Intervention de François Asensi

Séance en hémicycle du 19 juin 2014 à 9h30
Politique de développement et solidarité internationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un monde où les écarts de richesse entre les populations des pays du nord et du sud ne cessent d’augmenter, l’aide publique au développement joue un rôle fondamental pour corriger les excès de la mondialisation et oeuvrer pour un monde plus juste et plus égalitaire.

La crise ne doit en aucun cas servir de prétexte pour réduire l’ambition et la portée de notre aide publique au développement. Celle-ci est nécessaire au progrès économique et à la satisfaction des besoins fondamentaux des populations locales.

Ce projet, qui arrive aujourd’hui au terme du processus législatif, poursuit une ambition légitime : inscrire la politique d’aide au développement française dans une loi de façon à donner un cadre pérenne à cette politique. Il répond en cela aux exigences des acteurs français du développement, ONG, fondations, collectivités territoriales, qui attendaient des avancées en termes de transparence et de lisibilité de notre aide.

Ce projet va dans la bonne direction. Plusieurs éléments positifs sont à mentionner. Tout d’abord, le texte énonce des objectifs et principes auxquels nous ne pouvons que souscrire : la lutte contre la pauvreté, pour la promotion de la paix, du développement durable, de l’égalité homme-femme, pour un développement économique durable et créateur d’emplois dans les pays du sud. La priorité donnée aux pays les plus pauvres dans l’aide au développement française est évidemment tout à fait justifiée.

Je rejoins également le Gouvernement sur l’objectif visant à garantir plus de transparence à notre aide au développement. C’est une revendication de longue date des élus et des acteurs du développement, en raison de l’insuffisance de publications accessibles et lisibles. Nous avons besoin de connaître avec précision l’engagement financier de l’État, de savoir à qui profite l’aide au développement et selon quelles modalités. La publication d’un rapport remis au Parlement tous les deux ans afin d’évaluer l’efficacité et la transparence de l’aide est une avancée certaine.

On peut aussi apprécier l’effort de mise en cohérence de notre politique commerciale et industrielle avec les objectifs qu’entend poursuivre notre politique d’aide au développement. On ne peut ignorer l’impact économique néfaste des multinationales aidées par l’État qui font des pays du sud un immense terrain de chasse pour réaliser toujours plus de profits.

Il est tout aussi révoltant de voir l’aide publique au développement détournée de sa fonction première pour soutenir certains régimes politiques, pas toujours recommandables. L’exigence de cohérence est donc une nécessité absolue qui doit imprégner l’ensemble de nos politiques publiques à l’étranger.

Je tiens également à souligner que l’examen du projet de loi au Sénat a contribué à améliorer le texte sur plusieurs points. Je pense notamment au renforcement des instruments d’évaluation de l’aide publique au développement, avec la fusion des trois services existants aujourd’hui dans un nouvel observatoire indépendant des donneurs d’ordre.

Autre avancée : l’ajout dans le rapport remis au Parlement de l’équilibre entre les prêts et les dons ainsi que l’affectation du résultat de l’AFD, deux sujets qui cristallisent nombre de critiques à l’égard de notre politique d’aide au développement.

Enfin, j’approuve la reconnaissance dans ce texte du rôle des collectivités territoriales comme acteurs majeurs de la coopération. La coopération décentralisée crée un lien fort avec les pays du sud, en s’appuyant notamment sur les populations de notre pays issues de l’immigration. Cette solidarité internationale recueille l’adhésion de nos concitoyens et produit des résultats appréciables pour les populations des pays en développement, même si cette coopération n’a pas vocation à se substituer à la solidarité nationale.

Au-delà de l’affirmation de grands principes auxquels je souscris, le présent projet de loi ne donne pas une impulsion suffisamment forte à notre politique d’aide au développement. L’aspect programmation financière en est totalement absent. Quels moyens financiers seront alloués à l’aide publique au développement dans les prochaines années ? Le présent projet de loi ne répond pas à cette question.

La réalité est que notre pays ne cesse de réduire les budgets qu’il consacre à la solidarité internationale. Je rappelle que les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont diminué de 10 % en 2013 puis de 6 % dans la loi de finances pour 2014. L’objectif d’allouer 0,7 % du revenu national brut à l’aide publique au développement ne semble plus qu’un lointain souvenir. Cet engagement, maintes fois répété depuis les années soixante-dix, n’apparaît pas dans le projet de loi. Il n’est que mentionné de façon allusive au détour du rapport publié en annexe.

Le positionnement de l’Agence française de développement me paraît en outre contestable. « L’AFD est une banque et une agence de développement ». Cette expression utilisée par sa directrice générale, Mme Anne Paugam, lors de son audition par la commission des affaires étrangères, résume bien les travers de l’opérateur pivot de l’aide française au développement. Seulement 12 % des 7,5 milliards de financement octroyés par l’AFD ont été accordés sous forme de subventions. Une grande partie de l’activité de l’AFD consiste en fait à accorder des prêts à des pays émergents comme la Chine ou la Turquie qui n’en ont vraiment pas besoin et qui, de surcroît, concurrencent directement notre économie. Les pays les plus pauvres, notamment en Afrique subsaharienne, reçoivent quant à eux des subventions dérisoires. Ainsi, le Mali n’a bénéficié que de 8 millions d’euros de subventions de l’AFD en 2011, à rapporter aux 400 millions d’euros de l’opération Serval.

En même temps, on apprend que l’AFD réalise chaque année des bénéfices confortables. En dix ans, l’Agence a reversé 1,4 milliard d’euros d’excédents à l’État. Est-ce toujours dans l’esprit de l’aide publique au développement, ou est-ce la recherche de rentabilité qui finit par primer dans les choix faits par cette agence ? La question mérite d’être posée.

Enfin, le projet européen de taxe sur les transactions financières permettrait de dégager des moyens financiers importants en faveur de l’aide au développement. On parle de 30 milliards d’euros. Or cette taxe est actuellement plus que jamais dans l’impasse. Plus de la moitié des pays européens ne veulent pas participer au dispositif. Quand allons-nous enfin avancer sur cette question, ou plutôt les faire avancer sur cette question, véritable serpent de mer depuis plusieurs années ?

De même, la taxe sur les transactions financières votée en juillet 2012 par le Parlement français se trouve progressivement dévoyée. Seulement 10 % de son rendement finance le développement. Comme nous le redoutions, ces financements ne sont plus additionnels, puisqu’ils servent à masquer un désengagement budgétaire de l’État.

Un projet de loi sur l’aide au développement ne peut avoir de sens sans une refondation totale de nos orientations diplomatiques. Nous devons ainsi rompre définitivement avec la Françafrique et les logiques néocoloniales. Vous connaissez les positions du groupe GDR sur cette question, je n’insisterai donc pas sur ce point.

En dépit des réserves que je viens de formuler, le projet de loi relatif à l’aide publique au développement contient des avancées que nous ne sous-estimons pas. Attendu par les acteurs de la solidarité internationale, il constitue un premier cadre qui pourra ensuite être affiné, notamment sur l’aspect de programmation budgétaire. En conséquence, le groupe GDR votera ce projet de loi.

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