Intervention de Guillaume Larrivé

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 9h30
Lutte contre l'apologie du terrorisme sur internet — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, madame la vice-présidente de la commission des lois, mes chers collègues, les menaces terroristes qui pèsent sur l’Europe et sur la France sont une réalité que chacun, sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, doit avoir à l’esprit.

Nous savons que le premier danger vient, aujourd’hui, des divers avatars de l’islamisme radical armé, ce qu’il est convenu d’appeler le djihadisme. Il a frappé la France au coeur il y a deux ans, à Toulouse et à Montauban. Il a tué à nouveau, voici quelques semaines, au Musée juif de Bruxelles. Il peut frapper encore, demain ou après-demain. Nous en sommes avertis. Et nous savons que les menaces sont multiples.

Nous faisons face à une nébuleuse qui additionne les menaces du crime organisé transnational et celles des hybrides, mi-gangsters, mi-terroristes. Nous savons que des individus, par centaines, ont quitté la France pour mener un combat djihadiste en Syrie et que certains d’entre eux sont revenus sur notre sol. Nous savons aussi que chaque jour, chaque nuit, des esprits faibles sont manipulés et dévoyés par une propagande massive qui utilise tous les ressorts d’internet.

Il faut regarder la réalité en face : internet est aujourd’hui un vecteur majeur – non pas le seul, mais sans doute le premier – de la propagande djihadiste et par conséquent, le principal moyen d’endoctrinement d’individus susceptibles de se livrer, de manière isolée ou collective, à un attentat terroriste. Il est malheureusement très facile de trouver sur internet, par exemple, une revue en ligne diffusée par l’une des métastases d’Al Qaïda. Chacun peut y trouver un mode d’emploi très précis de fabrication de bombe et des conseils pratiques pour frapper la France. Il est également très aisé d’accéder, en quelques secondes, à des vidéos présentant, pour les glorifier, des scènes de décapitation par des djihadistes, d’ores et déjà visionnées par des dizaines de milliers d’internautes.

Il y a aujourd’hui urgence à réagir : sur internet, nos ennemis terroristes ont su investir un champ de bataille virtuel et psychologique, dont les conséquences sont, hélas, bien réelles et physiques, et sur lequel les démocraties ne sont pas suffisamment entrées. Face à la menace, notre devoir collectif est d’apporter des réponses opérationnelles et juridiques solides, aussi solides et efficaces que possible.

C’est dans cet esprit de responsabilité qu’au nom de l’ensemble du groupe UMP, j’ai l’honneur, avec mes collègues Éric Ciotti et Philippe Goujon, de vous proposer d’adopter dès aujourd’hui quatre mesures concrètes, directement inspirées du projet de loi qui avait été présenté dès avril 2012, sous l’impulsion du président Nicolas Sarkozy, par le gouvernement de l’époque et d’amendements présentés quelques mois plus tard par des députés de notre groupe, notamment Nathalie Kosciusko-Morizet, lors de l’examen à l’Assemblée nationale d’un projet de loi présenté par le ministre de l’intérieur de l’époque, Manuel Valls.

Première mesure : nous voulons renforcer les obligations de signalement qui pèsent sur les fournisseurs d’accès et les hébergeurs de sites internet.

Depuis dix ans, comme je l’ai rappelé devant la commission des lois, il existe un double dispositif de signalement d’un certain nombre de contenus illicites, de l’internaute à l’opérateur et de celui-ci aux autorités publiques. Nous proposons que ce dispositif de vigilance soit explicitement étendu aux contenus faisant l’apologie du terrorisme, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas en droit. Il faut que, demain, les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs de sites aient l’obligation de signaler aux autorités les sites faisant l’apologie du terrorisme. C’est le minimum minimorum que l’on puisse exiger d’eux.

Deuxième mesure : nous voulons donner la faculté, aux services du ministère de l’intérieur, d’obtenir le blocage, en France, de l’accès aux sites de propagande terroriste. Nous proposons un dispositif qui s’applique, aussi largement que possible, aux contenus à caractère public, qu’il s’agisse de sites internet classiques, de blogs, de forums de discussion, de plates-formes vidéo ou de pages de réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter.

La proposition de loi, et les amendements qui l’accompagnent, prévoient cette possibilité de blocage pour tous les contenus faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à des actes de terrorisme, et cela, quelle que soit la forme du message : il peut s’agir de vidéos bien sûr, mais aussi d’images fixes, de sons ou d’écrits. Il ne s’agit pas, par ce moyen, je le précise à nouveau, de chercher à obtenir la fermeture ou le retrait du contenu : cela est déjà possible en théorie, s’agissant d’un contenu illicite, mais très difficile en pratique, la plupart des sites en question étant hébergés à l’étranger.

Le blocage de l’accès est une mesure de police administrative, prise pour la sauvegarde de l’ordre public, ayant un caractère aussi opérationnel que possible : le site resterait actif, mais les internautes français n’y auraient plus accès. Quand ils chercheraient à se connecter, les utilisateurs seraient renvoyés à une page internet leur indiquant que le site qu’ils veulent consulter n’est pas accessible, car tombant sous le coup de la loi.

Concrètement, les fournisseurs d’accès à internet – Orange, Free, SFR, Bouygues, etc. – auraient le devoir de bloquer l’accès à une série de sites définie par le ministère de l’intérieur. Cette « liste noire », ciblée, serait actualisée autant que possible.

Il s’agit donc de donner aux services spécialisés un levier supplémentaire, souple et réactif, qu’ils pourraient utiliser de manière discrétionnaire, sous le contrôle naturellement du juge administratif. Dans certains cas, les services auront intérêt à laisser perdurer l’accès à des sites internet, afin de pouvoir recueillir des renseignements sur ceux qui les fréquentent et sur les projets qu’ils préparent. Mais dans d’autres cas, comme l’a explicitement reconnu le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, devant la commission des lois, il faut « couper le signal », afin d’éviter que la haine ne se propage massivement sur les réseaux.

Troisième mesure : nous proposons de créer un nouveau délit réprimant la consultation habituelle de sites internet incitant au terrorisme.

Cette mesure est juridiquement solide : elle respecte, en effet, l’équilibre nécessaire entre les exigences de la sauvegarde de l’ordre public et celles de la protection des libertés. J’ai rappelé devant la commission des lois que la Cour de cassation, saisie d’une disposition pénale très voisine, avait estimé en juin 2012 qu’il n’était pas nécessaire de saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Cette incrimination nouvelle nous paraît indispensable pour mieux repérer et sanctionner les individus en voie de radicalisation et de basculement dans la violence terroriste.

Cela serait très utile, en effet, face à des individus qui, parce qu’ils sont isolés, n’entrent pas, à ce stade, dans le champ du délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Il s’agirait ainsi d’un nouvel instrument de lutte contre les « loups solitaires », comme l’a relevé le juge antiterroriste Marc Trévidic, qui a indiqué, lors de son audition par votre rapporteur, qu’il était favorable à la création de ce nouveau délit de consultation habituelle d’un site incitant au terrorisme.

Cette incrimination permettrait, en outre, de mieux protéger les mineurs, qui sont les plus vulnérables aux stratégies d’endoctrinement. Ainsi un individu qui inciterait un mineur à se livrer à une telle consultation pourrait-il être poursuivi pour corruption de mineur. Quant au jeune mineur lui-même, une peine alternative pourrait lui être réservée, telle qu’un stage de prévention adapté permettant, face aux prêcheurs de haine, de développer un contre-discours.

Quatrième mesure : nous proposons de renforcer les possibilités de « cyber-patrouilles » pour lutter contre le terrorisme.

Il s’agit de policiers ou de gendarmes spécialement habilités qui peuvent intervenir sur internet, pour y constater la commission d’infractions, en participant à des discussions sous pseudonyme, en entrant en relation avec des personnes, en recueillant des données et des éléments de preuve, la seule limite étant est de ne pas inciter à la commission des infractions en cause. De tels moyens d’investigation ont été rendus possibles pour la lutte antiterroriste dès 2011, grâce à la LOPPSI 2. Ils permettent aujourd’hui, sous un régime de police judiciaire, de constater et de réprimer les infractions de provocation ou d’apologie du terrorisme. Nous souhaitons étendre cette possibilité à la répression du nouveau délit de consultation habituelle des sites internet faisant l’apologie du terrorisme.

Nous proposons, en outre, un amendement autorisant de telles cyber-patrouilles antiterroristes à des fins de police administrative, c’est-à-dire dans une optique préventive, afin de donner une base juridique plus solide à certaines pratiques et d’en améliorer le contrôle.

Mes chers collègues, au terme d’un débat de qualité, qui s’est tenu en présence du ministre de l’intérieur, la commission des lois n’a pas cru pouvoir adopter cette proposition de loi. À titre personnel, je le regrette. J’ai la conviction en effet que ce texte est nécessaire. Il pourrait bien sûr être amélioré lors de la navette parlementaire. Mais la procrastination n’est pas une solution. Chacun pourra convenir ici que le statu quo ne serait pas acceptable. Nous ne pouvons pas rester les bras ballants face à des dérives qui menacent directement la sécurité nationale. Il y a urgence à agir, sur le plan national bien sûr, mais aussi au sein des instances européennes, parfois trop velléitaires, et, au-delà, à l’échelle internationale, notamment transatlantique.

Je vous invite donc, au nom du groupe UMP, à adopter dès maintenant cette proposition de loi, pour placer la France à l’avant-garde du combat contre le cyberdjihadisme. Il est de notre devoir que d’être en pointe sur ce sujet d’importance majeure, pour lequel nos démocraties sont aujourd’hui, hélas, encore trop désarmées. Mes chers collègues, monsieur le ministre, chacun doit prendre ses responsabilités.

1 commentaire :

Le 13/06/2014 à 09:15, laïc a dit :

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Et pour ce qui est de la pornographie, sur-représentée sur internet, et d'un accès facile pour n'importe quel mineur depuis son smartphone ou autre, pas de précautions particulières ? La société du sexe et de la violence peut continuer à prospérer comme si de rien n'était ??

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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