Intervention de Jean Lassalle

Séance en hémicycle du 7 juillet 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Lassalle :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, je suis heureux de participer à ce débat. Lors de la première lecture de ce texte, j’effectuais une autre « mission ». Elle m’a permis de me rendre compte combien ce problème tenait au coeur de nos compatriotes.

J’ai vu la dépouille des 750 000 emplois industriels, et les larmes que leur disparition a fait couler. J’ai vu le désespoir de ceux qui ne croient plus que la France est égale pour tous. J’ai vu des hommes pleurer au soir de leur vie, parce que, alors qu’il s’était toujours trouvé un frère, un beau-frère, au moins un cousin pour reprendre l’exploitation, malgré et au-delà de toutes les guerres qu’a connues notre pays, ils seraient ce coup-ci les maudits, les fossoyeurs de ce qu’avait été le berceau de tant de générations.

J’ai été surpris, car ceux-là n’étaient pas, comme je m’y attendais une fois de plus, installés en zone de montagne, cette agriculture dont Mme la députée de l’Ariège, présidente de l’ANEM, l’Association nationale des élus de la montagne, a parlé de manière exceptionnelle tout à l’heure à la télévision et je ne vois rien à retirer de ses propos. Monsieur le ministre, si vous pouvez faire ce qu’elle a annoncé, cela changera bien des choses : ainsi le paysan – souvent une femme d’ailleurs – qui souhaite reprendre l’exploitation familiale se sentira-t-il à nouveau responsable et aura-t-il le sentiment de tenir un peu de destin entre ses mains. Ainsi cela évitera-t-il à mon frère de bientôt cinquante-cinq ans, qui exerce un travail formidable sur une AOC pourtant connue, élève 400 brebis et travaille vingt heures par jour de ne pas gagner, et loin de là, le SMIC. Et combien comme lui ?

Non, j’ai trouvé en pleine zone céréalière, ce que je n’aurais jamais imaginé : des hommes, qui, bien que cousus d’or – ils ne l’ont pas démenti – sont désespérés, car ils n’ont pas trouvé de successeur. J’ai rencontré un trader, qui m’a expliqué, sur le ton de la confession, comment il avait acheté, en guise de placement, des milliers d’hectares, avant de « laisser un peu la paix à la France » et de se tourner vers la Pologne et la Roumanie où ils sont meilleur marché.

Mais ce que j’ai entendu de ce texte m’a encouragé – je n’en suis pas, loin de là, à la première loi sur l’agriculture !

Chemin faisant, j’ai traversé votre Bretagne, alors tendue comme un arc, dans son destin hésitant. Et j’ai vu la sagesse d’hommes d’exception, qui ont su prendre la bonne décision quand il était encore temps. Mais surtout, j’ai vu ceux qui avaient fondé une très grande partie de l’histoire de notre pays, à terre, sans espoir de lendemain, combattus par ceux-là mêmes qu’ils attendaient comme défenseurs.

Je me suis dit que si nous étions inspirés – et j’ai de l’espoir en regardant votre texte –, si nous pouvions orienter différemment l’action des préfets et des DDTM, les Directions départementales des territoires et de la mer, au lieu de leur donner cette mission incroyable de pourchasser les paysans, tels les derniers des contrôleurs, alors qu’ils ont été pendant des décennies à leurs côtés pour les aider, cela changerait bien des choses.

Je me suis dit que si l’on allait plus loin encore, si nous donnions un visage de responsabilité, de conscience universelle, de conscience du terrain, à ces hommes et à ces femmes, épris de liberté, mais qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts, si nous leur donnions un nouvel élan, peut-être arriveraient-ils à convaincre leur fils, plus souvent devant internet et ses jeux étranges que sur le tracteur.

C’est un élan, un souffle qu’il faut donner, un futur partagé. Une formidable histoire en renaîtra. Pour ma part, je la verrais un peu moins « verte », un peu moins doctrinaire, un peu plus partagée, avec cette vieille idée que nous sommes en train d’oublier, la gestion en bien commun.

Monsieur le ministre, ce texte est un petit pas de plus – plus grand, peut-être, qu’on ne le croit – sur cette route qui devrait nous permettre de reconstruire, et c’est sans doute la dernière chance, une agriculture et une paysannerie dignes de la France !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion