Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 16 septembre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Article 1er

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Je suis défavorable à cet amendement, car il est anticonstitutionnel.

En effet, adopter une telle mesure serait méconnaître totalement la répartition des compétences entre les ordres de juridiction arrêtée par la Constitution. Cet amendement est contraire à la Constitution, et je tiens à être très précis sur ce point, afin que cela figure au compte-rendu des débats. Les décisions prises par le pouvoir exécutif dans le cadre des prérogatives de puissance publique – ce qui est le cas de la décision administrative d’interdiction de sortie du territoire – relèvent du juge administratif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très claire à cet égard. Je vous renvoie à sa décision « Conseil de la concurrence » du 23 janvier 1987, que je cite : il existe « un " principe fondamental reconnu par les lois de la République " selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle. »

Si parmi les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire figure la protection des libertés individuelles, conformément à l’article 66 alinéa 2 de la Constitution, l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. Cette notion est entendue de manière stricte par le juge constitutionnel, et vise uniquement les mesures restrictives de la liberté qui coïncident avec le droit à la sûreté, c’est-à-dire le droit à ne pas être arbitrairement détenu. Relèvent donc de l’autorité judiciaire les mesures de placement en zone d’attente, de placement en garde à vue, de retenue pour vérification d’identité. Lorsqu’en revanche l’atteinte à la liberté d’aller et venir ne s’accompagne pas d’une mesure privative de liberté, ce qui est le cas de la mesure que nous proposons, elle ne relève pas du champ de la liberté individuelle mais de celui de la liberté personnelle, rattaché non plus à l’article 66 de la Constitution, mais aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. C’est le cas, notamment, des mesures d’assignation à résidence des étrangers, des mesures d’interdiction de déplacement de supporters ou des mesures instituant une obligation de pointage pour les interdits de stade.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel est donc très claire ; la Constitution l’est tout autant. Adopter cet amendement conduirait à introduire dans le texte des dispositions anticonstitutionnelles, et cela dans des matières dans lesquelles le Conseil constitutionnel fait montre d’une grande vigilance.

C’est sur le fondement de cette argumentation imparable en droit que je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

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