Intervention de Jean-Claude Buisine

Séance en hémicycle du 5 novembre 2012 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Mission agriculture alimentation forêt et affaires rurales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Buisine :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'agriculture constitue un élément essentiel de la richesse de la France, en termes de valeur ajoutée, de créations d'emplois et de contribution à l'équilibre du commerce extérieur.

Créer les conditions pour que l'emploi se développe et soit plus attractif dans le monde rural est l'une des priorités du Gouvernement. Nous devons mettre en oeuvre des dispositions législatives qui aillent dans le sens du développement des territoires ruraux et de leurs activités économiques.

Je suis soulagé de constater que le Gouvernement est conscient de ce que représente la production laitière française. Génératrice d'emplois et de richesses, la filière laitière pesait en 2011 pour quatre milliards d'euros d'excédents dans la balance commerciale.

Dans mon département, la Somme, où le contexte est favorable à l'agriculture grâce au climat et à la qualité du sol, le nombre d'exploitations laitières est situé au-dessus de la moyenne nationale. Elles sont toutefois toutes confrontées au problème du renouvellement des générations. Alors que nous comptions 6 740 producteurs il y a trente-cinq ans, aujourd'hui à peine plus de 1 100 professionnels poursuivent cette activité. En termes d'effectifs, les spécialistes évoquent à ce sujet la règle du « moins 5 % par an », soit une division du nombre de producteurs par deux tous les dix ans.

Que ce soit au niveau national ou dans le département de la Somme, qu'elles soient petites ou moyennes, les exploitations ont toutes besoin du lait pour survivre. Or, depuis l'effondrement des cours en 2009, de grosses incertitudes demeurent notamment en raison du prix de l'alimentation animale qui est de plus en plus élevé. En effet, le coût de l'alimentation représente plus de 70 % des charges proportionnelles de l'atelier laitier. C'est donc sur ce poste que les marges de progrès sont les plus importantes, et c'est sur ce poste il faut agir en priorité. C'est en tout cas celui qui conditionne la rentabilité du troupeau ; il mérite toute notre attention.

Aujourd'hui de nombreux producteurs de lait se découragent. Au point que la chambre départementale de l'agriculture de la Somme enregistre près de quarante demandes de cessation d'exploitations laitières chaque année. En dix ans, le département a perdu 30 % de ses exploitations laitières.

Pour faire face à la crise, les exploitations s'agrandissent, atteignant des surfaces supérieures à 150, voire 200 hectares.

D'un cheptel de vingt vaches laitières il y a trente-cinq ans, une exploitation moyenne en compte cinquante et une de nos jours. Et si l'on avait alors au total près de 140 000 vaches laitières, le troupeau en compte seulement 59 000 en 2011.

En parallèle, les exploitants investissent beaucoup d'argent pour se moderniser. Ils robotisent leurs salles de traite. Certes, cette modernisation technique apporte une souplesse dans le travail mais l'investissement est tel que certains professionnels ont du mal à l'amortir. Les chiffres sont une nouvelle fois révélateurs de cette évolution puisqu'un éleveur samarien produit en moyenne 384 500 litres de lait par an contre 70 800 litres en 1977. Une vache laitière produit deux fois plus de lait aujourd'hui, 7 539 litres, qu'il y a trente-cinq ans, 3 540 litres.

La carte postale de la production de lait dans la Somme pourrait être idyllique si l'on prenait uniquement en compte la production ; malheureusement la main-d'oeuvre, essentiellement familiale, est insuffisante et se raréfie.

Si, demain, les producteurs laitiers ne parviennent pas à recruter des salariés qualifiés, qui maîtrisera l'application d'outils de traite techniquement de plus en plus modernes ? Hier, aucune qualification n'était réclamée pour traire une vache. Aujourd'hui, les professionnels recherchent des personnes qualifiées et compétentes pour les accompagner et, plus tard, pour leur succéder. C'est pourquoi l'accent doit être mis dès maintenant sur la formation et également sur la valorisation de cette filière à laquelle trop de jeunes, démotivés, tournent le dos : à peine dix jeunes se sont installés l'an dernier dans la Somme.

Je me réjouis toutefois des propos du ministre qui a réaffirmé récemment que l'installation des jeunes était l'une de ses priorités en confirmant l'objectif de 6 000 installations aidées l'an prochain et un crédit de 294 millions d'euros d'aides à l'installation.

Mais à une époque où l'on parle de déserts médicaux, il faut aussi évoquer le désert en matière d'apprentissage. Mes chers collègues, nous devons y mettre fin. Des directives et des moyens doivent être donnés aux établissements de formation afin qu'ils recrutent et forment les futurs producteurs laitiers. Sans cela, la filière lait en France n'aura plus d'avenir.

Aujourd'hui, l'on parle beaucoup au firmament du modernisme de fermes à 1 000 vaches, comme en Allemagne ou au Pays-Bas. Même si dans l'ouest de la Somme ce projet se réalise, il ne changera rien au devenir de la filière lait à moyen terme.

Bien évidemment, l'une des solutions à court terme pour les producteurs concerne le juste prix du lait. En 2012, la distribution a baissé son prix d'achat, tout en augmentant les tarifs pour les consommateurs. Un équilibre doit donc être trouvé pour que les marges soient réparties sur toute la filière.

Pour sauver la filière lait en France, nous devons offrir aux producteurs la possibilité de se doter d'une main-d'oeuvre qualifiée. Nous devons également trouver des solutions pour accompagner les petites exploitations qui n'ont pas les moyens de se moderniser ou de se regrouper. Il faut savoir que pour fusionner deux exploitations agricoles par exemple, il faut compter huit semaines chez nos voisins mais une année en France. En clair, la réduction des délais d'instruction des dossiers et des projets est un impératif pour préserver la capacité d'entreprendre des agriculteurs.

Car ce sont justement ces petits exploitants que personne n'entend qui, en 2010, étaient 56 000 à percevoir le RSA. Ce sont ces petits exploitants qui s'éteignent dans le silence, puisque cette catégorie socioprofessionnelle se suicide trois fois plus que la moyenne.

Bien qu'en 2012 l'agriculture occupe moins de 5 % de la population active française, notre nation doit demeurer une terre d'avenir, exemplaire et solidaire. Le Président de la République souhaite que l'agriculture en France soit défendue et qu'une politique ambitieuse lui soit réservée ; mettons tout en place pour y parvenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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