Intervention de Christine Noiville

Réunion du 22 juillet 2014 à 15h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christine Noiville :

Je répondrai d'abord à la question atypique peut-être, mais tout à fait justifiée, de savoir si le HCB est un énième « comité Théodule » dont il faudrait envisager de se débarrasser, notamment dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons.

Cette question a été posée, d'abord par le HCB lui-même dans l'un de ses rapports d'activité, puis par la Cour des comptes qui s'est interrogée sur l'opportunité de rattacher le HCB à l'ANSES puisque leurs champs de compétence se recoupent dans une certaine mesure. Le Gouvernement a réglé la question, considérant que le HCB devait rester une instance autonome. Cela permet notamment de respecter l'exigence de bicaméralisme qui a présidé à son installation, avec un comité pérenne de parties prenantes, destiné à examiner les mêmes dossiers que le Comité scientifique en même temps que lui. Il s'agit d'un apport essentiel du HCB, sur lequel plusieurs d'entre vous ont d'ailleurs insisté et qu'il aurait été dommage de rayer d'un trait de plume.

Il était néanmoins légitime de réfléchir aux éventuels doublons ; nous l'avons fait, ce qui a permis au HCB et à l'ANSES de se mettre d'accord – sous la houlette des pouvoirs publics, naturellement – pour que l'ANSES soit en première ligne dans l'évaluation des effets sanitaires des OGM, le HCB se chargeant de leurs effets environnementaux.

Comment faire revenir les cinq démissionnaires ? La richesse et l'originalité du HCB, et particulièrement de son CEES, réside dans la diversité des points de vue qui sont susceptibles de s'y exprimer. J'ai donc été la première à déplorer que ces cinq organisations décident de quitter le comité. Ce choix ne s'explique pas uniquement par le fonctionnement du HCB ; les autres considérations qui y ont présidé, outre celle qu'a évoquée M. Bertrand Pancher, sont rappelées dans notre bilan. Quoi qu'il en soit, il est extrêmement important d'inviter ces cinq organisations à revenir à la table.

Je suis de nature optimiste : avant de décréter qu'il est impossible de les en convaincre, je veux essayer. Or langue a été prise avec elles et, sans vendre la peau de l'ours, j'ai le sentiment que le contexte est favorable : un cycle s'achève, un autre s'ouvre, avec de nouvelles méthodes de travail, une insistance nouvelle sur l'évaluation socio-économique à laquelle les démissionnaires peuvent être sensibles, et un nouveau décret qui revoit les règles de composition du CEES. Il s'agit notamment d'y faire entrer de nouveaux membres représentant notamment les semenciers, les consommateurs et la distribution, et de nommer deux vice-présidents par comité puisque, vous l'avez bien compris, le vice-président unique du CEES ne pouvait que représenter une tendance, pro-OGM ou anti-OGM – c'est malheureusement en ces termes que l'on prend souvent position.

Monsieur Martial Saddier, devrons-nous « lâcher du lest » pour convaincre les démissionnaires de revenir ? Si cela signifie que nous déploierons toute l'énergie dont nous disposons pour qu'ils acceptent de débattre à nouveau, oui ; si la question est de savoir si nous irons au-delà de ce que prévoit le décret, la réponse est évidemment négative.

Le HCB a été saisi par des parlementaires à trois reprises : par M. François Grosdidier en 2009, par Mme Marie-Christine Blandin à la suite de notre avis sur l'étude Séralini, enfin par MM. Jean Bizet et Bernard Accoyer tout récemment, alors que le premier mandat du président s'achevait. Pour cette raison, cette dernière saisine n'a pas encore été traitée ; le Bureau du HCB décidera des modalités de son traitement lorsque le nouveau mandat débutera.

Le HCB a-t-il les moyens, notamment financiers, de fonctionner ? Notre budget s'élève aujourd'hui à un million d'euros. Nous l'avons dit dans notre dernier rapport d'activité, cette somme nous permet de réaliser les expertises et travaux indépendants que l'on attend de nous. Il va sans dire que, pour développer l'évaluation économique et sociale, nous aurons besoin de moyens financiers et humains supplémentaires. J'ai bien conscience du fait que la période n'est pas faste, que tout nouveau responsable d'institution formule ce type de demande, que le secrétariat fournit déjà un énorme travail et que c'est sur nos experts que nous devons nous appuyer en priorité. Sachez cependant que si j'étais confirmée à la présidence du HCB, je prendrais mon bâton de pèlerin pour demander au moins quelques postes de plus.

Je précise qu'en revanche, nous n'avons pas sollicité de moyens supplémentaires pour mener nos propres études à la suite de la saisine relative aux travaux de Gilles-Éric Séralini. Ce doit être l'ANSES qui a formulé cette demande dans son propre avis.

Les risques toxicologiques des OGM font actuellement l'objet d'études nombreuses et très diverses – synthèses de la littérature, études in situ, par exemple sur des animaux d'élevage, études à quatre-vingt-dix jours ou, beaucoup plus rarement, à deux ans. Ces études, dont les programmes GRACE et MARLON, ne sont pas achevées, de sorte que l'on ne peut rien en dire de précis.

Surtout, si je me suis présentée comme scientifique et experte de certaines questions relatives aux biotechnologies, celles-là relèvent des seuls spécialistes de la toxicologie. Ils sont trente-neuf au HCB, au sein du Comité scientifique présidé par Jean-Christophe Pagès, lequel devrait être reconduit dans ses fonctions. Ne confondons pas les rôles ! Si vous voulez interroger le HCB sur ce point, faites-le, et ce sera au Comité scientifique de vous répondre.

Sur la coexistence entre cultures OGM et non-OGM, dont le principe fonde en grande partie la loi de 2008, nous avons rendu en 2012 un avis important tendant à en garantir une application équilibrée et juste sur notre territoire. Il en ressortait que si des mises en culture devaient avoir lieu au cours des années à venir, la coexistence serait possible à condition d'être précisément organisée et négociée sur le terrain. Cela suppose notamment – on l'oublie souvent – que des semences non-OGM soient disponibles pour l'agriculteur qui le souhaite.

Comme chercheur, comme juriste, je suis favorable aux essais en champ sur le territoire français. C'est l'une des rares choses que je me sois jamais autorisée à dire clairement au sein du HCB, le reste de mes opinions n'ayant pas à être mis en avant.

Je suis impressionnée, monsieur Julien Aubert, par votre brillante synthèse de mon ouvrage. (Sourires) Mais si je deviens présidente d'une instance chargée de conseiller le Gouvernement à propos des biotechnologies, ma tâche ne sera pas politique : je ferai en sorte que le HCB assume sa mission de conseil, sur le fondement d'une évaluation environnementale et sanitaire robuste, comme jusqu'à présent, et d'un débat constructif entre parties prenantes. C'est au Gouvernement qu'il appartiendra de décider.

Quelle est néanmoins ma plus-value comme juriste ? Je l'ai dit, la richesse du HCB résulte de la diversité des profils et du croisement des points de vue. Après une présidente physicienne et un président médecin, la nomination d'une nouvelle présidente venue des sciences sociales pourrait être un message intéressant, en phase avec l'évolution de notre société, mais toujours dans le respect de la science.

Faut-il saluer ou déplorer la nouvelle réglementation communautaire ? Il est clair, en tout cas, que la précédente ne fonctionnait pas : la Commission européenne avait le plus grand mal à gérer les clauses de sauvegarde et les mesures d'urgence adoptées par les États membres refusant la mise en culture d'OGM sur leur territoire. Je dirais donc, pour citer un grand quotidien, que le compromis est préférable au pataquès. Il était très désagréable pour ces États eux-mêmes de devoir enrober leurs véritables motivations d'arguments environnementaux et sanitaires. Il est bon qu'ils puissent reprendre la main sur ces questions et justifier leur éventuel refus par d'autres motifs d'ordre social, économique, agronomique, liés à la coexistence, à l'organisation du parcellaire.

Comment ces règles seront-elles mises en oeuvre, notamment auprès des industriels ? Il est très difficile de le savoir aujourd'hui, mais il faudra être extrêmement vigilant sur ce point. Les nouveaux critères passent-ils la rampe de la réglementation communautaire et du droit de l'OMC ? La question se pose et, comme toujours, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Aujourd'hui, ces critères peuvent être utilisés, notamment en droit de l'OMC, mais la voie est étroite. Tout dépendra donc de l'évolution de la jurisprudence de l'OMC sur ce point.

Je confirme ce qui a été dit à propos des brevets et je me réjouis que vous rejoigniez, monsieur Yannick Favennec, les conclusions de notre gros travail sur les questions de propriété industrielle. Il est tout à fait normal et juste de protéger de véritables innovations, développées grâce à des moyens financiers importants qui rendent nécessaire un retour sur investissement. Toutefois, la brevetabilité dans le domaine des végétaux a beaucoup évolué, au point d'englober, au-delà des seules PGM, des plantes relevant traditionnellement du certificat d'obtention végétale. Cela pose un problème que le HCB a signalé dans son rapport et à propos duquel nous avons alerté les pouvoirs publics, ce qui était absolument nécessaire. Je me réjouis que des mesures à ce sujet soient actuellement discutées en France et en Europe.

J'en profite pour vous confirmer que nos travaux sur les brevets ont suscité le consensus sur bien des points, s'attirant l'approbation du GNIS comme de la Confédération paysanne : c'est un bel exemple de la possibilité de faire évoluer les positions même sur des sujets très « clivants ».

Quant à l'accès aux données brutes, nous y avons beaucoup travaillé à la suite de l'« affaire Séralini ». En effet, après la publication de ses travaux, Gilles-Éric Séralini a regretté de n'avoir pu accéder aux données brutes de l'entreprise développant l'OGM dont il avait décidé d'évaluer les risques. Les données brutes sont l'ensemble des données expérimentales produites par les pétitionnaires, c'est-à-dire par les industriels eux-mêmes. Sur cette question, on entendait dire tout et son contraire. L'avis du HCB sur ce point montre que les données brutes sont aujourd'hui accessibles à qui les demande, en France comme en Europe. La transparence existe donc dans ce domaine, ce qui mérite d'être signalé car ce n'est pas le cas ailleurs, notamment en matière de médicaments. Le HCB s'est toutefois interrogé sur l'opportunité d'aller plus loin que le système d'accès sur demande, en rendant toutes les données disponibles sur Internet. Il en est résulté un relatif consensus sur la nécessité de prendre le temps de la réflexion. Le HCB propose en tout cas que les données brutes aujourd'hui mises à disposition, par quelque méthode que ce soit, le soient dans un format dit exploitable, de sorte que n'importe qui puisse les retravailler et contester le cas échéant les études des industriels.

Madame Marie-Line Reynaud, s'agissant des lanceurs d'alerte, j'ai toujours défendu l'idée que leur protection était un élément clé de l'anticipation, de la prévention et de la gestion des risques environnementaux et sanitaires. Je ne peux donc que me féliciter de l'adoption d'une loi en ce sens. Mais j'ai aussi toujours souhaité que cette protection soit assortie de certaines conditions de fond et de procédure, sauf à entrer dans une sorte d'état d'alerte permanent qui paraît assez malsain. De ce point de vue, la loi me semble relativement adaptée, même si l'on peut toujours discuter des détails. Quant à ce qu'elle apportera au HCB, cette instance de conseil au Gouvernement, notamment sur les risques environnementaux et sanitaires, doit réagir aux alertes lorsqu'elles sont lancées, en vérifiant l'existence des risques signalés.

Messieurs Vigier et Chevrollier, en ce qui concerne enfin le principe de précaution, sujet sur lequel j'ai effectivement beaucoup travaillé au cours des dernières années, je n'ai pas caché ma position très favorable à ce moyen essentiel d'anticiper les risques environnementaux et sanitaires. Je suis de ceux qui ont prôné son intégration à la Constitution. Contrairement à ce que l'on a pu lire ici ou là ces derniers temps, il convient de le maintenir en droit français, d'autant que nous sommes ici tenus par le droit européen.

Comme vous, j'observe toutefois que ce principe est souvent malmené, mal interprété, mal appliqué. Il paraît donc indispensable sinon de le reformuler, du moins de préciser les conditions de sa mise en oeuvre. C'est en tout cas en ce sens que j'ai travaillé, en tentant de montrer qu'il faudrait élaborer une sorte de vademecum à l'intention de tous ceux qui souhaitent le faire valoir dans leurs domaines de compétence respectifs. À mon sens, la jurisprudence en fournit une bonne ébauche, puisque l'on se prononce sur ce principe de manière récurrente depuis vingt ans. Trois maîtres mots s'imposent : le principe de précaution, ce n'est pas moins de science, c'est plus de science ; ce n'est pas un équivalent du risque zéro ; ce n'est pas un principe d'inaction paralysant, mais au contraire un principe d'action. À cet égard, vos propres travaux sur l'articulation du principe de précaution et du principe d'innovation sont sans doute bienvenus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion