Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Réunion du 18 juin 2014 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, ARCEP :

Sur la question des zones blanches, la loi est intervenue afin de contraindre les opérateurs à mutualiser leurs réseaux pour assurer une couverture 2G dans ces secteurs peu peuplés. Cela concerne maintenant la 3G. Un accord entre les trois opérateurs présents – avant l'arrivée de Free – est intervenu dans ce sens, mais nous constatons un arrêt de la couverture des zones blanches depuis deux ans, ce que vous avez sans doute ressenti dans vos territoires.

Dans l'intervalle, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition législative qui prévoyait le pouvoir de sanction de l'ARCEP. Nous l'avons, depuis, presque récupéré : une ordonnance a été prise, mais le décret d'application n'est pas entré en vigueur. Tant que nous ne pouvons pas sanctionner, nous nous limitons à lancer des enquêtes administratives, notamment en direction des quatre opérateurs mobiles. Nous enquêtons sur pièces, sur place, à la demande, afin de savoir les raisons qui motivent cet arrêt de déploiement de la couverture dans les zones blanches. Si cela est nécessaire, nous mettrons en demeure, puis nous sanctionnerons les opérateurs. Alternativement, nous pouvons mettre en oeuvre un pouvoir réglementaire unilatéral afin de les contraindre. Mais notre autorité dépend aussi de la signature et de la publication du décret.

Sur le plan « très haut débit fixe », le montant global des investissements atteint 20 milliards d'euros, un chiffrage convergent entre le Gouvernement, l'ARCEP et la DATAR. Sur ces 20 milliards, deux tiers seront d'origine privée, et le dernier tiers sera financé par des fonds publics : le fonds de péréquation, au niveau national, pour aider les territoires les moins denses, et au niveau local, les collectivités territoriales.

Trois types de zones ont été identifiés : une zone, la plus dense, urbaine, où aucune difficulté de déploiement n'est à signaler, et où il existe même une concurrence sur les infrastructures ; une zone où le déploiement est peu rentable, et suppose l'intervention – volontaire – des collectivités territoriales ; une zone intermédiaire, appelée AMII dans les précédents plans, où le déploiement se fait essentiellement via des fonds privés, car il est rentable.

Cependant, quelles garanties avons-nous, pouvoirs publics, que les opérateurs privés respectent leurs engagements sur les zones AMII ? C'est un vrai sujet, car en matière de réseau fixe, à la différence du réseau mobile, une autorisation administrative est nécessaire, en contrepartie de laquelle les opérateurs ont des obligations juridiques. Mais il faut les contrôler.

Sur les réseaux mobiles, le régime juridique est celui de la liberté de déploiement et d'exploitation : aucune autorisation n'est nécessaire, et un opérateur n'a pas d'engagements de nature juridique à tenir. Mais lorsqu'il rend public, parfois à renfort d'une grande campagne de communication nationale et locale, une offre très ambitieuse de déploiement de réseau, je pense que, politiquement, moralement et déontologiquement, c'est bien un engagement qu'il contracte, vis-à-vis du pays, de ses citoyens et de ses élus. C'est une opinion que j'exprime en tant que citoyen, non en tant que président de l'ARCEP.

Mais ne faisons pas de procès d'intention en avance. Le Gouvernement, dans son rôle de régulateur, doit regarder si le déploiement du très haut débit est effectif dans ces zones AMII, dans les délais que les opérateurs ont indiqués. L'ARCEP est très vigilante sur ce point.

Sur le sujet de la fusion entre Numericable et SFR, son impact sur l'équilibre difficilement trouvé sur le déploiement dans les zones AMI a été analysé par la mission « très haut débit » du Gouvernement, avec l'ARCEP et avec l'Autorité de la concurrence. L'ordre de grandeur de cet impact sur les 20 milliards d'euros d'investissements du déploiement du très haut débit est chiffré de 300 à 500 millions d'euros. C'est environ 2 % du total, ce qui n'est pas négligeable sans être non plus exorbitant : ces investissements, qui devaient se faire dans certaines zones, pourraient plutôt être réalisés dans d'autres, plus rapidement, en raison de l'accélération de l'opticalisation du câble.

En effet, à l'issue de la fusion avec Numericable, SFR devrait se concentrer en priorité le réseau câblé et opticalisé avant de déployer la fibre sous le mode fiber to the home (FTTH), sur lequel il avait pourtant pris des engagements. Cela entraîne d'autres mouvements : Orange pourrait remanier ses choix de déploiement pour ne pas être pris de court dans les zones où SFR et Numericable accélèrent.

Nous suivons cette évolution de près. Le ministre Arnaud Montebourg vous a également confirmé qu'il veillerait à ce que les engagements pris par les opérateurs soient respectés.

Sur la question de l'emploi, il existe une tendance de longue période : l'emploi direct des opérateurs de télécoms baisse. Les entreprises de télécoms sont une industrie, et en cela elles réalisent d'importants gains de productivité. L'enjeu est de pouvoir accroître leur volume d'activités et de se diversifier pour compenser l'effet de ces gains de productivité sur l'emploi.

La tendance était cependant, jusqu'en 2009-2010, avant l'arrivée de Free, une suppression annuelle de 3 000 emplois en France – à comparer aux 500 000 emplois détruits aux États-Unis, suite aux concentrations massives du secteur. Entre 2010 et 2013, l'emploi est resté stable, et en 2013, la baisse a repris. Les questions que l'on doit se poser aujourd'hui sont, d'une part, s'il s'agit d'une baisse qui reprend sur un rythme tendanciel, après une stabilisation due à la stratégie d'emploi 2011-2012 de France Télécom, et d'autre part quelle a été l'incidence de l'arrivée de Free sur l'emploi : s'il a créé de l'emploi, la concurrence d'un quatrième opérateur se ressent sur les effectifs des trois autres. On peut avancer que, sans l'arrivée de Free, la baisse de l'emploi aurait de toute manière eu lieu, mais sans la baisse des prix que l'on a observée.

Le bilan est finalement plus politique que technique, et il a été tiré par le Gouvernement fin 2008 : l'arrivée du quatrième opérateur était nécessaire pour débloquer le caractère oligopolistique du secteur, et la rente qui en découlait.

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