Intervention de Georges Fenech

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 15h00
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

…puisque celles-ci dépendent, au mieux, du tribunal qui prononce la sanction et même plus vraisemblablement du juge de l’application des peines qui déterminera en pratique ces obligations, lesquelles évolueront dans le temps. En réalité, madame la garde des sceaux, cette contrainte pénale est un cadre vide dont le contenu dépend des mesures que le tribunal et surtout le juge de l’application des peines décideront ou non d’y mettre. Je vous pose la question : peut-on admettre qu’une personne soit condamnée à une peine d’emprisonnement suspensive ou différée dont elle ne peut connaître le quantum et qui, de ce fait, demeure indéfinie ?

Ce projet de loi viole, de ce fait, l’égalité des citoyens devant la peine. En effet, comment le juge déterminera-t-il des critères objectifs pour choisir entre l’emprisonnement, la contrainte pénale ou le sursis avec mise à l’épreuve, dispositif très proche de la contrainte pénale ? Vous n’inventez rien, madame la garde des sceaux. La contrainte pénale, ce n’est pas nouveau. Le sursis avec mise à l’épreuve, vous l’avez précisé, remonte à 1958. La confusion est, là, tellement manifeste que vous nous avez annoncé dans votre discours que vous alliez réformer le sursis avec mise à l’épreuve.

C’est ce que j’ai compris. Vous allez limiter le sursis avec mise à l’épreuve à des obligations fixes, claires et bien déterminées. Vous annoncez ainsi brutalement un amendement du Gouvernement tendant à réformer un sursis avec mise à l’épreuve applicable depuis 1958 et étendu en 1970 sans aucune étude d’impact préalable. On se demande véritablement si ce projet de loi a été vraiment étudié et pensé. Vous vous êtes surtout aperçue du risque d’inconstitutionnalité. Vous tentez alors aujourd’hui par un subterfuge – la réduction du SME à la portion congrue – de justifier l’existence de cette contrainte pénale.

Nous ne pouvons pas vous suivre dans ce qui relève véritablement, comme je l’ai dit en introduction, de la navigation à vue. Outre que la contrainte pénale est complexe et inconstitutionnelle, elle n’ajoute rien et se trouve en concurrence avec le SME. Il convient aussi de préciser que ce sursis avec mise à l’épreuve est un échec dans notre pays. Ce n’est pas moi qui le dis, mais vos services, madame la garde des sceaux, puisqu’il est précisé dans l’étude d’impact que, je cite : « Le sursis avec mise à l’épreuve est devenu une peine prononcée pour des motifs, parfois peu lisibles, souvent par défaut ou pour éviter une incarcération… »

On ne peut être plus clair. Une fois décrypté ce langage administratif, on comprend parfaitement que le SME est un échec et qu’il ne répond plus aux objectifs qu’il est censé remplir. La contrainte pénale ne faisant que reprendre ce dispositif en l’aggravant, en allongeant la durée de la probation, il faudra beaucoup de conviction et d’ingénuité pour penser qu’elle saura le suppléer. Madame la garde des sceaux, le fait qu’une telle réforme soit guidée par l’intention apparemment généreuse de réduire l’emprisonnement pour les catégories les plus difficiles de la population pénale ne doit pas conduire à renoncer aux principes fondamentaux de notre droit.

Souvenez-vous, madame la garde des sceaux, de l’avertissement de Montesquieu, lequel estimait à juste titre que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de sagesse en adoptant cette motion de rejet préalable.

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