Intervention de Virginie Duby-Muller

Séance en hémicycle du 17 avril 2014 à 9h30
Déclaration de domicile — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

…tombée cependant partiellement en désuétude du fait de l’absence de régime de sanction.

En outre, certaines catégories de personnes sont d’ores et déjà contraintes par la loi d’effectuer une déclaration de domiciliation. Une telle obligation pesait jusqu’en 2006 sur les étrangers, en application d’un décret du 31 décembre 1947. Ce régime a été aboli en 2006 avec l’entrée en vigueur de la partie réglementaire du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

L’inscription sur un registre communal est encore aujourd’hui imposée aux gens du voyage par l’article 7 de la loi du 3 janvier 1969. Saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé le 5 octobre 2012 que cette obligation était destinée à remédier à l’impossibilité pour ces personnes de satisfaire aux conditions requises pour jouir de certains droits ou pour remplir certains devoirs et, ainsi, qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté d’aller et de venir et au droit au respect de la vie privée.

Enfin, le second alinéa de l’article 102 du code civil impose une obligation similaire aux bateliers et autres personnes vivant à bord d’un bateau de navigation intérieure immatriculé en France.

Le dispositif proposé par la présente proposition de loi ne prévoit pas de sanction et ne remet pas en cause la liberté d’aller et venir de nos citoyens. L’accomplissement d’une formalité nécessaire à un objectif d’intérêt général ne porte pas atteinte à la liberté d’aller et venir. Il ne s’agit pas de délivrer une autorisation de changement de domicile.

En outre, le Conseil constitutionnel, dégageant la liberté d’aller et venir comme une liberté constitutionnelle, considère qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, « la sauvegarde des fins d’intérêt général ayant valeur constitutionnelle » comme le maintien de l’ordre public et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d’aller et venir.

Les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice de ces libertés constitutionnellement garanties doivent être justifiées par un intérêt général. Ainsi, si l’on estimait que l’obligation d’inscription sur le registre communal de domiciliation portait atteinte à une liberté publique, cette contrainte limitée par l’absence de sanction resterait justifiée par la poursuite d’objectifs d’intérêt général.

Si l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit une obligation de déclarer tout établissement ou transfert de domicile auprès des services municipaux, il ne prévoit ni régime de sanction en cas d’absence d’exécution de cette formalité, ni délai pour effectuer cette déclaration. L’absence de déclaration empêcherait simplement de bénéficier des services fournis au public nécessitant de prouver sa domiciliation.

Cependant, il importe de préciser les finalités et les objectifs d’intérêt général d’un registre domiciliaire.

Examinant le 13 mars dernier le projet de création d’un registre national de crédit aux particuliers, le Conseil constitutionnel a estimé que le registre ne présentait pas les garanties nécessaires et que l’atteinte au droit au respect de la vie privée ne pouvait pas être regardée comme proportionnée au but d’intérêt général poursuivi par le législateur.

Au regard de ce cadre, l’article 1er de la présente proposition de loi apporte plusieurs garanties.

Premièrement, il ne prévoit pas la création d’un fichier national unique regroupant les informations nominatives de l’ensemble de la population mais celle de 36 767 fichiers communaux n’ayant pas à être interconnectés par des « liens forts » permettant d’effectuer des recherches sur des fichiers interconnectés.

Deuxièmement, la gestion des registres et le droit d’accès et de rectification des personnes devront s’effectuer dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 dite « informatique et libertés ».

Troisièmement, l’accès aux données nominatives sera limité aux agents chargés de la mise à jour du fichier ; la diffusion de ces données à des personnes non autorisées ou leur détournement seraient passibles de cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.

Un amendement que je défendrai tout à l’heure a pour objet de définir précisément et limitativement les finalités pour lesquelles les données pourront être utilisées.

Enfin, la présente proposition de loi s’inscrit dans une démarche de simplification des formalités devant être effectuées par nos concitoyens.

Le régime de preuve de domiciliation n’est plus adapté à la demande des citoyens dans une société de l’information. Attester de son domicile apparaît de plus en plus compliqué pour nos concitoyens dans un contexte d’accroissement de la mobilité de la population : 11 % des Français déménagent chaque année.

Depuis plusieurs années, des mécanismes ont été mis en place pour faciliter les démarches de nos concitoyens, comme le service public du changement d’adresse ou le projet « dites-le nous une fois », plutôt destiné aux entreprises.

Le décret du 26 décembre 2000 fait de la déclaration de domiciliation la règle, sauf pour les formalités administratives les plus sensibles.

Cependant, tout le monde peut constater que ces dispositions rendent parfois malaisées la fourniture d’une preuve de domiciliation : les traditionnelles factures d’eau, d’électricité ou de téléphone sont de plus en plus souvent dématérialisées par les opérateurs ; de plus, elles ne comportent que le nom du titulaire de l’abonnement et non de ceux des autres membres du foyer.

Aussi, dans la majorité des cas, la domiciliation des usagers repose avant tout sur une déclaration plutôt que sur la fourniture d’une preuve, comme prévu par les articles 104 et 105 du code civil. Seule la confiance dans la bonne foi des personnes permet de prendre en compte leur nouvelle adresse de manière pratique.

Aussi l’article 1er de la présente proposition de loi propose-t-il de modifier les règles de preuve de domiciliation prévues par l’article 104 du code civil en disposant que l’accomplissement de la déclaration de domiciliation donne lieu à la remise d’un récépissé par les services municipaux. Ce récépissé de déclaration de domicile constituerait à l’avenir l’unique justification de domicile à produire pour l’accomplissement de toute formalité » administrative.

Ainsi, afin de simplifier la preuve de domiciliation de nos concitoyens, l’inscription sur le registre de domiciliation de la commune ou de l’arrondissement serait désormais la seule formalité essentielle pour effectuer les démarches administratives nécessitant de justifier de son domicile.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit que les personnes ayant établi leur domicile avant l’entrée en vigueur du présent texte, fixée au 1er janvier 2015, disposeraient d’un délai de trois ans pour procéder à la déclaration de domiciliation auprès des services municipaux.

Mais le registre de domiciliation représenterait également une avancée pour la gestion des collectivités territoriales.

Si la mise en place d’une déclaration de domicile peut simplifier la vie de nos concitoyens, elle permettrait aussi d’améliorer les modalités de financement et de gestion des communes et des services communaux en donnant une vision plus exacte de la population établie sur le territoire communal.

La connaissance de la population est en effet un enjeu majeur pour les autorités communales et aujourd’hui un objectif du recensement de la population.

Si, en application de l’article 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, les modalités de recensement et de détermination de la population légale par l’INSEE ont évolué et ne reposent plus sur le seul recensement, les résultats obtenus par ces méthodes font l’objet de critiques récurrentes. Certaines communes contestent les chiffres de population légale tels qu’établis par les enquêtes de l’INSEE : ainsi, le maire communiste de Grigny, M. Philippe Rio, dénonce une sous-estimation qu’il évalue à 17 % de sa population dans le recensement de ses habitants, à l’origine d’importantes pertes de dotations publiques. L’INSEE prend en compte ces critiques et réalise parfois des enquêtes complémentaires.

En outre, des réflexions sont en cours sur l’utilisation de données provenant des fichiers détenus par d’autres administrations, en l’occurrence, des fichiers fiscaux ou du répertoire national commun de la protection sociale, pour affiner les résultats tirés des enquêtes de terrain.

Aussi l’article 1er de la proposition de loi prévoit-il de réécrire l’article 105 du code civil afin de prévoir les modalités de tenues par les services communaux d’un registre recensant les personnes ayant déclaré établir leur domicile sur le territoire de la commune ou de l’arrondissement.

Ces chiffres permettraient aux collectivités territoriales de mieux planifier les équipements et services nécessaires aux citoyens : les communes doivent en effet réaliser des investissements nécessitant de pouvoir planifier à moyen terme l’importance et la répartition de la population qui bénéficiera de ces services publics.

Mais les chiffres tirés de ce registre permettraient aussi une répartition plus juste des dotations de l’État : la « population DGF », c’est-à-dire la population retenue pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement, est prise en compte avec un décalage pouvant atteindre trois ans ; selon les chiffres communiqués par la direction générale des collectivités locales, sur un montant global de 40 milliards d’euros de DGF, 12,5 milliards correspondent aux dotations de base des collectivités attribuées selon le seul critère de la population. À cela s’ajoutent 6,9 milliards de dotations pour lesquelles la population est un critère d’attribution parmi d’autres.

Enfin, le critère de population intervient dans le calcul du potentiel financier, qui permet de bénéficier de certains versements.

Si les résidents secondaires sont pris en compte dans l’attribution de la DGF, cela ne l’est que de manière minorée, à raison d’un habitant supplémentaire par foyer. Cette minoration n’est pas sans conséquence dans certaines zones frontalières où les facilités de transport permettent à des personnes travaillant à l’étranger de déclarer leur résidence en France comme secondaire alors même qu’ils l’occupent à l’année par crainte de perdre la jouissance des régimes sociaux et fiscaux dont ils bénéficient en étant officiellement résidents de l’autre côté de la frontière.

De la même manière, ces personnes ne sont pas prises en compte dans l’attribution des « fonds frontaliers », par lesquels le canton de Genève rétrocède aux départements et aux communes de l’Ain et de la Haute-Savoie 3,5 % de la masse salariale taxée à la source alors que, dans les faits, ces faux résidents secondaires doivent bénéficier des services municipaux, occasionnant autant de charges pour les communes.

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