Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 9h30
Lutte contre l'apologie du terrorisme sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui présente un intérêt certain : elle est liée à une actualité incontournable et, dans le même temps, elle se situe dans le prolongement d’un travail législatif commencé voilà bientôt dix ans.

Cette proposition procède tout d’abord d’une actualité incontournable. Il s’agit, comme cela vient d’être exposé par M. Larrivé, qui en est le rapporteur et dont je salue la constance en la matière, de définir de nouveaux outils adaptés aux formes également nouvelles que revêt le terrorisme dans un certain nombre de pays, dont le nôtre, et qui peuvent se résumer par le terme malheureusement très parlant de « cyberdjihadisme ».

Multiplication de sites internet présentant des scènes de plus en plus violentes, parfois insoutenables, mais procédant aussi et parfois simultanément à une pédagogie du crime terroriste ; développement de réseaux sociaux qui jouent un rôle de plus en plus actif dans l’embrigadement, mais aussi le contact opérationnel et même la gestion de l’action terroriste, qu’il s’agisse de quitter le territoire français pour rejoindre des groupes fanatisés, en particulier aujourd’hui en Syrie, ou de procéder à des actions criminelles sur le territoire national lui-même ou sur des territoires proches ; tous ces effets de l’implantation croissante d’internet dans la vie collective et individuelle sont si rapides que les autorités en charge de la lutte contre le terrorisme se trouvent parfois démunies de moyens d’action suffisants et pertinents.

À vrai dire, ce n’est pas seulement ni même principalement la vitesse de propagation de ces nouvelles formes de communication qui est en cause, c’est aussi leur nature même. L’appareil de prévention administrative comme l’appareil de répression judiciaire sont parfois désarmés devant les stratégies d’évitement structurellement inscrites dans le fonctionnement d’internet, telles que la création d’un site miroir à la suite de la fermeture ou du blocage d’un site. Désarmés, ils le sont aussi devant le comportement de responsables de sites – fournisseurs d’accès ou hébergeurs – ou de gestionnaires de réseaux qui ne se pressent guère pour vérifier que les informations ou les communications en ligne qu’ils gèrent ne dépassent pas ce que devrait être le niveau de tolérance à l’atteinte portée à certains intérêts fondamentaux dans une démocratie, qu’il s’agisse de la sécurité nationale ou de la protection des personnes, en particulier des mineurs.

Quoi qu’il en soit, la vitesse de propagation du message fanatique, ainsi que la mise à disposition par internet de moyens de déplacement, de contact et d’embrigadement dans l’action la plus violente appellent aujourd’hui comme hier des réponses qui soient les plus adaptées et les mieux pensées possibles.

Ainsi que je le soulignais au début de mon intervention, la présente proposition de loi s’insère dans une séquence législative qui se déploie depuis près d’une décennie, puisqu’elle a commencé avec la loi anti-terroriste du 20 janvier 2006. Et si l’on dépasse le cadre de la lutte préventive, le dispositif judiciaire antiterroriste reposant, on le sait, sur l’incrimination pour entreprise à but terroriste avec centralisation des poursuites et du jugement remonte à 1986.

La séquence s’est prolongée avec la loi LOPPSI 2, puis avec le projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme présenté par le ministre de la justice d’alors, Michel Mercier, projet qui n’a pu voir le jour en 2012 et qui faisait suite à l’affaire Merah. Immédiatement ensuite, la loi anti-terroriste du 21 décembre 2012 présentée par le ministre de l’intérieur d’alors, Manuel Valls, prolongeait ce travail, comme cela vient d’être mis en évidence. Je tiens à souligner ici pour raccorder le fil que cette dernière loi ne marquait pas la fin de la séquence : le ministre avait clairement indiqué qu’il entendait poursuivre la réflexion sur les instruments nécessaires, notamment en ce qui concerne la cyber-intrusion permettant aux services de dialoguer sous pseudonyme avec des terroristes présumés. Le ministre souhaitait que la réflexion soit approfondie afin d’aboutir à des dispositions qui fussent à la fois opérationnelles et conformes à la Constitution.

Aujourd’hui, même s’il semble que, dans le cas de l’affaire Nemmouche et de la tuerie de Bruxelles, la relation personnelle que l’inculpé a développée en prison l’a emporté sur le rôle des sites ou des réseaux sociaux, la pertinence d’un renforcement du dispositif anti-terroriste prenant en compte le rôle d’internet reste de pleine actualité.

Que nous propose à cet égard la proposition de loi, entièrement consacrée à cette dernière question ?

Tout d’abord, l’article 1er comporte une disposition qui vise à étendre l’obligation faite aux fournisseurs d’accès à internet et aux hébergeurs de mettre en place des dispositifs de signalement de contenus illicites, obligation existant déjà pour les contenus faisant l’apologie des crimes contre l’humanité, incitant à la haine raciale et à la violence. Cette disposition est selon moi de bon aloi et ne semble pas excessive comparée aux autres éléments figurant déjà dans la loi. Le Gouvernement a d’ailleurs récemment marqué son intérêt pour cette disposition par la voix du secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

En revanche, le groupe SRC considère comme moins pertinent, du moins à ce stade de la réflexion, le blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme, ne serait-ce que parce que ce blocage est d’un contournement facile par la mise en place de sites miroirs et qu’il pose la question de la compensation. Sur ce dernier point, j’engage pour ma part le Gouvernement à poursuivre la réflexion pour trouver un jour un dispositif utile permettant la non-compensation du surcoût, par exemple en passant par une procédure de nature judiciaire ; je me tiens à sa disposition pour examiner une telle possibilité.

La proposition de loi vise également à créer un délit de consultation habituelle des sites faisant l’apologie du terrorisme. Sur ce point, je ne peux que remarquer la persistance d’un réel désaccord entre le groupe SRC et l’UMP.

Cette incrimination était en effet déjà prévue par le projet de loi Mercier et avait alors recueilli un avis non pas légèrement réservé mais profondément défavorable du Conseil d’État. Elle était ensuite revenue en discussion sous la forme d’un amendement déposé par le groupe UMP au cours des débats sur la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme de 2012, dont j’étais le rapporteur. Nous aurons l’occasion de rappeler les motifs très fermes de notre opposition à une telle disposition.

Enfin, les auteurs du texte proposent, notamment par la voie d’un amendement qui a été introduit lors de la discussion en commission des lois, de faciliter la cyber-intrusion. Nous pourrons, là encore, avoir un échange sur cette disposition dont les débats de la loi anti-terroriste de 2012 avaient montré tout l’intérêt. Toutefois, la pertinence du dispositif envisagé doit être évaluée, je dirais même soupesée, tant au regard des questions de constitutionnalité que celui-ci pourrait soulever que quant à son adéquation au but recherché. Le dialogue reste néanmoins ouvert sur ce point.

Dans son ensemble, cette proposition de loi comporte donc certaines dispositions qui demandent à être étudiées plus précisément, en particulier pour ce qui concerne l’intrusion active des services dans la communication en ligne. De même, il est nécessaire de s’assurer que les obligations nouvelles et assorties de sanctions qui seraient faites aux fournisseurs d’accès à internet et hébergeurs auront un effet véritable. Or, comme l’a exposé le ministre de l’intérieur devant la commission des lois lors de sa participation à la séance d’examen du texte le 4 juin dernier, une négociation ferme doit être conduite au niveau européen à ce sujet, faute de quoi le détournement de la loi nationale serait trop facile.

Il est très souhaitable de mettre les FAI et les hébergeurs devant leurs responsabilités. Pour ma part, je pense d’ailleurs que, en la matière, tout dispositif aussi contraignant que possible – dans les limites de la constitutionnalité – est souhaitable.

En ce qui concerne la maturité de certaines dispositions du texte, je note qu’une réunion contre le terrorisme djihadiste s’est tenue tout récemment, le 5 juin, entre le ministre Bernard Cazeneuve et son homologue belge sur l’élaboration de pratiques communes. Cette concertation a porté notamment sur les signalements dans le cadre du Système d’information Schengen, ainsi que sur les informations réciproques et la transmission à Europol de toute information utile permettant de mobiliser ses capacités d’analyse. Elle a aussi porté – je souligne particulièrement ce point, car nous étudierons tout à l’heure un amendement ayant trait à ce sujet – sur l’élaboration de pratiques communes quant à l’utilisation des données relatives aux passagers de lignes aériennes, dans le système du passenger name record, dit PNR.

Je n’évoquerai pas en détail, à ce stade, certains amendements qui ont été déposés très récemment – je pense notamment à l’amendement relatif à ceux que l’on nomme les « loups solitaires ». Néanmoins, mes chers collègues, cela montre bien qu’il est nécessaire de continuer à travailler sur ces dispositions.

Dans la mesure où un projet de loi doit être examiné en conseil des ministres avant la fin de la présente session – M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement vient à l’instant de nous le confirmer – et soumis au vote de notre assemblée dès l’automne,…

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