occasion de le dire à tous mes interlocuteurs et aux partenaires sociaux que j'ai reçus : j'attache une très grande importance au dialogue et à la concertation. Je suis donc heureuse que la présente audition, première étape de ce dialogue, me permette de recueillir votre avis et de répondre à vos interrogations.

Je citerai deux exemples de cette méthode non gestionnaire qui m'est chère. Tout d'abord, concernant l'audiovisuel public dont nous sommes si fiers, nous devons nous interroger sur le sens de ses missions de service public avant de débattre d'un éventuel retour de la publicité ou de la redevance. C'est en ce sens que le Président de la République a annoncé que l'État exprimera sa vision stratégique et ses objectifs fondamentaux pour France Télévisions avant la nomination du prochain président de la société par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Il nous faut réfléchir à l'avenir de l'audiovisuel public et aux moyens de son indépendance, tout comme l'indépendance et le pluralisme de la presse doivent être confortés dans la transition très brutale qu'elle traverse.

C'est encore avec une méthode de travail collaborative et innovante que je souhaite que mon ministère se saisisse des enjeux de la réforme territoriale et de la modernisation de l'action publique. Je l'ai rappelé avec force devant les directrices et directeurs des affaires culturelles des collectivités territoriales réunis pour les Assises de la Fédération nationale des associations des directeurs des affaires culturelles (FNADAC) : c'est dans le dialogue et la concertation, avec audace et inventivité, que nous pourrons refonder le rôle du ministère sur les territoires et faire que la culture soit au coeur du développement de notre pays.

Vous le savez, le Premier ministre l'a rappelé, nous devons préparer dès aujourd'hui l'État dont nous aurons besoin demain : un État ouvert à la participation de la société civile, exemplaire en termes de qualité du service rendu, qui maintient une présence efficace sur les territoires et se tourne résolument vers les attentes de la population. Dans ce contexte de réforme, le ministère de la culture et de la communication a une occasion unique pour refonder son action, notamment sur les territoires, en partenariat avec les collectivités territoriales. La revue des missions de l'État ne doit pas être un exercice purement gestionnaire ou comptable : nous devons nous en saisir pour clarifier le rôle et les priorités du ministère, le sens de ses missions, afin de lui donner les moyens d'une nouvelle ambition.

Ma présentation n'est évidemment pas exhaustive et je pourrai revenir plus en détail sur certains points si vous le souhaitez. J'attache beaucoup d'importance à l'échange et au travail parlementaire : je suis donc à l'écoute de vos questions, auxquelles je tâcherai de répondre le plus précisément possible.

1 commentaire :

Le 21/02/2015 à 17:29, laïc a dit :

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"Sans oublier le mash-up – le mixage –, où les imaginations s'emparent des oeuvres du domaine public pour les transformer"

Je ne connaissais pas le mot "mash up", c'est bien d'aller sur les commissions des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale française pour perfectionner son anglais....

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