Intervention de Jean-Jacques Guillet

Séance en hémicycle du 28 mai 2014 à 15h00
Débat sur les politiques européennes en matière de lutte contre le réchauffement climatique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Guillet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, j’ai été heureux de rédiger avec François de Rugy le rapport qu’il a évoqué tout à l’heure. Beaucoup de choses pertinentes ont déjà été dites, et je constate l’émergence d’un certain consensus sur les solutions que contient notre rapport, en particulier sur l’une d’elles.

Je ne voudrais pas aborder le problème énergétique qui est, en définitive, un sujet certes connexe, mais différent à bien des égards de la question du réchauffement climatique : l’énergie a sa dynamique propre, quand bien même elle doit être associée à la politique climatique.

Lorsque j’entends notre collègue Leroy dire que le futur commissaire en charge du climat devrait également traiter de l’énergie, je veux rappeler que l’Europe ne s’est pas saisie de façon globale des problèmes énergétiques : c’st d’ailleurs une des difficultés qui se pose à nous. Nous avons, d’un côté, une politique climatique dirigée, pilotée par l’Europe, et de l’autre côté des politiques énergétiques inévitablement pilotées par les États. On connaît l’origine de l’Union européenne, fondée au départ sur l’énergie : il faut le rappeler, comme vous l’avez d’ailleurs fait, monsieur le secrétaire d’État. Il n’empêche que les États ont tenu à garder leur souveraineté énergétique. Je ne dis pas que cela pose un problème en soi, mais cela induit une difficulté de coordination des politiques climatiques, qui devront être inévitablement indépendantes, d’une façon ou d’une autre, de la politique énergétique.

À l’approche du débat sur le projet de loi de transition énergétique – dont nous attendons avec impatience, les uns et les autres, de connaître le contenu, monsieur le secrétaire d’État –, il est intéressant,et je remercie à mon tour le groupe écologiste d’avoir demandé la tenue de ce débat, de nous pencher quelques instants sur la politique européenne sur le climat.

Remarquons tout d’abord que, sous l’impulsion des différents présidents de la République qui se sont succédé depuis de nombreuses années, la France a fait du climat, et de l’environnement en général, un des axes de sa politique étrangère et un des fondements de son approche multilatérale des relations internationales. N’oublions pas qu’il y a un lien direct entre notre approche de la politique climatique et notre vision des relations internationales, sur le plan multilatéral.

Cela s’est manifesté clairement lors des grandes conférences sur le climat qui se sont tenues ces dernières années, – quel qu’ait été leur aboutissement, souvent peu glorieux – au cours desquelles la France a été particulièrement active.

Je me réjouis que la prochaine conférence mondiale ait lieu à Paris en 2015, quand bien même, il faut le souligner, cela s’explique par l’absence d’autres candidatures : le fait que la France ait été la seule candidate à l’organisation de cette conférence atteste un certain désintérêt d’autres pays, ce qui, j’y insiste, est regrettable.

Face à l’échec du passage à la seconde phase des accords de Kyoto, l’Europe avait décidé de poursuivre une politique exemplaire, avec l’espoir d’être suivie par le reste de la planète. Force est de constater que, malgré quelques signes, et en dépit des rapports de plus en plus alarmistes des experts du GIEC, cela n’a pas été le cas.

Certes, le système européen d’échanges de quotas a été, incontestablement, plus ou moins copié à différentes échelles – mais des échelles régionales – ou est en voie de l’être, aux États-Unis, en Australie et même en Chine. Toutefois, la perspective d’une liaison entre les différents marchés du carbone est encore lointaine, alors qu’elle est absolument indispensable.

La crise économique a mécaniquement conduit à une réduction des émissions et a eu comme effet secondaire de conforter les États réticents dans leur position. Les deux principaux pays émetteurs, Chine et États-Unis, demeurent opposés à toute politique qui briderait la croissance à court terme, les Américains estimant de surcroît que l’innovation technologique suffira à résoudre les problèmes identifiés. Au fond, personne ne met aujourd’hui sérieusement en cause la réalité du réchauffement climatique.

S’agissant d’un problème planétaire, qui ne peut être évidemment résolu qu’à l’échelle mondiale, on peut se demander si, dans sa solitude, le caractère exemplaire de la politique climatique européenne est suffisant. L’impossibilité de faire adopter un système multilatéral contraignant amène tout naturellement à considérer qu’il faut user d’autres outils. Depuis plusieurs années est engagée la réflexion sur l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Union. Là aussi, la France, en 2009-2010, était moteur de ce processus. Cette taxation permettrait d’éviter le handicap que peut représenter pour notre économie – en particulier par les délocalisations – le fait de mener une démarche solitaire. Je n’insiste pas sur ce point : je crois que tout le monde, dans cet hémicycle, est à peu près convaincu.

On peut légitimement, dans ces conditions, se poser la question de savoir si la politique européenne sur le climat est adaptée à l’objectif que nous partageons tous.

Dans le rapport d’évaluation que nous avons déposé avec François de Rugy il y a une quinzaine de jours, nous constatons, à l’instar de la Cour des comptes, que la formalisation d’objectifs en termes d’émissions de gaz à effet de serre au niveau national n’est pas satisfaisante. En effet, le calcul en termes d’émissions nationales présente deux défauts : il n’incite pas les États à harmoniser leurs cibles d’efficacité énergétique et de carbone et favorise la délocalisation des productions intenses en carbone vers des pays moins exigeants.

Dans une économie mondialisée, on ne peut pas ne pas tenir compte de la réalité des échanges internationaux. Or, la notion d’émissions nationales ne tient pas compte du carbone importé. C’est pourquoi, si l’on veut apprécier fidèlement l’efficacité des politiques climatiques menées, éviter les « fuites carbone » que vous avez citées, monsieur le secrétaire d’État – c’est-à-dire les délocalisations liées aux écarts de politiques climatiques – et encourager le développement d’industries sobres en carbone dans tous les pays et non seulement en Europe, il serait préférable d’adopter une autre méthode que celle suivie actuellement. Il faudrait que l’Union européenne fixe un objectif unique – la réduction des gaz à effet de serre à l’échelle européenne – et que l’on raisonne au plan national en termes d’empreinte carbone : en effet, mesurer les émissions nationales ou l’empreinte carbone d’un pays aboutit évidemment à des résultats très différents.

Ainsi, pour la France, alors que les émissions de gaz à effet de serre produits sur le territoire national en 2005 pouvaient être évaluées à 410 mégatonnes de CO2, l’empreinte carbone s’élevait à 545 mégatonnes de CO2, puisqu’il faut ajouter les émissions liées aux importations, desquelles on retranche les émissions associées aux exportations.

En 2012, le Commissariat général au développement durable observait que le niveau moyen d’émissions avait diminué de 15 % sur le territoire national entre 1990 et 2007, alors que l’empreinte carbone avait, elle, dans le même temps, augmenté de 5 % : il y a incontestablement, de plus en plus, une distorsion entre l’évolution des émissions nationales et celle de l’empreinte carbone, qui évoluent en sens contraire.

L’adoption d’objectifs en termes d’empreinte carbone permettrait de résoudre la contradiction entre la politique climatique et la politique de croissance économique, et éviterait le télescopage, à certains égards – seulement à certains égards – entre les enjeux de sécurité énergétique et de politique climatique.

Monsieur le secrétaire d’État, je serais heureux, à l’instar de mes collègues, que le Gouvernement fasse sienne cette idée d’empreinte carbone et la défende devant la Commission et, évidemment, le Conseil européen.

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