Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 27 février 2014 à 9h30
Procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons est un texte important, comme l’ont rappelé tous les autres orateurs avant moi.

Il faut remercier les deux députés qui ont travaillé sur ce sujet, particulièrement le rapporteur, d’avoir porté ce texte jusque dans cet hémicycle aujourd’hui. Pour comprendre ce qu’apporte le texte, il faut d’abord comprendre les problèmes qui se posent –tout cela a été très bien expliqué, à la fois par les différents orateurs et par Mme la garde des sceaux. Comprendre la portée de ce texte nécessite également d’en mentionner les éléments structurants. Il est utile de s’interroger sur le chemin qu’il trace et qui devra être parcouru pour obtenir un changement pérenne.

Toutes les affaires qui font l’objet ou devraient faire l’objet d’une révision évoquent une erreur judiciaire qui a souvent pour origine plusieurs raisons ou plusieurs causes. La procédure de révision permet de rejuger une affaire qui avait été définitivement jugée, faisant ainsi exception à l’autorité de la chose jugée qui rend a priori irrévocable une décision de justice définitive. La possibilité d’une révision, qui donne l’opportunité de faire reconnaître l’erreur de fait qui a conduit à une condamnation infondée, est par nature extraordinaire et exceptionnelle. Elle a pour effet, si elle aboutit, de faire réexaminer et juger une affaire par une juridiction de même niveau et de même nature que celle qui a prononcé la décision attaquée.

La procédure en question a une histoire dans notre droit pénal moderne, si l’on considère que celui-ci naît avec la Révolution française. Elle fut en effet supprimée une première fois, lorsque les jurys populaires furent mis en place, puisqu’on considérait alors que l’infaillibilité de notre justice résultait de son caractère populaire et délibératif. Rétablie une première fois, elle disparut de nouveau, avant d’être rétablie. L’histoire de ces dernières décennies montre l’existence de conditions strictes, tenant à la fois aux décisions susceptibles d’être attaquées et aux cas d’ouverture du pourvoi en révision. D’une part, les limitations du droit ultime à la preuve contraire touchent les seules infractions les plus graves et le prononcé des peines les plus graves. D’autre part, les cas d’ouverture sont, du fait de la procédure actuelle et de certaines limitations apportées aux moyens de preuve, particulièrement restrictifs. C’est ce que corrige la proposition de loi.

Lors de la précédente législature, j’avais posé à plusieurs reprises des questions écrites sur les conditions et les moyens de la révision pénale saisie par une personne déjà condamnée. Mes questions portaient sur les conditions et les moyens d’instruction lorsque la justice était saisie d’une demande en révision, sur les effets de la destruction des pièces sous scellés, et sur l’absence alors de motivation des décisions des cours d’assises.

Sur ce dernier point la loi a été modifiée. Sur les deux premiers, elle le sera une fois ce texte adopté. Cela a été dit et répété ; en l’état, les filtres posés à une possible révision sont trop importants pour espérer qu’une demande raisonnable puisse aboutir. Pour y remédier, le texte propose plusieurs évolutions significatives qui devraient permettre une adaptation positive.

D’une part, les conditions juridiques permettant aux juridictions de se prononcer sont redéfinies. On passe du doute que nous pourrions qualifier de raisonnable, à l’existence d’un fait nouveau de nature à faire naître le moindre doute sur la culpabilité.

D’autre part, les conditions matérielles permettant de faire naître celui-ci sont modifiées. Pour cela la loi va systématiser l’enregistrement sonore des procès d’assises. Elle va aussi permettre l’allongement, à la demande du condamné, de la durée de conservation des scellés criminels, au-delà des six mois actuellement prévus.

Dans la question que j’avais posée il y a cinq ans, j’écrivais à la ministre de la justice : « N’y a-t-il pas un risque que cette destruction ne pose problème, quand ladite manifestation de la vérité est interrogée plusieurs années après et le crime apparaît comme devant être soit rejugé ou l’affaire devant être révisée » ? Ces facteurs matériels sont à l’évidence de nature à permettre d’instruire plus facilement la réalité du fait nouveau ou de l’élément inconnu au jour du procès.

Parallèlement, le texte modifie et clarifie le chemin juridictionnel pouvant conduire à une révision, d’une part en fusionnant les instances et cours compétentes, d’autre part en assurant à la nouvelle juridiction une composition clairement établie et en spécialisant les tâches en son sein, enfin en renforçant les compétences d’instruction de la juridiction nouvellement créée.

Je note ici que l’examen préalable par une commission de révision distincte de la juridiction de jugement pouvait interrompre immédiatement et durablement la procédure.

À ce stade, je souhaite faire deux observations portant sur le fond. Ce qui est au coeur de toute procédure criminelle dans le cas des affaires des crimes les plus graves et les plus sérieuses c’est la nécessaire sécurisation de la culpabilité. Les droits des accusés doivent être garantis alors même que les affaires sont souvent ignobles et les sentences encourues les plus lourdes. La sécurisation du bien-fondé de la sanction passe par la capacité lors de l’instruction et du procès à garantir la présomption d’innocence et une fois le jugement définitif rendu à corriger l’erreur de fait.

Il ne s’agit pas seulement de protéger les droits de l’individu mais aussi de maintenir la confiance publique dans l’intégrité et la sécurité de notre système légal et judiciaire. Là encore, l’affaire – si j’ose dire – dépasse largement le cas des personnes et poursuit un intérêt supérieur qui est celui de la cohérence sociale et de l’intérêt public.

Ma seconde observation porte sur l’évolution des conditions juridiques permettant une demande de révision. Cela a été souligné à plusieurs reprises : la notion de moindre doute suffira-t-elle à ce que le doute profite à la personne condamnée ? Ainsi est posée implicitement la question du rôle central du juge au coeur du droit à la preuve contraire. Le législateur devra porter, en lien avec les professionnels du droit, une attention particulière à l’application du dispositif et à la dualité du rôle du juge, à la fois émetteur et récepteur de la preuve contraire.

C’est donc avec le sentiment de faire progresser la justice et le souci de voir comment elle évoluera que notre assemblée devrait apporter massivement son soutien à cette proposition de loi.

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