Intervention de Laurent Fabius

Séance en hémicycle du 4 juillet 2012 à 15h00
Débat sur les résultats du conseil européen des 28 et 29 juin 2012

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Aujourd'hui, nous allons discuter de l'important sommet européen qui a eu lieu la semaine dernière. Je vais essayer d'abord de vous en décrire les résultats dans les grandes lignes, ensuite de répondre à une question légitime qui a été posée par les commentateurs – qui a gagné, qui a perdu ? – et, enfin, d'en examiner les suites.

Ce sommet, sommet européen traditionnel, qui avait été précédé de dix-sept ou dix-huit sommets censés mettre fin à la crise, ce qui, malheureusement, nous le savons, n'a pas été le cas, a été, comme tous les sommets, l'occasion de discussions extrêmement profondes. Des résultats ont été obtenus, que je veux résumer devant vous.

Le premier, qui a fait les grands titres des journaux, à juste titre, c'est que, pour la première fois depuis des années, a été conclu un pacte de croissance et d'emploi, l'une des revendications, vous le savez, du candidat François Hollande, devenu depuis Président de la République française.

Ce pacte de croissance est composé de plusieurs éléments.

Il comprend d'abord une augmentation du capital de la Banque européenne d'investissement. C'est une banque assez discrète mais fort importante parce qu'elle permet de réaliser toute une série d'investissements publics dans vos collectivités. Il a été décidé, sur proposition notamment de la France, que cette Banque, qui manquait de fonds propres, pourrait être recapitalisée à hauteur de 10 milliards d'euros ; Cela signifie qu'à partir du moment où ces fonds auront été versés, avant la fin de l'année, elle pourra consentir un certain nombre de prêts. On estime à 60 milliards d'euros les sommes disponibles, lesquelles, par un effet multiplicateur de partenariat, pourront aboutir à engager 180 milliards d'euros de crédits nouveaux, qui, chacun en conviendra, seront bien utiles à l'investissement dans notre pays au moment où tant de difficultés nous assaillent.

Dans le même ordre d'idées, des fonds structurels étaient disponibles, soit 55 milliards d'euros. Il a été décidé que ces fonds, qui n'étaient pas encore engagés, seraient réorientés. Les différents pays d'Europe pourront donc disposer de 55 milliards d'euros pour la croissance.

Le troisième élément n'est pas sans importance malgré son caractère expérimental pour le moment. Il s'agit de ce que les Anglais appellent les project bonds, c'est-à-dire des emprunts pour financer des projets. D'un montant de cinq milliards d'euros, ces fonds peuvent être utilisés pour des choses aussi importantes que les économies d'énergie ou les transports, bref ce qui favorise l'investissement et assure l'amélioration de la vie dans nos régions et dans nos départements.

Ce ne sont pas les seuls éléments décidés en faveur de la croissance.

Dans le même esprit, même si cela semble un sujet différent, une affaire traîne – je peux en témoigner – depuis plus de vingt-cinq ans : la mise en place du brevet unitaire européen, qui butait sur des querelles techniques et politiques, a été résolue. Elle l'a d'ailleurs été dans l'intérêt de la France, car le siège de l'organisation y sera principalement situé et son premier président sera français. Le problème du brevet européen, sous réserve des dispositions que devra prendre le Parlement européen, peut donc être considéré comme réglé.

Enfin, un sujet auquel nous sommes tous sensibles : la fameuse taxe sur les transactions financières, dont on avait tellement parlé et qui avait donné lieu à tant de commentaires. Elle a été décidée dans son principe, non pas pour l'ensemble des pays de l'Union européenne puisque des pays n'en veulent pas, mais sous forme de coopération renforcées dès lors que neuf États – ils y sont déjà disposés – auront pris la décision d'instituer cette taxe, laquelle répondra utilement aux besoins.

Si vous additionnez l'ensemble de ces mesures – 180 milliards d'euros par le biais de la Banque européenne d'investissement, 55 milliards au titre des fonds structurels, 5 milliards pour les project bonds, l'influence de la taxe sur les transactions financières et le brevet européen –, vous parvenez à adopter ce qui est expressément appelé « pacte d'emploi et de croissance » sous la forme d'une décision. Dans le vocable européen, la décision signifie quelque chose ; ce n'est pas la même chose qu'une recommandation ou qu'une résolution.

Cette décision, qui doit se traduire en termes concrets, à condition que le gouvernement français, les régions, les départements et les communes présentent des demandes dans les mois qui viennent, permettra un soutien fort utile à la croissance et à l'emploi dans notre pays.

Voilà pour la première partie qui correspond à une demande, de la France ai-je dit, mais pas seulement. De nombreux pays ont pris le relais de cette demande française, certains d'une manière inattendue. C'est l'un des principaux succès de ce sommet des 28 et 29 juin.

Deuxième résultat fort utile qui va dans le même sens, me semble-t-il : nous avons pu débloquer non pas toute la crise financière, ce serait illusoire de le dire, mais une part importante de celle-ci en prenant des dispositions qui là aussi semblent être techniques, et le sont, mais qui ont une traduction concrète que je vais essayer d'expliquer.

L'une des difficultés rencontrées tenait à ce que certaines banques manquaient de capitaux. Ce sont les entreprises et les particuliers qui subissaient les conséquences du manque dont étaient victimes les banques. Il a été rendu possible de recapitaliser les banques sans passer les États comme c'était le cas auparavant. La mobilisation des États créait un cercle vicieux : l'argent émis par eux pour la recapitalisation donnait lieu à un surcroît de déficit qui avait pour conséquence l'augmentation des taux d'intérêt.

Grâce à cette décision qui demandait de l'audace et était réclamée depuis longtemps, notamment par la France, au lieu de passer par les États le fonds européen de stabilité financière et le mécanisme européen de stabilité pourront demain recapitaliser directement les banques. Cela permettra de faire face aux exigences financières sans augmenter les déficits et de favoriser ainsi une baisse des taux d'intérêt.

Parallèlement, des dispositions ont été prises – nous entrons là dans la technique des techniques – pour corriger une erreur, car à tout le moins une décision prise précédemment était une erreur. En vertu de celle-ci, le mécanisme européen de stabilité était prioritaire pour l'exigibilité des créances. Cette mesure en apparence positive pour ces fonds avait en réalité pour conséquence de dissuader les autres prêteurs – les fonds d'investissement privés – d'accorder des prêts au fonds actuel et, demain, au mécanisme. Ces créanciers privés n'avaient pas l'assurance d'être remboursés en cas de faillite du fait de la garantie de premier rang des États. Il était par conséquent difficile de trouver les fonds nécessaires. Il a donc été décidé de permettre des émissions de créances, directement et sans accorder – c'est le terme technique – de privilège de séniorité.

Dernier élément en matière financière, il a été décidé, c'est important, que le fonds de stabilité financière puis demain le mécanisme européen de stabilité, par l'intermédiaire de la Banque centrale européenne, pourraient plus aisément souscrire directement des obligations, allégeant ainsi les contraintes des États.

Autre perspective importante, il a été décidé dans le même mouvement de mettre en place un système de supervision bancaire. Jusqu'à présent, la surveillance des banques n'a pas été, on peut le dire, très efficace comme en témoignent les difficultés espagnoles notamment. Cette supervision, assurée pour l'essentiel par la banque centrale européenne, permettra de s'assurer que les banques ne se livrent pas à des opérations de cavalerie.

En plus du pacte de croissance, la deuxième série de décisions importantes institue donc en matière financière un régime beaucoup plus sécurisé qu'il ne l'était par le passé.

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