Intervention de Pascal Rogard

Réunion du 5 février 2014 à 18h00
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Pascal Rogard, chef de la délégation française auprès du BIE :

Pour compléter les propos de M. Lafon, c'est plutôt sous l'angle économique que j'aborderai pour ma part la question.

Qu'est-ce qu'une exposition universelle aujourd'hui ? A-t-elle encore un sens ? C'est une question que l'on se pose beaucoup au ministère de l'économie. Enfin, quels seraient les atouts et les faiblesses d'une candidature française ?

Par le passé, ces expositions ont surtout servi de vitrines du savoir-faire industriel. Les premières, organisées pour la plupart en Europe ou, dans une moindre mesure, aux États-Unis, étaient destinées à démontrer la puissance des pays organisateurs en la matière et leur capacité d'innovation technologique. À partir de 1990, cet état de fait a changé, en raison de la concurrence des nombreuses foires et salons spécialisés. Dès lors, le BIE a davantage recherché l'universalisme, en mettant l'accent sur des thèmes transversaux. Ce tournant est manifeste dans les thématiques des expositions de Shanghai, de Milan et de Dubaï, mais celle de Hanovre en témoignait dès 2000. Une candidature française devra nécessairement en tenir compte.

Les expositions universelles restent-elles d'actualité ? Oui, sous réserve qu'elles se conforment à cette logique. La réorientation des thématiques, vers 1990, a été suivie d'un passage à vide : près de huit ans se sont écoulés sans exposition universelle après celle de Séville, en 1992, puis une décennie entière, entre 2000 et 2010. Un nouvel engouement, vraisemblablement lié au succès de l'exposition de Shanghai, s'est ensuite emparé des États : pour l'exposition de 2020, cinq candidatures ont été déposées, ce qui était tout à fait nouveau puisque deux candidats seulement étaient en lice pour 2000 comme pour 2015. En outre, les États occidentaux traditionnels n'étaient plus représentés parmi les pays candidats puisque les cinq étaient Dubaï, la Turquie, le Brésil, la Russie et la Thaïlande – qui a finalement retiré sa candidature pour des raisons qu'il serait d'ailleurs intéressant d'étudier.

Chef de la délégation française depuis 2009, j'ai vécu, outre la campagne pour l'organisation de cette exposition universelle de 2020, celle qui a opposé Astana, au Kazakhstan, à Liège, en Belgique, en vue de l'exposition spécialisée de 2017. Toutes deux montrent que ce sont les pays les plus mobilisés qui l'emportent, et de loin. L'ambassadeur de Belgique a ainsi qualifié devant moi de « claque » la très nette victoire d'Astana sur Liège – par 107 voix contre 37 si je me souviens bien. Pour 2020, la Russie et la Turquie, qui ont plusieurs millénaires d'histoire derrière elles, se sont inclinées devant un pays vieux d'un demi-siècle à peine, puisque l'exposition coïncidera avec le cinquantenaire des Émirats arabes unis. Voilà qui conduit à relativiser le poids du facteur historique et culturel dans le choix de tel ou tel pays, au regard des arguments économiques. Le Royaume-Uni, premier pays à s'être prononcé, très tôt, en faveur de Dubaï, a obtenu en échange la rénovation du port de Londres par les Émirats. Alors que Rome avait promis son soutien à la Russie, le président du conseil italien a finalement choisi lui aussi Dubaï… à la veille du sommet italo-russe de novembre 2013.

J'ai eu personnellement l'impression que l'émir de Dubaï s'était beaucoup plus investi dans cette affaire que les autres chefs d'État. De fait, pour qu'un pays l'emporte, il faut que sa candidature soit défendue au plus haut niveau de l'État, appareil diplomatique et économique compris. C'est facile à Dubaï, où tous les ministres sont cousins, où les entreprises sont tenues par des membres de la famille royale et où il n'existe aucune dissension sur le sujet. À en croire le conseiller diplomatique du Président de la République, lorsque l'émir rencontrait ce dernier, il lui parlait uniquement de l'exposition universelle et des contrats susceptibles d'être signés, alors que l'exposition n'était qu'un sujet parmi d'autres dans les échanges que pouvait avoir le Président avec ses homologues russe et turc.

Quelles sont à mes yeux les forces et les faiblesses d'une éventuelle candidature de Paris ? Du côté des forces, il y a évidemment le rayonnement de la France, qui a accueilli 50 millions de personnes lors de l'exposition de 1900, ce qui fait d'elle le troisième pays en nombre de visiteurs lors d'une exposition universelle, après la Chine – avec 73 millions – et Osaka, au Japon – 64 millions. Nous restons également le premier pays d'accueil des touristes, avec 80 millions de visiteurs par an, dont une bonne partie passe par Paris.

La candidature française peut également s'appuyer sur notre réseau diplomatique.

En revanche, nos deux candidatures avortées – en 1989, alors que nous avions demandé, pour pouvoir organiser l'exposition, une modification des statuts du BIE que son assemblée générale avait majoritairement approuvée, puis en 2004 – ne plaident guère en notre faveur.

Comment convaincre un nombre suffisant d'États membres du BIE de voter pour nous ? Pouvons-nous leur proposer des contrats ? Bien que le vote soit secret, je sais que de nombreux États membres de l'Union européenne ont voté pour Dubaï. Parmi eux, l'Espagne, comme l'Italie, a opéré un revirement puisqu'elle avait initialement annoncé son soutien au Brésil. Pourquoi ? Parce qu'il y a eu des tractations. Que pouvons-nous offrir de comparable ?

L'équilibre géopolitique pose un autre problème, même si M. Loscertales ne partage pas mon point de vue à cet égard. Après le choix de Hanovre en 2000 et de Milan pour 2015, quelles sont les chances d'une nouvelle candidature européenne face à l'Amérique du Sud ou à l'Asie du Sud-Est, dans une économie bien plus globalisée où les candidatures se multiplient ?

Il faut également tenir compte du coût de l'exposition. Sur ce point, nous ne disposons pas d'informations limpides. Selon les éléments que j'ai pu recueillir auprès des organisateurs et des agences de communication, une campagne de candidature coûterait entre 5 et 25 millions d'euros. Cela correspond à la somme que la France devrait dépenser entre 2015 et novembre 2018, date du vote à l'assemblée générale du BIE. On peut discuter de la question de savoir s'il faut y inclure les déplacements des personnalités qui soutiendront la candidature mais en poursuivant simultanément d'autres objectifs. Quoi qu'il en soit, il s'agit, semble-t-il, d'un montant incompressible. S'agissant de Dubaï, j'ai entendu les chiffres les plus fantaisistes, mais l'on m'a dit que la campagne aurait coûté un à deux milliards d'euros. La somme dépensée par le Kazakhstan serait légèrement inférieure, mais reste élevée.

Le coût de l'exposition elle-même oscillerait aujourd'hui entre 2 et 6 milliards d'euros – et atteindrait même 6,5 milliards pour Dubaï. Les expositions passées, du moins celles à propos desquelles nous disposons de chiffres, ont souvent généré des pertes, qui ont atteint plusieurs centaines de millions de pesetas pour Séville, en partie à cause d'une double dévaluation de cette monnaie après un emprunt en dollars. D'une manière générale, il est rare que l'opération génère des bénéfices, tout au moins financiers.

Mais comment déterminer le coût de l'exposition ? Se limite-t-il au financement des seuls travaux liés directement à celle-ci ou s'étend-il à celui des infrastructures associées ? À Milan, l'organisateur a préféré prendre à sa charge certaines infrastructures d'accès pour s'assurer que les délais prévus seraient respectés, mais ces aménagements peuvent aussi être compris dans le plan directeur d'une région ou d'un État.

S'agissant du site, je confirme qu'il doit être unique. À Shanghai, la partie située de l'autre côté du fleuve a été peu fréquentée, malgré les méthodes employées par les Chinois – que nous aurions bien du mal à imiter, du reste. De même, à Osaka où l'exposition était également divisée, la fréquentation de la zone la moins accessible a été très faible. D'autre part, il faut que toutes les délégations aient le sentiment d'être traitées de la même manière.

Un site multiple aurait deux inconvénients majeurs. D'abord, il démultiplierait le coût, puisqu'il faut filtrer toutes les entrées ; ensuite, il aggraverait les inconvénients pour la population, puisque l'on devrait « neutraliser » plusieurs endroits dans la ville. Or la population doit pouvoir s'approprier l'exposition, y trouver son compte, ce qui ne sera pas le cas si elle se trouve bloquée dans des embouteillages monstrueux.

Qu'est-ce qui détermine tel ou tel État à participer à une exposition universelle ? Sur les 170 États qui sont venus à Shanghai, 70 ont véritablement construit leur pavillon, 70 se sont installés dans un cluster construit par les Chinois, et les autres ont accepté, faute de moyens, un pavillon déjà construit qu'ils payaient au mètre carré à des conditions plutôt favorables. Il faut dire que les Chinois tenaient à une forte participation. Aujourd'hui, Milan est à la traîne. Même si 130 États ont fait part de leur intérêt, seuls 40 devraient construire leur propre pavillon ; des clusters abriteront là aussi plusieurs pays, mais les Italiens n'ont pas prévu de construire des bâtiments qu'ils fourniraient à d'autres États, de sorte que le nombre de participants ne devrait finalement pas dépasser une centaine.

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