Intervention de Augustin de Romanet

Réunion du 22 juillet 2014 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Augustin de Romanet, candidat à la présidente d'Aéroports de Paris :

Est-ce une bonne chose que l'État détienne une courte majorité – 50,6 % – du capital d'Aéroports de Paris ? Il ne me revient pas de me prononcer, mais je peux vous livrer une certitude professionnelle et mon opinion de citoyen. Jeune fonctionnaire, j'étais souvent irrité d'entendre, quand un fonctionnaire était nommé à la tête d'une entreprise publique, le nouveau titulaire préconiser dès son arrivée le désengagement de l'État de son capital. Le jour où mon actionnaire principal m'empêchera de faire ce qui me semble bon pour l'entreprise ou me demandera de faire quelque chose qui me semble mauvais pour elle, j'en discuterai en tête à tête avec lui, avant, éventuellement, de démissionner, mais il se trouve que je travaille bien avec l'actionnariat actuel, qui me permet de servir l'intérêt social de l'entreprise.

Comme vous l'aurez compris, une entreprise publique peut être aussi une entreprise performante. À titre personnel, j'estime utile que l'État détienne à tout le moins une minorité de blocage au sein de l'actionnariat d'Aéroports de Paris, qui gère un outil essentiel pour le pays.

S'agissant de la ligne express entre Paris et Charles-de-Gaulle, je crois que le diable est dans les détails. Nous attendons incessamment un avis juridique pour savoir si une nouvelle déclaration d'utilité publique sera nécessaire pour lancer le projet, ce qui retarderait celui-ci de six mois à deux ans. Il serait pourtant idéal que les travaux débutent en 2017. Selon ce calendrier, la société créée le 31 décembre 2013 par ADP, RFF et l'Etat conduirait les études de faisabilité et de financement en 2014, établirait le cahier des charges en 2015, choisirait le constructeur en 2016 et commencerait les travaux en 2017.

Le déménagement du siège à Charles-de-Gaulle ne doit pas coûter plus que ce que rapporte la vente de l'immeuble du boulevard Raspail, soit entre 55 et 60 millions d'euros. Nous accueillerons du reste au sein du nouveau siège la Maison de l'Environnement d'Aéroports de Paris, qui permet aux enfants des écoles de découvrir nos activités et renforce la proximité de l'entreprise avec son voisinage.

Notre position en matière d'investissements internationaux ne consiste surtout pas à planter partout à l'étranger de petits drapeaux pour le plaisir. Sur un total de 3 milliards d'euros investis à l'étranger, l'investissement par pays se chiffre en millions : une vingtaine, par exemple, en Croatie ou en Jordanie. Le projet turc fait plutôt figure d'exception avec ses 700 millions d'euros, qui constituent sans doute un cas unique en dix ans. Dans le cadre du troisième contrat de régulation économique (CRE), nos engagements à l'international ne devraient pas dépasser 15 % du total, ce qui signifie qu'ils ne se feront pas au détriment d'investissements sur le territoire national.

Pour l'accueil des passagers, des écrans d'accueil seront bientôt placés au débouché de chacune de nos quelque 330 passerelles. Aucun couloir de nos aéroports ne sera laissé nu : les voyageurs pourront au contraire y admirer au contraire des photographies de nos magnifiques sites français.

Des inquiétudes se sont exprimées à propos du climat social qui entoure le déménagement du siège vers Charles-de-Gaulle. Ne voulant être à l'origine d'aucune dépression chez les membres du personnel, j'ai souligné d'emblée que personne ne serait forcé de partir à Roissy. Je comprends tout à fait que telle situation de famille, ou tel emplacement du domicile, puisse rendre difficile un transfert de ce type. Nous disposons d'ailleurs à Orly d'une base considérable pour ceux qui habitent le Sud de l'Île-de-France.

En outre, le nouveau siège sera relativement petit et ne comptera que 350 places de travail, contre 3 000 à l'aéroport d'Orly et autant à celui de Charles-de-Gaulle, le siège actuel du boulevard Raspail en hébergeant entre 300 et 400. Or, nous avons déjà 680 demandes, ce qui prouve que les inquiétudes du début sont dissipées.

Il faut cependant reconnaître que la desserte actuelle ne fera pas de ce transfert une partie de plaisir. Aussi me suis-je rendu dans l'entreprise Atos, à Bezons, où le télétravail est couramment pratiqué. Etant donné les conditions du trajet, il serait bon, pour éviter tout mécontentement de nos jeunes cadres ou agents d'entretien, qu'ils puissent travailler à distance un jour par semaine, en contrepartie de ces conditions de transport difficiles. Pour l'avenir, nous prévoyons de prendre en charge une bonne part de leur abonnement à la future ligne expresse vers Charles-de-Gaulle, si elle se fait et si elle n'est pas saturée par le trafic des voyageurs – trafic dont je vous confirme qu'il est susceptible d'augmenter de 20 millions d'unités d'ici à 2030.

Nous pensons également au logement des personnes travaillant sur la zone aéroportuaire. Ainsi, Aéroports de Paris a financé un foyer de jeunes travailleurs à Charles-de-Gaulle. À Villeneuve-le-Roi, des logements sont aussi en construction, tandis qu'à Saint-Cyr-l'École nous étudions les possibilités d'en bâtir sur les terrains d'aviation générale. Autour de Charles-de-Gaulle, des maires nous ont enfin approchés pour que nous envisagions des constructions dans des secteurs exposés au bruit, mais où l'indice global pondéré qui permet de le mesurer a baissé de 93 en 2007 à 79,8 en 2012. Car la diminution des nuisances sonores crée de nouvelles possibilités en matière de logement.

Les salariés d'Aéroports de Paris travaillent à éviter que les taxis clandestins ne chahutent les taxis réglementés. Votre collègue Thomas Thévenoud a exploré le problème à fond dans son récent rapport. Les solutions qu'il préconise méritent l'attention : la création d'une voie dédiée ; la mise en place d'un forfait aéroport, qui simplifierait la tâche aux VTC ; l'ouverture d'un parking destiné aux professionnels pour les terminaux 2 E et 2 F.

Pour la liaison expresse entre Paris et Charles-de-Gaulle, nous avons repris le projet de Vinci de 2012, qui prévoyait une arrivée de la ligne à l'extrémité ouest de la gare de l'Est, tout près de la gare du Nord. Néanmoins, nous étudions aussi l'éventuelle possibilité d'un branchement à la gare Eole, c'est-à-dire gare du Nord, et à la gare Saint-Lazare. Ce ne sera néanmoins possible que s'il y a possibilité de retournement des trains à Saint-Lazare. Ce problème technique n'ayant pas encore trouvé de solution, la priorité reste à la création d'une ligne qui, en l'état actuel de nos réflexions, arriverait gare de l'Est. Cette gare est toute proche de la gare Magenta et de la gare du Nord, étant reliée à elle par la rue d'Alsace et par des escaliers en haut desquels se trouve le café L'Entredeux, le nom signalant – déjà ! – l'équidistance entre les deux gares. La gare de l'Est est deux fois plus grande et accueille six fois moins de voyageurs que la gare du Nord, de sorte qu'elle est douze fois moins dense que cette dernière et qu'elle présente un potentiel réel. Pour tenir la date de 2023, il faudra en tout état de cause se fixer assez rapidement sur une gare d'arrivée, sans plus trouver chaque jour de nouvelle variante.

Pour le financement de la ligne, ADP et RFF apporteraient les fonds propres, dont le taux de rentabilité serait fixé au taux défini par leur actionnaire. Quant au reste, la société fera appel aux banques, aux fonds souverains et aux « caisses des dépôts » du monde entier, pour obtenir les financements les plus avantageux sur une période longue.

L'eau constitue un sujet qui mobilise élus et préfets. Nous travaillons sur le bassin de la Renardière, pour lequel la convention quinquennale a été renouvelée il y a quelques jours. Il faut en effet séparer eaux vives et eaux de ruissellement. À terme, les eaux pluviales qui se déversent sur les plateformes devraient être dirigées vers la Marne. Certes, quand je suis arrivé à Aéroports de Paris, un projet d'investissement de 100 millions d'euros était envisagé, que j'ai réduit à 30 millions. Cependant, nous restons très attentifs aux avis des experts sur les risques d'inondation ou de pollution des eaux.

Le risque que, à cause de la double caisse aménagée, les activités rentables ne participent pas au financement des autres activités préoccupe beaucoup d'entre vous. Certes, comme dirigeant d'entreprise, je dois oeuvrer pour l'intérêt social de celle-ci, qui est de se développer de manière performante dans tous ses segments d'activité. Reste que le système de la double caisse aménagée constitue, à mon humble avis, « le pire des systèmes à l'exception de tous les autres ».

Dans un article publié dans Les Échos il y a trois ou quatre mois, M. Xavier Fontanet imaginait une classe de mathématiques composée de deux élèves, l'un ayant une moyenne de 2 sur 20 et l'autre de 18 sur 20, et dont le professeur déciderait de mettre 10 à l'un et à l'autre. Dans ce cas de figure, poursuivait-il, tout le monde cesserait de faire des efforts… De même, avec un retour à la caisse simple, la pression à la rentabilité baisserait du jour au lendemain. Il n'y aurait plus d'incitation à construire des commerces, de l'immobilier ou des parkings. Ce serait « sous-optimal ». Or, le centre de correspondances longues, les salles d'attente très confortables, l'accès rénové par la RD 212, la mise à disposition du WiFi illimité ont aussi un coût, qui ne peut être pris en charge que grâce à une gestion performante. Nous verrons dans le troisième CRE ce qu'il est possible de mettre en oeuvre, sur le plan de la comptabilité analytique, pour favoriser le développement des compagnies, mais, dès aujourd'hui, le produit des parkings contribue au financement des activités régulées.

Je suis donc partisan d'un statu quo d'intérêt collectif. Les compagnies aériennes, en tout cas notre principal client Air France, comprennent la démarche. Quant à l'évolution des tarifs, j'admets que, depuis le deuxième CRE, les redevances ont augmenté de 8 % entre 2010 et 2012, mais elles ont augmenté dans le même temps de 12 % à Heathrow et de 20 % à Francfort. En accordant un indice 100 à Aéroports de Paris, les services aéroportuaires sont facturés au niveau 118 à Francfort ou au niveau 221 à Heathrow, aéroport congestionné il est vrai. Nous restons cependant, j'en conviens, plus chers qu'Amsterdam ou Madrid, en particulier pour les vols long courrier, mais nous nous efforçons de rééquilibrer nos tarifs, en nous fondant davantage sur le taux de remplissage de l'avion que sur sa capacité, afin de favoriser le développement de Charles-de-Gaulle comme plateforme de connexion.

Au rythme actuel, l'aéroport de Paris dépassera Londres dans cinq ans pour le nombre de passagers. Nous gagnons en effet deux millions de passagers par an, alors que les infrastructures de Heathrow tournent déjà à 99 % de leurs capacités. Or Londres accueille aujourd'hui 72 millions de passagers, tandis que nous n'en accueillons que 62 millions.

Aussi puis-je me réjouir de vous dire que des capacités sont encore disponibles à Paris, de sorte qu'un troisième aéroport ne devrait pas être nécessaire. Charles-de-Gaulle n'arrivera en effet arriver à saturation qu'en 2050, et la connexion aura été largement améliorée d'ici là avec les aéroports situés à moins d'une heure de Paris, c'est-à-dire Lille-Lesquin, Metz-Nancy-Lorraine ou Vatry. Que représentent trois quarts d'heure de TGV pour un voyageur qui va en Chine ? Pour Vatry, cependant, la perspective est peut-être un peu moins optimiste, car la liaison ferroviaire reste peu commode sur le dernier tronçon du trajet.

S'agissant des compagnies des pays du Golfe, c'est une prérogative de l'État que de décider si une compagnie doit jouir de droits de trafic. Aux yeux d'Aéroports de Paris, toutes les compagnies sont bienvenues dès lors qu'elles ont été agréées par l'Etat, et toutes sont traitées sur un pied d'égalité.

Mon premier client, Air France, bénéficie de tous les égards qui lui sont dus. Une semaine après mon arrivée, j'ai rencontré son président-directeur-général, qui m'a suggéré d'améliorer l'accès Est de Charles-de-Gaulle et d'y transférer le siège social implanté boulevard Raspail. Une fois revenu de ma surprise, j'ai dû convenir qu'il avait raison.

Les travaux d'aménagement Est menaçaient de prendre quatre à dix ans sans l'intervention d'Aéroports de Paris. Aussi ai-je décidé d'apporter les deux millions d'euros initialement prévus. L'État s'est montré fair-play et a apporté les deux millions d'euros supplémentaires qui se sont avérés nécessaires lorsque le coût total des travaux a été révisé à 4 millions d'euros. Ainsi sera inauguré en novembre 2014 un ouvrage financé à égalité par l'État et par ADP, selon une formule qui a permis de gagner beaucoup de temps.

Quant à la concurrence avec Francfort, nous ne la craignons pas, car la ville, malgré ses atouts considérables, n'est pas une destination touristique et ne bénéficie pas d'un bassin d'implantation aussi dense. Reste que, pour attirer les compagnies, nous devons pratiquer des tarifs bas, car le prix est le premier critère qu'elles prennent en compte.

Monsieur Christophe Bouillon, vous avez raison d'aborder le problème des nuisances sonores, qui peuvent en effet être diminuées à la source ou par des protections accrues, parfois très sophistiquées. La réduction à la source relève des constructeurs d'avion. J'ai vu récemment voler le nouvel avion électrique qui fait aussi peu de bruit qu'un séchoir à cheveux. S'agissant de la protection, nous nous efforçons de gérer au mieux la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA). La situation de trésorerie étant actuellement difficile, il serait opportun de rétablir un ticket modérateur, ne serait-ce que de 20 %, afin de responsabiliser les acteurs et d'engager les dépenses là où elles sont le plus nécessaires.

Enfin, à l'instigation de l'ACNUSA, nous avons mis à l'étude une alternance des vols de nuit entre les zones nord et sud de Charles-de-Gaulle. Nous la mettrons volontiers en oeuvre si elle est techniquement possible.

Quant à nos capacités d'augmentation du trafic, je voudrais souligner que notre objectif reste d'attirer plus de compagnies aériennes, à un rythme supérieur à la croissance du marché, elle-même supérieure à la croissance du produit intérieur brut.

En vertu d'un agrément de l'État, Vinci, actionnaire à 8 % d'Aéroports de Paris, siège en effet à son conseil d'administration. Les dispositions du règlement intérieur sur le conflit d'intérêt permettent de prévenir toute confusion. Dans ce contexte, l'opération réalisée en commun à l'aéroport de Santiago donne l'occasion aux deux entreprises d'approfondir leur compréhension réciproque.

Monsieur Jean-Christophe Fromantin, l'intermodalité est un enjeu capital pour Orly et pour sa gare TGV, dont l'emplacement sera primordial. Il faut qu'elle soit située au-dessus d'Orly Sud, et non à la gare de Rungis, située à un kilomètre : c'est peu, me dira-t-on, mais c'est en fait décisif. C'est un point que vous pourrez surveiller à travers la mission sur l'exposition universelle 2025, qui a mis en effet en évidence le problème de la liaison de Paris avec ses aéroports.

Soucieux de solidarité, Aéroports de Paris a porté de 5 % à 6 % la part de ses salariés handicapés. Antérieurement, j'avais fait passer cette proportion de 2 % à 6 % à la Caisse des dépôts et consignations. Mais la perception de l'accueil et du service n'est pas toujours ce qu'on imagine.

Ainsi, nous avons recueilli des réactions négatives après avoir fait arborer à notre personnel d'accueil des écharpes orange portant, dans toutes les langues, la mention : « Heureux de vous accueillir. » Des voyageurs à l'esprit moqueur n'ont pas hésité à le tourner en dérision devant leurs enfants, car le mot de « service » reste trop souvent, dans notre pays, associé à celui de « servitude ». Malgré des intentions excellentes, le recours à du personnel handicapé pour assurer l'accueil pourrait être ainsi être interprété comme une intolérable exploitation.

D'une manière générale, Aéroports de Paris emploie 1 700 personnes pour la prise en charge les personnes handicapées à mobilité réduite. Le handicap est donc un secteur où l'entreprise est très active.

L'aéroport de Doha n'est qu'un petit hub, même s'il est plutôt grand par rapport à la taille de la ville. Il est donc fort possible, madame Catherine Quéré, que vous n'y ayez vu que des avions de la compagnie nationale du Qatar, mais d'autres y sont également présentes. D'une manière générale, cette situation doit nous inviter à réfléchir au maintien de conditions de concurrence égales entre les compagnies aériennes, au regard de la tarification des différentes installations aéroportuaires qu'elles utilisent.

S'agissant du dossier de Notre-Dame-des-Landes, Aéroports de Paris n'y est pas du tout impliqué et je pourrai me contenter de cette réponse, comme on me le suggère (Sourires). Il me semble cependant que le projet a souffert de ce que la croissance du trafic aérien s'est révélée moins rapide que prévu. Il n'en demeure pas moins que Nantes est aujourd'hui très exposée au bruit et que le développement d'un nouvel aéroport serait de ce point de vue bénéfique à l'environnement, mais également avantageux pour le développement économique de la Bretagne et des Pays de la Loire, sans pour autant « voler » de clientèle à Aéroports de Paris.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion