Intervention de Olivier Falorni

Séance en hémicycle du 29 avril 2014 à 21h30
Activités privées de protection des navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Falorni :

En dépit du déploiement significatif de forces navales nationales et internationales, elle demeure de fait une menace réelle contre laquelle nous ne parvenons pas à lutter globalement avec les moyens publics. Activité entrepreneuriale parfois reconnue voire réglementée par les États au cours de l’Histoire, la piraterie est aujourd’hui un modèle d’entreprise à risque particulièrement attrayant en raison d’un coût d’entrée faible et d’un gain potentiel énorme. Elle s’est professionnalisée au point de devenir une véritable filière économique internationale s’appuyant sur des réseaux en partie légaux, tels ceux des intermédiaires chargés de la négociation des rançons, ainsi que sur la criminalité organisée. Elle entretient également des collusions avec les groupes terroristes avec lesquels elle interfère localement.

Le renouveau de la piraterie maritime résulte de la convergence de plusieurs facteurs, au premier rang desquels la réduction des capacités de contrôle des espaces maritimes par les grandes puissances navales depuis la fin de la guerre froide, l’augmentation du trafic maritime et des échanges internationaux, l’affaiblissement des États et l’instabilité politique accrue autour de voies maritimes vitales. Ainsi, c’est dans le détroit de Malacca et au large de la corne de l’Afrique, le plus souvent dans les eaux territoriales des États riverains, que près de 80 % des attaques comptabilisées entre 2000 et 2006 ont été commises. La piraterie maritime connaît une résurgence et une croissance importante depuis les années 1990. Elle fait peser une menace réelle sur les navires de haute mer. Ainsi, plus de 4 000 actes de piraterie ont été recensés entre 1990 et 2010.

En 2013, près de 264 actes de piraterie ont été constatés. Si le chiffre est globalement en baisse, certaines zones géographiques subissent une croissance importante de tels actes. La situation a d’abord été critique dans le détroit de Malacca il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, les problèmes se concentrent en Asie du Sud-Est, dans le golfe d’Aden et dans le golfe de Guinée. Selon les estimations de la Banque mondiale, le montant des rançons versées aux pirates entre 2005 et 2012 dans le seul golfe d’Aden s’élève à un demi-milliard de dollars. Il s’agit donc d’une activité lucrative contre laquelle nous devons trouver les moyens de lutter plus efficacement. Par l’arrêté du 22 mars 2007, l’État français met à disposition des propriétaires de navires exposés à des risques de piraterie des équipes de protection embarquées.

De plus, la résolution numéro 1918 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l’unanimité en avril 2010, demandait à tous les États « (d’)ériger la piraterie en infraction pénale dans leur droit interne, (d’)envisager favorablement de poursuivre les personnes soupçonnées de piraterie qui ont été appréhendées au large des côtes somaliennes et (de) les incarcérer ». Ces attaques sont très souvent violentes, nous sommes donc conscients qu’il est impératif d’agir pour la prévention des atteintes physiques et psychologiques que les marins subissent. La piraterie maritime a également des conséquences économiques lourdes pour les armateurs. Les pertes financières sont évaluées à environ 10 milliards de dollars chaque année. N’oublions pas que 90 % du transport de marchandises transite par voie maritime : sa sécurisation doit donc rester une priorité.

Aujourd’hui plusieurs mesures existent. Tout d’abord, le signalement volontaire de la présence d’un navire dans une zone à risque auprès de centres dédiés par les autorités publiques. Ensuite, la mise en place de mesures passives et non létales de nature à faire obstacle à la prise du navire, conformément aux recommandations de l’Organisation maritime internationale. Enfin, la mise en oeuvre d’une procédure d’analyse de risque appropriée au navire et au voyage considéré. La protection armée proposée par le présent projet de loi a pour objet de compléter ces mesures.

Les forces engagées aujourd’hui sont de deux ordres. Premièrement, les forces navales engagées dans les opérations conduites à l’initiative de l’Union européenne ou sous l’égide de l’OTAN. Deuxièmement, la mise à disposition d’équipes de protection embarquées de la marine nationale, qui assurent la protection des intérêts français dans les zones dangereuses. Au total, c’est un effectif de 152 militaires de la marine nationale qui est engagé dans cette mission.

Mais la mobilisation de ces forces armées françaises ne suffit pas pour répondre à la totalité des risques encourus par les marins et les armateurs. Cette mobilisation se heurte aussi à des contraintes d’ordre logistique, ainsi qu’à des contraintes d’ordre diplomatique. En effet, les délais commerciaux très restreints des professionnels nécessitent une réactivité accrue des forces de sécurité. Actuellement, l’État répond à environ 70 % de la trentaine de demandes reçues chaque année – ce chiffre ne prenant pas en compte les demandes non formulées. Nous sommes donc bien conscients que ce projet de loi répond à un réel besoin permettant de mettre en place un cadre légal nécessaire, autorisant et encadrant le recours à des services de protection privée des navires.

Le recours à des forces privées pour la protection des navires est courant chez nos voisins européens. Ce projet de loi s’inscrit donc dans un mouvement généralisé à de nombreux pays. Aussi bien en Belgique qu’à Chypre, en Allemagne, en Grèce ou encore en Espagne, la présence d’entreprises privées armées à bord des navires nationaux est autorisée. Il y a donc un impératif de compétitivité et d’attractivité pour le pavillon français. En effet, certains armateurs, dont les bateaux naviguent dans des zones dangereuses, préfèrent souvent battre un pavillon étranger afin d’être en mesure de pouvoir se protéger avec une équipe privée. Il importe donc de défendre le pavillon français et de lui donner les moyens d’être compétitif face à ses concurrents étrangers. En alignant la législation française sur celles de ses concurrents, ce projet de loi vise ainsi à promouvoir le pavillon français et soutenir la marine commerciale française, à laquelle nous sommes profondément attachés.

Monsieur le ministre, je tiens à vous exprimer le soutien de l’ensemble des membres du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste à votre projet de loi. Cela dit, nous pensons aussi que l’encadrement législatif de cette activité privée de protection doit être strictement et efficacement contrôlé. En effet, confier des armes à une entreprise privée en lui donnant les moyens de se défendre contre une menace – jusqu’à la possibilité de répliquer et de tuer dans les cas extrêmes –, cela comporte des risques et symboliquement, ce n’est pas anodin. Le projet de loi proposé par le Gouvernement instaure ce cadre légal, autorisant et encadrant le recours à des services de protection privée des navires battant pavillon français dans les zones de piraterie.

Si nous nous félicitons de la rigueur de l’encadrement prévu, qui limite cette activité privée aux zones à haut risque de piraterie et à certains types de navire seulement, je tiens cependant à dire que le groupe RRDP regrette que la protection des navires ne puisse pas se faire par des moyens publics. Pour pallier cette absence de moyens, l’encadrement rigoureux de l’accès au secteur par la mise en place d’un agrément administratif et d’une certification obligatoire des entreprises, devant être obtenue en amont de l’autorisation d’exercice, est indispensable afin de renforcer les précautions minimales.

Le projet de loi soumet aussi les dirigeants et gérants à l’obligation d’être titulaires d’une autorisation d’exercer, et les agents à l’obtention d’une carte professionnelle. Ces deux contraintes permettront d’attester l’honorabilité et les aptitudes professionnelles des acteurs du secteur.

Par ailleurs, le contrôle et la régulation du secteur, confiés au Conseil national des activités privées de sécurité, constituent une bonne mesure car elle est directement inspirée de celle mise en oeuvre pour les activités de sécurité privée régies par le livre VI du code de la sécurité intérieure.

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